La science et la médecine ne font pas toujours rêver. Prenez par exemple cette publication du célèbre Journal of the American Medical Association (JAMA): elle va ruiner les espoirs de tous ceux qui croyaient dur comme fer que le Ginkgo biloba possédait, entre autres vertus, celle de prévenir l'apparition au fil du temps des troubles de la mémoire. Cette publication va, comme dans le cas récurrent, de l'homéopathie, relancer la violente controverse qui oppose les tenants de la «médecine basée sur les preuves» aux adeptes d'une approche différente - moins rationnelle ou plus «globalisante» - des maux humains.
Et Dieu sait s'ils sont nombreux, à travers le monde, à croire mordicus aux mile et une vertus de l'«arbre aux quarante -ou aux mille- écus». «Quarante écus» parce qu'un botaniste français en aurait acheté cinq plants à un collègue anglais en 1788 pour la somme considérable de 40 écus d'or; «Mille écus» à cause de l'aspect de ses feuilles prenant une teinte mordorée à l'automne avant de former un tapis d'or sous les ramures.
Comme dans le cas de l'homéopathie (et des miracles inhérents aux infinies dilutions dynamisées) les raisons ne manquent pas pour expliquer l'engouement que peut nourrir cet arbre hors du commun. Ginkgo biloba est tout d'abord le seul représentant de la famille des Ginkgoaceae et, qui plus est, le seul de la division des Ginkgophyta. Ses seuls congénères connus, au nombre de sept, ont été retrouvés sous la forme de fossiles. C'est aussi la plus ancienne famille d'arbres ayant existé sur la terre apparue, dit-on, il y a plus de 300 millions d'années soit -environ- quarante millions d'années avant que les dinosaures commencent à établir leur règne avec les conséquences que l'on sait.
La science est formelle: notre Ginkgo (mot d'origine japonaise) biloba (ses feuilles ont deux lobes) est donc bel est bien, stricto sensu, une espèce panchronique, un véritable «fossile vivant». A ce titre il peut légitimement nourrir bien des mythes. D'autant plus que cet arbre de taille moyenne (entre 25 et 30 mètres) qui peut parfois vivre plus de 25 siècles est un prespermaphyte. En clair, il ne produit pas de graines; les arbres femelles portent des ovules (souvent confondues avec les graines sous les fruits) qui sont fécondées par le pollen d'un arbre mâle. La rencontre fécondante conduit à une germination immédiate donnant naissance à un jeune pousse, au pied du plant mère. Comment ne pas être ému?
Et comment ne pas être émerveillé par son histoire récente? Domestiqué dans le sud-est de la Chine il semble arriver en Corée et au Japon vers le XIIème siècle. Un demi-millénaire plus tard un médecin et botaniste allemand le découvre, le décrit le classe et l'importe. Les premiers plants européens grandissent au jardin botanique d'Utrecht vers le milieu du XVIIIème siècle. On en verra plus tard au jardin botanique de Montpellier puis au Jardin des plantes de Paris où, nous dit-on, ils sont toujours vivants. Et puis, pour parfaire le mythe on rapporte que cet arbre fut le premier à avoir repoussé dans la zone radioactive créé par l'explosion de la bombe nucléaire américaine sur Hiroshima; une forme sacralisation moderne, le double symbole de la longévité et de la résistance à la folie humaine.
Conséquence directe ou pas de tout cela le Ginkgo biloba devait au fil du temps trouver des applications médicales dans de très nombreux domaines; des applications d'ailleurs plus ou moins justifiées ces dernières décennies par une série de résultats scientifiques. On a ainsi découvert que ses feuilles étaient particulièrement riches en flavonoïdes, substances aux intéressantes propriétés anti-oxydantes. On a proposé l'utilisation pharmaceutique d'extraits à des fins préventives ou thérapeutiques dans le domaine dermatologique, vasculaire (varices, hémorroïdes, «jambes lourdes», syndrome de Raynaud) ou neurologique (sénilité, démences, maladie d'Alzheimer, troubles cognitifs). Et ces extraits font aujourd'hui l'objet d'un commerce important dans de très nombreux pays.
Voici par exemple ce que l'on peut trouver sur le «site de référence» www.ginkgo-biloba.fr qui propose différents extraits à la commercialisation comme le «Longue Vie Intellect» (24,90 euros le flacon de 90 capsules -traitement pour 45 jours) qui «favorise la microcirculation cérébrale».
«Le Ginkgo biloba est riche en flavonoïdes très actifs dont les bienfaits antioxydants et stimulants sont appréciés depuis la nuit des temps. Il constitue une aide précieuse pour préserver la vitalité intellectuelle en favorisant la mémoire et la vigilance. Il contribue à protéger les yeux des méfaits du vieillissement. Enfin, il contribue à la légèreté et à la finesse des jambes (...) La partie utilisée en phytothérapie, c'est la feuille du ginkgo; ayant la forme d'un éventail, celle-ci est une véritable fontaine de jouvence, elle contient des principes actifs très recherchés pour se soigner par les plantes. Elle se compose plus particulièrement de biflavones, d'hétérosides de flavones et de flavonols. Ces principes actifs sont antioxydants et favorisent la capture des radicaux libres au niveau cérébral et rétinien. Ainsi ils ralentissent le vieillissement de la rétine et contribuent à diminuer les troubles liés à la sénescence.»
