Qui s'intéresse encore au Sahara occidental? Ce vaste territoire, grand comme la Grande Bretagne et annexé depuis trente cinq ans par le Maroc. Cette ex-colonie espagnole est riche en phosphate et probablement en pétrole. Depuis des années, les Nations unies promettent d'organiser un référendum sur l'autodétermination du Sahara occidental. Mais le Maroc et le Front polisario ne parviennent pas à se mettre d'accord sur la composition du corps électoral. Le Maroc ayant organisé une émigration massive de Marocains vers les «provinces du Sud», le Front polisario estime que ces populations, récemment arrivées sur ce territoire, ne doivent pas participer au vote.
Changer de regard sur la crise
Comme le dossier n'avance guère depuis plus d'une décennie, les médias français ont fini par se lasser. D'autant que le «problème du Sahara occidental» est souvent présenté, à Rabat, comme une «invention algérienne» pour «nuire» au Maroc. Les dirigeants du Front polisario vivent en Algérie. Un pays qui les soutient depuis toujours dans leur bras de fer avec le Maroc. Les relations entre le Maroc et l'Algérie sont délétères. La frontière entre les deux pays est d'ailleurs fermée depuis quinze ans. Aux yeux de beaucoup d'observateurs, le dossier du Sahara occidental est un simple «grain de sable» qui empêche la mise en place d'une belle machine à produire de la croissance: à savoir l'Union du Maghreb. Un simple obstacle à la création d'un grand marché commun à toute l'Afrique du Nord.
Pourtant, la récente affaire «Aminatou Haidar» montre cette «crise» sous un autre jour. En effet, cette militante sahraouie a été refoulée par les autorités marocaines le 14 novembre à son retour des Etats-Unis. Celle que l'on surnomme la pasionaria ou la «Ghandi du Sahara occidental» venait de recevoir un prix des Droits de l'homme, celui du Courage civil, décerné par l'institution américaine Train.
A son arrivée à El Ayoun, la capitale administrative du Sahara occidental elle a été refoulée par les autorités marocaines. Au motif qu'elle aurait piétiné son passeport marocain, ce que l'intéressée a nié avec vigueur. Expulsée vers les Canaries, elle a alors entamé une grève de la faim. Son objectif: obtenir le droit de retourner à El Ayoun, ville où elle vit, et d'y retrouver ses deux enfants et sa mère. Le Maroc ne voulait pas céder. Pour rentrer chez elle, il fallait que la militante demande pardon au régime chérifien. Après une grève de la faim de 32 jours et une intervention des autorités françaises, le Maroc a fini par céder. Auparavant les autorités espagnoles et marocaines avaient, elles aussi, fait pression sur Rabat.
Même la presse marocaine, peu habituée à critiquer le régime de Rabat en matière de gestion du dossier du Sahara occidental, a admis, notamment Le Journal hebdomadaire, que l'affaire Haidar s'est transformée en «désastre diplomatique pour le Maroc». Les images d'Aminatou Haidar, affaiblie par sa grève de la faim, ont fait le tour du monde. Pendant près d'un mois, l'affaire Haidar a été le principal sujet de préoccupation des médias espagnols, l'audiovisuel comme la presse écrite et le web.
Incompréhension
Des comités se sont mobilisés dans toute l'Espagne afin d'obtenir justice pour la «Ghandi du Sahara». Pendant sa grève de la faim Aminatou Haidar a d'ailleurs mis la pression sur les autorités de Madrid. «Si je meurs, a-t-elle déclaré, ce sera au gouvernement espagnol d'en assumer les conséquences». Grâce à elle, le «peuple sahraoui» n'est plus un simple concept. Il a désormais un visage...notamment en Espagne. Celui d'une femme avenante, cultivée et pondérée. Une mère de famille qui demande juste le droit de retrouver ses enfants. Et dont l'opinion espagnole ne comprend pas bien pourquoi les autorités marocaines lui refusent le droit de retourner chez elle.
Aminatou Haidar fait preuve d'une belle constance. Elle a commencé à militer dès le lycée. De 1987 à 1991, elle a été emprisonnée par les autorités marocaines, les yeux bandés jour et nuit. Elle avait déjà fait une grève de la faim en 2005, année où elle avait été à nouveau détenue par le régime chérifien. Le parlement européen lui a remis le prix Sakharov en 2005. Est-elle un agent algérien comme l'affirment les autorités marocaines? Ces critiques ont peu de poids hors du Maroc. Quoi qu'il en soit, elle a remporté son bras de fer.
Rabat a été obligé de céder et de la laisser retourner auprès des siens. La médiatisation de son combat devenait très périlleuse pour le régime marocain. Car au fond, il rappelle que rien n'est réglé dans ce vaste territoire que Rabat appelle avec une belle constance «les provinces du Sud». Pendant la grève de la faim d'Aminatou Haidar, la présence policière était plus visible que jamais au Sahara occidental. Au passage de la frontière entre la Mauritanie et le Maroc et jusqu'à El Ayoun, des dizaines de barrages de militaires et de policiers rappellent que les «provinces du Sud» sont toujours un territoire dont la possession est sujette à contestation.
Dans la plupart des villes du Sahara occidental, les militaires, les policiers et les drapeaux marocains sont omniprésents. Le régime a fait des efforts pour mettre en valeur El Ayoun, en faire une vitrine du Sahara marocain. Mais le climat qui règne à El Ayoun ou à Boujdour est «très étrange». Les Sahraouis ont souvent peur de parler à visage découvert. «On ne peut pas s'exprimer ouvertement. Nous sommes sous surveillance permanente. Il y a presque un policier par habitant... Nous sommes occupés par les Marocains. Mais si on vote librement, on votera pour l'indépendance», explique l'un d'eux. Un autre Sahraoui ajoute: «Mais il n'y aura jamais de référendum. En tout cas pas tant que les Sahraouis seront majoritaires. Les Marocains ont trop peur de perdre le scrutin. Ils savent que nous voterons pour l'indépendance».
Vrai ou faux. Difficile de trancher en l'absence d'un débat démocratique. Dans ce climat qui n'est pas propice au dialogue. Quoi qu'il en soit, rien n'est réglé au Sahara occidental. Le visage émacié et déterminé d'Aminatou Haidar est là pour nous le rappeler chaque jour. Au grand dam de Rabat.
Pierre Malet
Image de une: Sahara occidental, décembre 2009. © Pierre Malet.