Santé / Sports

Marathons, parcours du combattant, crossfit: pourquoi les cadres sup adorent les sports qui font souffrir

Temps de lecture : 3 min

C’est une question de perte de sens au travail, mais aussi de masochisme…

Lyon Extra Race / Goproo3 via Flickr CC License By
Lyon Extra Race / Goproo3 via Flickr CC License By

Les sports d’endurance sont réservés aux catégories sociales éduquées et financièrement aisées. Selon des chiffres collectés auprès des triathlètes américains, ceux-ci ont des revenus très élevés et exercent à 80% des professions qualifiées dans la médecine, le droit, le conseil… L’écrasante majorité des runners est également constituée de cadres et professions intellectuelles supérieures.

La première explication de ce recrutement social élevé des sports d’endurance semble couler de source: s’entraîner demande du temps et suppose de travailler selon des horaires réguliers qui autorisent de réserver des plages horaires au sport avant ou après le travail. Ces activités sportives sont également onéreuses: il faut dépenser de l’argent pour s’équiper, s’inscrire aux compétitions et s’y rendre.

Mais ces barrières socioéconomiques ne seraient pas les seules à expliquer pourquoi la course à pied séduit les classes supérieures, selon le magazine Outside qui consacre un article passionnant à ce phénomène.

Une mesure claire de la performance

La première explication extraéconomique de l’attrait que les sports de compétition et d’endurance exercent sur les travailleurs de l’économie immatérielle est que leur exercice procure un sentiment de maîtrise totalement absent de leur quotidien professionnel. Ce dernier se caractérise par l’absence de critères objectifs de mesure de la qualité du travail, un thème particulièrement développé par le philosophe-mécanicien Matthew B. Crawford, devenu garagiste moto après avoir lâché un job dans un institut de recherche, un cheminement qu'il explique dans son livre Éloge du carburateur.

À l'inverse des métiers de l'économie immatérielle, les métiers manuels paraissent obéir à des logiques beaucoup moins floues et subjectives, et ceux qui les exercent ont le privilège de tisser un lien direct entre leur contribution personnelle et le résultat du travail –si vous avez réparé une moto correctement, elle devrait redémarrer. Il en irait de même de la performance sportive, dans laquelle un classement final fait office de récompense généralement incontestable, ce qui n'est plus le cas d'un monde du travail où dominent les considérations politiques, la dilution de l'apport individuel dans le travail d'équipe et la dématérialisation.

«La recherche de la douleur» pour fuir la conscience de soi

Et ça n’est pas tout. Selon un article paru en juin 2017 dans la revue Journal of Consumer Research, des chercheurs se sont demandé pourquoi la douleur «se vendait» si bien dans le domaine sportif auprès des travailleurs de l'économie de la connaissance. Ils se sont intéressés aux motivations des participants à une course extrême d'obstacles (qui propose aux participants chocs électriques, eau glacée, contact avec le feu...).

Ces courses à thème, qui pastichent souvent les parcours du combattant des entraînements militaires, connaissent un grand succès commercial. «Des millions d’individus participent à une recherche de loisirs extrémement douloureux.» «Comment peut-on comprendre que des gens paient pour une expérience de douleur marketée?» Or, selon les auteurs de l'article, «la recherche de la douleur» physique est très exactement ce que recherchent les participants!

«À travers l’intensification sensorielle, la douleur oblige à se recentrer sur son corps, permettant aux individus de redécouvrir leur réalité corporelle.»

Subir ces douleurs extrêmes passagères leur permettrait de fuir une conscience de soi envahissante:

«En innondant la conscience avec du déplaisir, la douleur fournit un soulagement temporaire du fardeau de la conscience de soi.»

La «Tough Mudder», course étudiée par des chercheurs pour comprendre pourquoi «la douleur se vend».

L'ironie de l'histoire

Pour les auteurs de l'article, «dans un contexte de physicalité en retrait, ces courses jouent un rôle majeur dans la commercialisation de douleur aux “soi” saturés des travailleurs de la connaissance, qui utilisent la douleur à la fois pour fuir la réflexivité et pour construire l’histoire de leur vie».

Car ces expériences vécues sont incorporées au récit d’une «vie comblée» des participants aliénés dans leurs emplois de bureau. Une incroyable ironie relevée par le magazine Outside, puisque nous recherchons précisément à travers les études supérieures et les emplois de bureau une sécurité financière, un confort matériel et un éloignement des contraintes physiques. Les sports d’endurance et de performance fournissent alors une opportunité de «souffrir». Certes, «mais dans un cadre volontaire, prédéfini et dont on peut s’extraire immédiatement», souligne l’article.

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