«Véritable pharmacopée naturelle, le Ginkgo agit en régulant la perméabilité capillaire, il abaisse la viscosité sanguine tout en étant vasodilatateur. Les dernières études effectuées sur le ginkgo démontre son efficacité sur la circulation sanguine. Souvent prescrit par le phytothérapeute dans le traitement du vieillissement cérébral, le Ginkgo biloba stimule la mémoire, améliore l'humeur et la vigilance en favorisant la synthèse de dopamine. Il traite également avec efficacité les troubles circulatoires périphériques tels que tremblements ou difficultés à la marche, et le ginkgo peut aussi être prescrit chez la femme prenant la pilule contraceptive pour soigner les troubles circulatoires.»
Distinguer le vrai du le faux? Qui croire ou dénoncer? Questions difficiles: nous sommes ici dans la phytothérapie, en marge de l'industrie pharmaceutique industrielle et de ses essais cliniques destinés à démontrer l'efficacité reproductible des molécules médicamenteuses destinées à être mises sur le marché. Force est donc d'avoir recours à de larges études visant à étudier, avec la plus grande précision statistique possible (mais avec toutes les limites méthodologiques de telles entreprises) les effets de la prise prolongée de tels extraits.
Une première alerte avait été lancée en 2008, avec la publication (dans le JAMA, déjà) d'une étude financée par le National Center for Complementary and Alternative Medicine et le National Institute on Aging: Ginkgo biloba for prevention of dementia, a randomized controlled trial. Ce travail portait sur 3 069 personnes et avait duré six ans (à raison, soit de 120 mg deux fois par jour, soit d'un placebo). Conclusion: une absence totale d'effet sur l'évolution de la maladie d'Alzheimer et de la démence en général.
Le JAMA revient donc à la charge aujourd'hui et enfonce le clou. Il élargit les conclusions de la précédente étude avec une nouvelle publication tout aussi radicalement négative mais d'une portée encore plus large: elle concerne cette fois la simple prévention des troubles de la mémoire, une indication qui correspond à une large part de la consommation internationale. «Des extraits de Ginkgo biloba sont largement commercialisés et utilisés avec l'espoir d'améliorer, de prévenir ou de retarder des troubles cognitifs associés au vieillissement et aux maladies neurodégénératives comme la maladie d'Alzheimer, écrivent les auteurs de ce travail. Aux États-Unis et en particulier en Europe, Ginko biloba est peut-être le plus utilisé des traitements par les plantes pour empêcher ce phénomène.» Pour autant on ne disposait pas sur ce thème de données cliniques et statistiques fiables.
C'est chose faite aujourd'hui avec ce qui est présenté comme la plus vaste étude jamais réalisée au monde sur le sujet. Ce travail a été mené dans le cadre de l'essai qui avait conduit à la publication de 2008 mais en prolongeant et en affinant les analyses. Toujours, donc, les 3069 personnes âgées de 72 à 96 ans partagées en deux groupes constitués d'un égal effectif: un premier à qui l'on donne deux fois par jour 120 mg d'extraits de Ginkgo biloba et un second à qui l'on donne un placebo d'apparence similaire, les chercheurs ne sachant pas durant l'étude qui prend le placebo et qui ne le prend pas. L'étude a été menée dans six centres universitaires de médecine aux États-Unis entre 2000 et 2008 avec un suivi moyen de 6 ans. Durant cette période de multiples tests des performances cognitives ont été réalisés par le Pr Beth E. Snitz (université de Pittsburgh) et ses collègues.
Les conclusions sont on ne peut plus simples. Il n'existe pas la moindre preuve rationnelle que le prise régulière d'extraits de Ginkgo biloba ait (chez les personnes ne soufrant pas au départ d'une affection neuro-dégénérative) un effet préventif sur la diminution des performances concernant la mémoire, l'attention, le langage, les aptitudes visuelles, de reconnaissance dans l'espace ou de l'exécution de diverses fonctions. Ces résultats sont d'autre part observés uniformément sans différences «selon l'âge, le sexe, la race ou l'éducation». «En somme, résume le Pr Snitz nous ne trouvons aucune preuve que Ginkgo biloba ralentit le taux du déclin cognitif chez les personnes âgées.»
Dont acte. Mais encore? Ces conclusions chiffrées sans nuances vont-elles ruiner les marchands des extraits de feuilles de l'arbre aux mille écus? Rien n'est moins sûr. Les industriels et les marchands de l'homéopathie ont toujours su résister aux attaques rationnelles dont cette pratique a fait l'objet. Ici on soutiendra que la méthodologie n'était pas sans faille et que les médicaments actuellement indiqués dans la maladie d'Alzheimer ont une action que certains spécialistes dans la communauté médicale pourront qualifier de «modeste».
On présentera des cas individuels «apportant la preuve» d'une certaine efficacité préventive. On ajoutera qu'en toute hypothèse ces extraits végétaux ne sont pas nocifs. Et puis surtout on évoquera tous les autres bénéfices supposés des dérivés du Ginkgo biloba. Comme l'usage de sa «graine» (qui n'est pas une) entrant dans la composition du chawanmushi japonais. Une «graine» parfois considérée comme dotée de vertus aphrodisiaques. La science et la médecine ne peuvent pas toujours nous interdire de rêver.
Jean-Yves Nau
Image de Une: Gingko biloba en Chine Jason Lee / Reuters