Ils auront mis le temps les socialistes mais ils auront fini par tomber dans le piège. Vous remarquerez que cette déclaration de Jean-Christophe Cambadélis n'est pas si récente que ça mais qu'elle est revenue quasiment à la Une quand Eric Besson a décidé de porter plainte contre son ancien camarade pour diffamation. Une plainte qui a pour but de faire de la publicité à une déclaration passée assez inaperçue dans cette ambiance d'outrance politique.
D'accusé, Besson est passé au statu de victime d'une agression verbale et de ce que l'UMP aura beau jeu d'appeler un lynchage politico-médiatique. Revenons à la comparaison Besson/ Laval. Si elle est tentante, elle est historiquement fausse, politiquement outrancière, stratégiquement imbécile. Historiquement, on peut effectivement faire une comparaison technique. Pierre Laval était un politicard de la troisième République, pas un idéologue, tellement arriviste qu'il a accepté de remiser tous les principes républicains avec un zèle criminel. Mais la comparaison devrait s'arrêter à la description d'un revirement opportuniste et zélé. Un peu comme la virulence anti-cléricale des curés défroqués ou l'anticommunisme radical des anciens communistes.
Quand il est question de comparaisons historiques, le degré et la nature peuvent se confondre et la comparaison de Jean-Christophe Cambadélis suggère que la nature du Sarkozysme à avoir avec le Pétainisme. Que le sort réservé aux immigrés dans notre société peut être comparé avec le statut des juifs en 40, ou plus exactement à la déportation des juifs de France en 42 puisque l'on parle de Pierre Laval, chef du gouvernement d'alors! Ce n'est pas excessif, c'est simplement radicalement faux.
Le philosophe Alain Badiou avait déjà comparé le sarkozysme et le pétainisme. Par une construction intellectuelle scabreuse, il avait échafaudé plusieurs critères. Le pétainisme s'appuie sur l'admiration d'un modèle étranger, le fascisme, le sarkozysme s'appuirait sur celui du libéralisme anglo-saxon; le pétainisme s'est construit sur l'idée d'expier une faute du passé, le Front populaire, le sarkozysme, mai 68; le pétainisme a un bouc émissaire, les juifs; le sarkozysme aussi: les immigrés. C'est aussi subtil que si l'on disait que le maire actuel de Vichy est forcement antisémite puisqu'il est maire de Vichy... Et c'est un piège parce que l'outrance est impopulaire.
Quand, il y a un mois, Nicolas Sarkozy lance la campagne des régionales en parlant d'identité nationale et en affirmant que la terre fait partie de cette identité, en le soulignant bien lourdement, il le fait justement pour que les commentateurs et l'opposition se vautrent dans la comparaison oiseuse avec le pétainisme, qu'on lui ressorte «la terre ne ment pas» de Barrès repris par Pétain, afin de recréer du clivage bien voyant et de radicaliser la gauche. C'est un piège, il marche régulièrement. Il marche d'autant mieux que l'appât est vraiment appétissant. La faute de Jean-Christophe Cambadélis est bien sûr de tomber dans ce piège qui contribue à pourrir le débat public, mais la faute originelle, c'est justement d'utiliser avec tant de légèreté un appât si dangereux, si mal odorant. La faute originelle, Simone Veil l'avait bien perçue pendant la campagne.
Ça ne lui avait pourtant pas fait retirer son soutien à Nicolas Sarkozy mais je me souviens de sa mine effarée et désolée quand elle commentait le projet - uniquement fait pour choquer la gauche -du candidat Sarkozy de mêler, sous une seule administration, l'identité nationale et l'immigration. Le fait qu'un ancien socialiste accepte finalement d'être en charge de ce qui est (dans sa présentation plus que dans sa réalité) une hérésie républicaine, est une chose! Tomber dans le piège qu'il représente en le dénonçant maladroitement en est une autre.
Thomas Legrand
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