Mais il suffit, enfin!, me dis-je, ruminant l’injonction d’Emmanuel Macron, Président, à Romain Bardet, cycliste, avant le final du Tour de France: «Celui qui gagnera, ce n’est pas le meilleur, c’est celui qui en a plus envie», avait donc dit le marcheur ailé, mercredi, et enfin, il ne faudrait jamais avoir chevauché un vélo pour oser une telle ineptie?
Et écrivant, je doute, dame, diable d’homme.
Je soupçonne Manu Macron d’avoir fait du vélo, dans son enfance pyrénéenne, et dans des cols encore, et de ne pas être en terre inconnue auprès du peloton.
Mais alors, comment peut-il?
Il faut attaquer et attaquer encore, disait-il à Bardet, et de même à l’autre Français en vue, Warren Barguil, leader du classement de la montagne, et c’était aimable: «Attaque, attaque», crie-t-on du bord de la route, quand on aime! Mais le Président complétait d’une autre injonction, faussement banale, qui gâchait tout: «C’est une question de volonté.» De volonté, vraiment? On s’amusait de voir Emmanuel Macron reprendre, pour les cracks du Tour, ce qu’il disait au printemps à son équipe de campagne présidentielle, la haranguant avant le dernier effort. Ce n’était pas amusant, en dépit de la complaisance qu’inspire un homme heureux.
Le politique ne doit pas extrapoler ses exploits
Il y a quelque chose de déprimant quand des politiques extrapolent leurs exploits communs aux vrais dieux de la chose sportive, comme si la captation transitoire d’un peuple était comparable au dépassement de soi. Sarkozy –un cycliste amateur– excellait dans ce genre, haranguant les footballeurs comme s’il avait quelque chose à leur dire, ne comprenant pas qu’en matière sportive, mieux vaut la Chirac attitude, celle du supporter ravi, qui n’y connaît pas grand-chose mais admet que le champion est d’une autre espèce, supérieure, et qu’il faut simplement l’aduler.
Et voilà donc Macron qui conseillait. Est-il également un être d’exception? Sans doute, mais pas le même. Le vélo, voyez-vous… Il est pénible de voir, même précédée de charme, l’idéologie pointer son museau, et quelle idéologie: celle du succès, le succès par-dessus tout, le succès qui aguiche le succès, le succès qui est une preuve, succès du cycliste et succès du politique, dans l’entre-soi de ceux qui méritent, qui ont cela en eux. Champion en politique ou champion en vélo, toujours champion? Qui est Bardet, qui est Macron? Champion toujours, parce qu’on le veut. Cela seul compte, quand on veut on peut. Ce n’est que cela, plier le réel à sa volonté. Et si on ne le plie pas, on est, alors, moins un homme?
Il ne faut jamais être monté sur le vélo, ou alors, ne pas avoir compris ce qu’on y faisait. Il faut n’avoir pas vécu? Il faut décidément ne pas savoir que faire de ceux qui n’aboutissent pas pour se tromper ainsi.
À vélo, on fait comme on peut
Pardon, mais voilà. Le vélo est un monde où l’on fait comme on peut, et c’est déjà magnifique. On attaque et parfois, ça ne va pas. On veut mais le corps n’y est pas. On a la fringale et les jambes te trahissent, ou une lumière danse devant toi. On est planté dans le col. Collé au bitume. On voudrait, que crois-tu Manu? On voudrait. C’est comme dans la vraie vie. Parfois, ça ne vient pas. Parfois. Il y a quelque chose de terriblement culpabilisant, pour les moins arrivés de nos vies communes. Celui qui gagne est celui qui le veut. Mais alors, le perdant ne voulait pas? L’a-t-il cherché, son échec? Est-il coupable d’un défaut de vertu, si son destin lui échappe en haut du Ventoux de l’existence?
Vu de la vie, c’est saumâtre. Vu du vélo, c’est une profanation.
Laurent Fignon effondré à la fin du Tour 1989, vaincu par une douleur qui l’empêche de pédaler au mieux de lui-même, était-il moins noble ou moins vertueux que Greg LeMond, son vainqueur pour 8 secondes? Il ne le voulait pas assez, Fignon, qui nous a quittés à 50 ans?
Raphaël Géminiani, balayé par une pluie glaciale dans le col de la Chartreuse, au coeur du Tour 1958, détruit par Charly Gaul, qui pleure à l’arrivée son Tour volé, il ne le voulait pas?
Qui voit l’autre partir et ne peut pas le suivre, est-il moins digne enfin qu’un vainqueur couronné?
