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Réforme des transferts: messieurs les Anglais, arrêtez les premiers!

Temps de lecture : 5 min

En décidant de réduire la période pendant lesquels les joueurs peuvent être transférés l'été, les clubs anglais montrent la voie à suivre pour mettre fin aux achats et aux ventes en panique à des prix erratiques.

Parti le 31 août 2017 vers Liverpool, le milieu de terrain d'Arsenal Alex Oxlade-Chamberlain a fait partie des derniers transferts du mercato d'été britannique. BEN STANSALL / AFP
Parti le 31 août 2017 vers Liverpool, le milieu de terrain d'Arsenal Alex Oxlade-Chamberlain a fait partie des derniers transferts du mercato d'été britannique. BEN STANSALL / AFP

Jeudi 7 septembre, les dirigeants des clubs de Premier League, la première division anglaise de football, ont acté un raccourcissement de la période de transferts durant l’été, initialement étalée sur trois mois entre début juin et fin août. Le championnat britannique va se caler, dès la saison prochaine, sur la période non-sportive: le mercato aura lieu entre la toute dernière journée et le jeudi avant la reprise du championnat.

Cette décision partait d’une volonté des présidents de clubs et des entraîneurs de ne plus voir leurs joueurs partir alors que la compétition avait débuté. Elle est, dans l’ensemble, soutenue par l’ensemble des responsables du foot européen. Aleksander Cerefin, le président de l’UEFA, avait déclaré, anticipant l’annonce de la Premier League, que «ce n'est pas une bonne chose qu'un joueur commence un championnat dans un club et joue ailleurs quand le mercato s'est refermé. Il y a une longue incertitude qui s'installe. En conséquence, je dirai que la fenêtre est trop longue et je suis pour qu'elle soit raccourcie».

De même, Giuseppe Marotta, le directeur sportif de la Juventus de Turin, s’est félicité de cette conclusion anglaise et a appelé à une harmonisation européenne. «La décision de la Premier League de clôturer la fenêtre des transferts plus tôt est une décision sage. Maintenant, nous devons étendre le débat au niveau européen.» Son homologue à l’AS Roma, Monchi, a lui aussi salué cette décision «juste et logique».

Bargain market et panic market

Mais quels sont les arguments qui peuvent expliquer cette volonté de changement? Pourquoi les équipes de football souhaitent, dans l’ensemble, caler la période mercantile sur la période non-sportive? A l’origine, l’idée d’étaler le mercato jusqu’à la quatrième journée de championnat, à la fin du mois d’août, répondait à une demande et à une nécessité sportive: les entraîneurs souhaitaient avoir encore du temps pour constituer leur équipe et construire leur fond de jeu. En disputant des matchs à enjeu plutôt que des matchs amicaux, ils avaient une idée précise des besoins et des mises à jour à effectuer et répondaient ainsi en fonction sur les transferts. De cette manière, on rendait le marché «parfait» en y apportant une information abondante et une liberté de mouvement assez large.

Seulement, c’est précisément cela qui a perverti et altéré l’équilibre du marché des joueurs. En rendant compte des besoins précis des clubs, multiplié par la parfaite circulation de l’information, les organisateurs ont laissé s’installer des effets pervers complexes et dangereux. En Angleterre, les observateurs appellent cela le bargain market (marché de l’arnaque) et le panic market (marché en panique).

Le premier correspond à une situation où un club veut absolument vendre pour des raisons financières et/ou sportives: il ne s’est pas qualifié en coupe d’Europe après les tours préliminaires en juillet et août; il a réalisé une mauvaise transaction financière; le staff technique s’est embrouillé avec un des joueurs du collectif, etc.

Ce besoin de vente apparaît après la reprise du championnat, au moment même où la majorité des équipes a déjà installé son fond de jeu, a déjà construit sa cohésion et sa stratégie et n’aurait donc pas besoin d’un joueur supplémentaire. Dans ce cas de figure, sur le marché, l’offre, qui émane du club vendeur, se retrouve supérieure à la demande: quasiment personne ne souhaite acheter un nouvel élément. Résultat, avec un déséquilibre entre l’offre et la demande en défaveur de la première, les prix baissent et le joueur vendu est bradé. La différence entre sa valeur réelle et sa valeur de marché grandit et le club vendeur se retrouve perdant. Il négocie à la baisse, to bargain.

Deuxième effet pervers, le panic market. Le club a déjà joué un, deux, trois matches de championnat et l’entraîneur se rend compte d’un important déficit sportif sur un secteur particulier: sa défense patine, le milieu est absent ou l’attaque est amorphe. Il lui faut donc absolument corriger le tir et viser un nouveau renfort avant la fin du mercato, vite.

Seulement, cette information, tout le monde l’a. Le coach, parce qu’il gère son effectif, mais les supporters aussi, les dirigeants, les journalistes et les adversaires. Il y a ici une distorsion de l’information: l'entraîneur souhaite acheter mais les offreurs, les vendeurs, connaissent sa volonté et vont alors artificiellement grossir le prix de vente.

Le panic market ressemble à un monopole informationnel où les équipes vendeuses vont, parce qu’elles ont connaissance du besoin urgent du club acheteur, lui proposer des joueurs à un prix supérieur à leur valeur théorique. Il va y avoir une asymétrie d’information entre l’offre et la demande sur le marché, par un simple phénomène d’observation.

Rendre le marché imparfait pour en corriger les défaillances

Si l’on prend le cas de la Ligue 1, par exemple, cette saison, l’Olympique de Marseille a affiché très tôt son besoin de renforcer son attaque, et toute la presse l’a relayé. Tout le monde savait que le club phocéen avait besoin d’un attaquant pour palier le départ de Bafétimbi Gomis en Turquie. Résultat, l'OM a eu tout le mal du monde à en acheter un puisque tous les vendeurs lui proposaient un prix supérieur au prix de marché. Conséquence: il a fallu attendre la toute dernière journée de mercato pour que le club parvienne à acheter 50% des parts du buteur grec Konstantinos Mitroglou, arrivé du Benfica Lisbonne.

Autre exemple d’un panic market, le cas de Mesut Özil à Arsenal. En 2013, le club d’Arsène Wenger doit à tout prix afficher son ambition sur le marché des transferts après les départs successifs de Fabregas, de Nasri et de van Persie. Son jeu, après le début du championnat, apparaît peu réaliste et peu construit. Le club a absolument besoin d’une star au milieu de terrain. Les Gunners vont alors faire signer, dans les toutes dernières secondes du mercato, le joueur allemand du Real Madrid pour 50 millions d’euros, record du club à l’époque. Un cas précis de panique à l’achat.

En supprimant ces effets d’aubaine et ces distorsions d’information, par la fin du mercato étalé sur le début du championnat, on évite les biais informationnels et on rétablit ainsi une certaine équité entre les concurrents. Ce sont en tout cas les principaux arguments des dirigeants des clubs anglais. Reste maintenant, comme le souhaite l’UEFA, à harmoniser ce règlement à toute l’Europe et à faire en sorte que les équipes du Big Five, les cinq grands championnats (Allemagne, Angleterre, Espagne, France, Italie), puissent acheter et vendre en même temps sans aucun biais concurrentiel.

En réformant dans ce sens, on rendra finalement le marché «imparfait» mais en corrigeant les défaillances que l’excès de libéralisme a pu créer. Une illustration, tant il ne nous viendrait pas à l'idée, dans d'autres secteurs, de restreindre la concurrence et de supprimer la liberté de circulation des travailleurs, que le football est toujours un cas à part...

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