Le 13 septembre prochain, Paris saura si elle obtient les Jeux olympiques 2024 par le vote du CIO à Lima. Mais il s'agit en réalité d'une formalité puisque la capitale est désormais seule en course depuis le retrait, le 31 juillet, de la candidature de Los Angeles.
Cependant, depuis quelques mois, voire quelques années, des opposants se font entendre et s’élèvent contre la candidature parisienne. Une pétition, lancée en février dernier par le collectif Non aux JO 2024 à Paris, recueille pour l’instant 29.000 signatures. Des tribunes ont également été publiées dans ce sens. Une des premières date de 2015 et a été écrite par Jean-Marie Brohm et Fabien Ollier. Le premier est sociologue et directeur de publication de la revue Prétentaine. Le second est enseignant d’EPS et directeur de publication de la revue Quel Sport?.
Selon l’historien du sport Patrick Clastres, tous deux représentent, depuis la fin des années 60, le courant de la «critique radicale du sport» et l’opposition majeure aux événements sportifs. «Ce courant existe en France ainsi que dans quelques pays d’Europe et s’est formé autour de Jean-Marie Brohm», détaille-t-il. Une critique que ce dernier considère comme à la fois «marxiste et freudienne».
Les désillusions des JO d’hiver
En 1968, les Jeux olympiques d’hiver de Grenoble recueillent un véritable «unanimisme», estime Patrick Clastres, car le mouvement porté par Jean-Marie Brohm n’est pas encore «organisé». Dans la ville des Alpes, «l’adhésion est totale, l’enthousiasme aussi», rappelle d'ailleurs un reportage de WeDemain sur les dérives de ces Jeux.
Mais quarante et un an plus tard, l’unanimisme s’est fortement fissuré. Grenoble fait partie des quatre villes candidates en 2009 pour une candidature olympique française aux JO d’hiver 2018. Un «comité anti-olympique» de citoyens voit le jour dans le chef-lieu de l’Isère, ainsi qu’à Annecy, sa voisine et concurrente à l’époque. Grenoble fut la seule ville à ne pas fournir un sondage d’opinion, une des conditions pour évaluer le soutien de l’opinion publique. «L’absence de "ferveur populaire" des Grenoblois, en dépit des fanfaronnades des élus, a pesé assez lourd dans le dossier de Grenoble», se félicitait alors le comité anti-olympique sur le site Reporterre.
«En deux ans nous avons inversé le soutien populaire, qui au départ était favorable à cette candidature.»
À Annecy, la candidature était soutenue par 51% des habitants, selon un sondage commandé par le CIO en 2011. Un chiffre assez mince qui résulterait de l’action des opposants. Selon eux, «cela a commencé lorsque nous avons vu fleurir des panneaux dans la ville enjoignant la population à soutenir la candidature, sans l’avoir préalablement consultée. Nous avons lancé une pétition et conduit énormément d’actions sur le terrain, au point qu’en deux ans nous avons inversé le soutien populaire, qui au départ était favorable à cette candidature», expliquait Khaled Dehgane, un des animateurs du comité anti-olympique local, dans WeDemain. Même si ce dernier exagère, étant donné que le soutien n’a pas été totalement inversé, force est de constater qu’en quarante ans la perception des Jeux olympiques a bien évolué.
Déjà à Albertville, en 1992, la donne avait été sensiblement différente, même si les Jeux continuent d’avoir une bonne résonnance dans la ville trente ans après leur attribution. «Le coût élevé des installations et la mémoire du désastre financier de Montréal (et de son stade olympique) ont changé les mentalités, précise Patrick Clastres. Les installations ne vont pas resservir et en même temps, le mouvement écologique se déploie et mène des campagnes de sensibilisation. On n’est plus dans l’expansion des loisirs comme dans les trente glorieuses». Même les conseils municipaux deviennent «plus attentifs», tout en gardant l’espoir de revenus liés au tourisme. Au final, Albertville subira 43,5 millions d’euros de déficit.