Le vouloir. Il ne faut rien comprendre au vélo, à n’aimer que le gagnant.
Il ne voulait pas, René Vietto?
Vietto ne savait pas devenir président
Tu ne connais pas Vietto?
Vietto était un coureur cannois, et communiste disait-on, devenu légendaire d’un geste, donnant sa roue à son leader Antonin Magne qui avait cassé son biclou dans les Alpes, en 1934. Vietto se promenait dans la montagne, au-dessus des autres, et avait fait demi-tour pour Antonin, au nom de l’équipe. On l’aima pour ce panache altruiste. Il ne gagna jamais le Tour. Il témoignait d’autres valeurs que le simple succès. Je veux dire: Macron, redescendant de ses sondages pour filer sa popularité à Hollande, ç’aurait été du Vietto. L’a-t-on échappé belle? Et donc voilà. Vietto ne savait pas devenir président de la République.
A la fin de sa carrière, René Vietto crut que la vie lui rendrait justice. C’était en 1947. Il perdit à nouveau un Tour historique, qu’il dominait avant de s’effondrer. Mais voyez-vous, diable de Président, ce Tour justement donne raison à Macron.
Il y eut donc une fois au moins où l’insolente volonté fit la différence, et elle seule, et il ne s’agissait que de cela.Le vainqueur de Vietto s’appelait Jean Robic. Je parie que Manu connait cette histoire? Robic était breton. C’était le premier Tour de l’après-guerre. Trente ans avant la naissance de Macron, et soixante-dix ans avant que Macron ne somme Bardet de faire preuve d’audace. Robic voulait le Tour plus que les autres et hormis la conscience lui-même, n’aurait pas dû le gagner. Il n’était pas du système, comme on dit aujourd’hui, qu’incarnait, dans le peloton, la grande équipe de France. Lui était d’une formation annexe, l’Ouest, et même dans son camp ne faisait pas l’unanimité, imbu de lui-même et de la victoire qu’il se promettait.
Il faudrait prendre du temps pour rendre justice à la légende. Disons ceci. Robic, laissé pour compte et largué au début de l’épreuve, écoeura Vietto et étonna le monde et, la veille de l’arrivée, pointait à trois minutes, 2 minutes 58 exactement, du leader, un italien de France nommé Pierre Brambilla. Il attaqua alors et attaqua encore et, dans la côte de Bonsecours, sur la route de Paris, lâcha le maillot jaune et décrocha l’épreuve. On dit que Brambilla, de dépit, enterra son vélo dans son jardin. C’étaient des hommes entiers. Imagine-t-on Fillon ou Le Pen, dépités par Macron, se mortifier ainsi? Robic était surnommé «Biquet» et «tête de cuir». Il mesurait 1m61. En cela, il ne ressemble pas à Emmanuel Macron, quand bien même son épopée est macronienne. Il ne faut pas s’arrêter aux apparences.
Quand la volonté se marie à la loi du marché
Dans cette fameuse dernière étape, Robic eut un compagnon, un certain Fachleitner, coureur français resté comme le négociant de l’épopée. Robic négocia son aide, promettant de le payer s’il roulait avec lui pour mener à bien l’échappée décisive. On dit que Robic, après sa victoire, fit un chèque de 100.000 francs de l’époque aux coureurs de l’équipe de France, ses rivaux, qui l’avaient aidé.
On dit.
Et alors? Alors, quand la volonté se marie avec la loi du marché, l’invincibilité n’est pas loin, et si Macron n’a payé personne dans la présidentielle, il a su aussi incarner un intérêt économique bien pensé.
Et alors?
Dans le col de l’Izoard, le jeudi 20 juillet, le jour suivant la venue du Président Manu sur le Tour, Romain Bardet a attaqué, comme conseillé, mais le maillot jaune de Froome a résisté. Parfois, vouloir n’y suffit pas. Warren Barguil, en revanche, a gagné l’étape, et j’ai trouvé un cœur d’enfant. Le Tour n’est pas fini. Il y a dans cette jeunesse cycliste qui illumine nos routes une atmosphère de renouveau français, qu’il ne faudra pas hésiter, en communication politique, à lier à l’ambiance, fraîche et joyeuse, d’un pays offensivement présidé. Romain Bardet n’est pas seulement un fier coureur, mais aussi diplômé d’une école de management. Tout se tient. Il aime, cependant, courir sous la pluie, comme Charly Gaul, mais cela nous éloigne de la présidence actuelle. Filer la métaphore politique, à propos du vélo, est aussi vulgaire que sucer une roue.