Un homme suspecté d'avoir braqué un casino près de Grenoble vendredi 16 juillet a été tué par balles lors d'un échange de tirs avec des policiers de la Brigade anticriminalité (BAC). Sa mort a déclenché deux nuits de violence dans le quartier grenoblois de la Villeneuve, où certains on vécu cette mort violente comme une injustice. L'article ci-dessous, paru en décembre dernier, revient sur les conditions dans lesquelles les policiers sont autorisés à utiliser leurs armes de service.
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Lundi 21 décembre, l'acteur Tomer Sisley était interpellé avec d'autres personnes apparemment en train de jouer avec des pistolets à bille ou à laser et des flashball dans un parking parisien. Un policier, les ayant pris pour des malfaiteurs, a tiré à deux reprises avec son arme de service. Combien de fois un policier utilise-t-il son arme de service au cours de sa carrière?
Pas souvent, si l'on en croit l'Inspection générale de la police nationale (IGPN), même si elle ne communique pas sur les chiffres. Chiffres qui existent pourtant forcément puisque deux enquêtes, une administrative et une judiciaire, sont ouvertes à chaque fois qu'un fonctionnaire de police se sert de son arme.
3 millions d'interventions
Si l'on ne sait pas exactement combien de fois la police ouvre le feu au cours des quelques trois millions d'interventions qu'elle effectue chaque année, la plupart des fonctionnaires de police n'utilisent jamais leur arme de service de toute leur carrière, et certains ne la sortent même jamais de son étui. Un agent affecté à la garde d'un bâtiment administratif n'aura pas à dégainer aussi souvent qu'un membre de la Brigade anti-criminalité (BAC). Les policiers de commissariat peuvent avoir à se servir de leur arme plus souvent que ceux d'une brigade spécialisée dans le banditisme par exemple.
Ces derniers savent en effet à quoi s'attendre lors de leurs opérations, qui sont minutieusement préparées, et arrivent avec un rapport de force tellement supérieur que les coups de feu sont très rares. Une équipe de police secours appelée en urgence pour une situation qu'elle ne connaît pas peut rapidement se retrouver dans une posture délicate et obligé à faire feu.
L'utilisation de l'arme de service par les policiers est strictement encadrée par la loi. En fait, les fonctionnaires de polices disposent des mêmes droits que tout citoyen dans l'utilisation de l'arme à feu. Ainsi, celle-ci est destinée exclusivement à répondre à une menace inattendue et immédiate. Pour faire feu, le fonctionnaire doit être dans une situation de légitime défense, pour soi-même ou pour autrui. Le concept même de légitime défense, assez flou, rend difficile de déterminer la responsabilité du tireur: la seule situation où un policier ne pourra pas être inquiété est s'il riposte après s'être fait tiré dessus. Selon l'IGPN, l'enquête conclut que les conditions de la légitime défense sont réunies, mais là encore, aucun chiffre n'est donné.
En revanche, s'il existe un moyen de se soustraire à la menace ou de fuir, le policier n'a pas le droit de tirer. La prévention lui est également interdite, et le principe de proportionnalité l'empêche d'utiliser son arme dans de nombreuses situations. Tirer dans les jambes pour ne pas tuer le suspect n'est pas non plus une alternative pour les policiers, car la préméditation peut être alors retenue contre eux.
Sommation
«Posez votre arme ou je tire!» Cette phrase, souvent entendue dans les films américains, ne peut en principe pas sortir de la bouche d'un fonctionnaire de police français: la notion de sommation ne s'applique pas à la police. Du fait de leur appartenance à l'armée, les gendarmes peuvent eux ouvrir le feu après avoir sommé le suspect de se rendre.
Il y a une grande différence entre sortir son arme et s'en servir. Les policiers peuvent être amenés à sortir leur arme de manière dissuasive dans des situations qui ne présentent pas à priori de danger direct. Lors d'un contrôle routier où le conducteur n'a pas coopéré et où la voiture est occupée par cinq personnes, poser sa main sur son arme est un minimum. Si la situation est encore plus risquée, l'étape suivante est de se mettre en position de «pré-riposte», c'est-à-dire arme sortie pointée vers le ciel avec le bras plié. Puis c'est la mise en joue. Sortir son arme n'est pas répréhensible en soi, mais quand un policier dégaine au cours d'une bataille de boules de neige, ou pour intimider un journaliste [PDF], on peut se demander si ces policiers n'avaient pas un peu surestimé le danger.
Entraînement
Les policiers n'ont heureusement pas à se servir de leurs armes de service trop souvent, mais ils sont supposés entretenir leur habileté pistolet en mains. Pour ce qui est de l'entraînement, tous les fonctionnaires de police sont censés effectuer trois séances de tir par an au minimum, chaque séance comprenant le tir de 30 balles, soit deux chargeurs. Une séance de tir annuelle au pistolet mitrailleur Beretta est également prévue. Ce rythme assez faible ne permet pas de devenir un tireur d'élite, mais est censé procurer un minimum d'aisance arme en main pour éviter les accidents. Les problèmes logistiques empêchent un entraînement plus poussé: il y a 100.000 fonctionnaires de police et les stands de tirs, qui ne répondent pas toujours aux normes de sécurité en vigueur, ne sont pas légion en France.
Les brigades les plus susceptibles d'utiliser leurs armes ont des entraînements plus poussés. Depuis 2002, la police nationale, ainsi que la gendarmerie, les douanes et l'administration pénitentiaire, sont équipées de pistolets Sig-Sauer SP 2022. Mais les membres de la Brigade de recherche et d'intervention (BRI) utilisent également des Glock, des fusils d'assauts, des fusils à pompes etc., et passent beaucoup plus de temps en stand de tir que leurs collègues en tenue.
Grégoire Fleurot
L'explication remercie Laurent Houlle du syndicat de police Alliance et le Sicop.
Image de Une: Esparta, Flickr, CC
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