La théorie critique du sport
Les candidatures de Paris aux éditions 2008 et 2012 ont été l’occasion de revoir les représentants de la théorie critique du sport sur le devant de la scène, sans qu’il y ait de réel soutien populaire. «Ces campagnes-là avaient donné lieu à quelques appels, se souvient Fabien Ollier (que Rue89 avait rencontré en 2011), directeur de la revue Quel Sport?, journal lancé en 2007 et qui s’inscrit dans lignée de la revue Quel Corps?, dissoute dix ans plus tôt. Bernard Maris en avait signé un contre Paris 2012. On s’était retrouvé pour une petite manifestation devant le CNOSF.»
Sur quoi porte leur critique? Dans une interview en 1998, Jean-Marie Brohm articulait la théorie critique du sport en trois points: politique, économique et idéologique.
«Le sport n'est pas simplement du sport, c'est un moyen de gouvernement, un moyen de pression vis-à-vis de l'opinion publique et une manière d'encadrement idéologique des populations et d'une partie de la jeunesse [...]. Le sport est devenu un secteur d'accumulation de richesse, d'argent, et donc de capital. [...] Par ailleurs, le sport institue un ordre corporel fondé sur la gestion des pulsions sexuelles, des pulsions agressives, dans la mesure où, paraît-il, le sport serait un apaiseur social, un intégrateur social, réduirait la violence, permettrait la fraternité, tout ce discours qui me semble un fatras invraisemblable d'illusions et de mystifications».
L’opposition pour 2024
Le mouvement est ensuite redevenu actif lors de la course pour les JO 2024. Leur première tribune en 2015 a été suivie de 5 lettres ouvertes. Toutes sans retours. Parmi les signataires réguliers, on retrouve Danielle Simonnet, la coordinatrice du Parti de gauche. Cette conseillère du 20e arrondissement de Paris avait lancé une première pétition, qui n'a atteint que 6.000 signatures. Se sont aussi constitués d’autres mouvements issus de la gauche et de l’extrême-gauche comme Lutte ouvrière, le Nouveau Parti anticapitaliste, Attac France ou le Droit au logement. «Nous avons toujours tenté de mener ces campagnes avec ce souci de fédérer un front unique pour faire une parole d’opposition sérieuse», explique Fabien Ollier.
L’autre mouvement, le collectif Non au JO 2024 à Paris, lancé fin 2016, s'inscrit plus dans une démarche citoyenne. «On a commencé à s’organiser au mois de novembre en faisant des réunions publiques. Au départ, c’était une mobilisation internet, avec des gens qui se connaissaient sur Facebook et que j’ai rejoint», témoigne Frédéric Viale, un des portes-paroles du mouvement. Mais cet enseignant en droit en formation professionnelle conçoit que le collectif a commencé à se mobiliser «un peu tard».
Des raisons financières, écologiques et démocratiques
Frédéric Viale voit trois raisons à l’opposition du collectif aux Jeux olympiques: le coût, l’écologie et la démocratie. Pour la première, «les JO vont être dispendieux, comme tous les autres», argue-t-il. De plus, le mouvement critique le fait que le budget ne «concerne pas le milliard d’euros et demi d’argent public pour les infrastructures» et que «la sécurité ne soit pas budgétée». À Londres, le budget en sécurité avait par exemple été multiplié par trois.
L'enseignant en droit en formation professionnelle pense également que l’organisation des Jeux olympiques va engendrer une accélération du Grand Paris, prévu originellement pour 2030, «ce qui présuppose une explosion des coûts».
La deuxième, l’écologie, fait écho aux propos d’Anne Hidalgo. La maire de Paris avait indiqué que «la transition énergétique» serait le moteur de la candidature parisienne en 2024. Le collectif répond lui qu’avec «le déplacement de 3 millions de personnes, distribuer des assiettes en carton n’y changera rien». Quant à la raison démocratique, c’est une critique de la loi olympique qui «suspendra l’application du droit dans certains cas», un élément que Patrick Clastres dénonçait déjà en 2012 dans Le Monde:
«On assiste à une prise de contrôle par le CIO et par ses sponsors des espaces olympiques. Ils créent un système autarcique dans lesquels s'imposent, pour une durée déterminée, une loi d'exception, à l'image des lois antiterroristes.»
Une convergence des luttes partielle
Au total, une centaine de personnes composent le collectif Non au JO 2024 à Paris, dont une cinquantaine «vraiment actifs». Surtout des Franciliens. Parmi eux, des gens «qui travaillent dans les ministères ou des profs d’EPS. Des gens dans le privé ou des chômeurs. On a de tout, de toute catégorie d’âge», décrypte Frédéric Viale. Et les signataires de la pétition sont aussi divers que variés:
«Les gens ont compris que ce n’était pas qu’une affaire de personnes qui grognent car on marche sur leurs plates-bandes. Ce n’est pas ce genre de mobilisation. C’est plus vaste et ça va concerner plus de monde.»
À Boston, Hambourg ou Budapest, le manque de soutien populaire ou même la défiance (il y a eu 266.000 signatures contre la candidature en Hongrie) ont provoqué la fin des projets olympiques. C'est ce que souhaitent également les opposants présents dans l’Hexagone. «C’est lié aussi au rejet d’une certaine classe politique qui a été peu regardante sur l’usage des deniers publics, estime Patrick Clastres. La France n’était pas vraiment concernée mais ça se commence à apparaître. Cependant, les candidatures abandonnées montrent qu’il y a un mouvement occidental depuis 2010. Ce n’est pas un mouvement seulement Français et parisien».
Pour s’imposer dans le débat public, le collectif Non au JO 2024 à Paris participe également à des mobilisations sur le Triangle des Gonesses (l’opposition au pôle commercial Europacity) ou se joignent aux groupes qui essayent de protéger les Serres d’Auteuil face à l’agrandissement de Roland-Garros. Le 13 septembre 2017, le groupe participera à une action avec l’ensemble des contestataires de ce que les membres appellent «les grands projets inutiles et imposés». Ils bénéficient du soutien d’élus EELV comme Annie Lahmer ou Julien Bayou.
«Il n'y a que les personnes les plus aiguisées politiquement. C'est le cas de militants mais ils n'arrivent pas à toucher l'opinion publique.»
Néanmoins, avec seulement 916 abonnés sur Twitter et 776 sur Facebook pour le collectif, le soutien populaire est assez loin. Et ce d’autant plus que les liens avec le mouvement de la théorie critique du sport sont «distendus depuis le début». Selon Fabien Ollier:
«C'est un collectif venu sur le tard, qui a repris une partie de nos arguments tout en prenant soin de ne pas nous inviter à leurs réunions publiques. Ils ont des stratégies différentes mais comme disait Lénine, on peut marcher séparément et frapper ensemble. Donc il y aura peut-être un moment où l'on frappera ensemble.»
La positivité des termes sportifs
Si les membres du collectif suscitent «de la sympathie», l'historien Patrick Clastres estime que le sport reste un espace neutre qui échappe au débat:
«Les gens aujourd’hui ont du mal à voir le sport comme une institution. Les scandales de corruption de Salt Lake City en 1999, ceux de dopages au sein de l’athlétisme ou le Fifagate ont effrité l’image du sport et s’est répandue l’idée que les deniers publics devaient être mieux utilisés. Mais cela concerne une frange mince des démocraties occidentales. Il n'y a que les personnes les plus aiguisées politiquement prêtes à prendre le sentier de la guerre. C'est le cas de militants mais ils n'arrivent pas à toucher l'opinion publique.»
De plus, il n’y a pas de mot «pour distinguer les phénomènes qu’ils critiquent», note-t-il. Le sport désigne à la fois les matchs de rugby du dimanche, l’arrivée de Neymar au PSG, la victoire d’un Français au 800 mètres d’athlétisme ou les performances dopées de Lance Armstrong. Patrick Clastres conclut: «les mots "sport" ou "Jeux olympiques" sont encore chargés de manière positive, et le public n’est pas prêt à entendre autre chose.»