Il y a une quinzaine de jours, une compagnie chinoise du nom de «Mobike» a mis en service mille vélos flambant neufs à Manchester. Ces deux-roues bicolores orange et argent se déverrouillent avec une application mobile, leur location ne coûte que cinquante pence à la demi-heure (cinquante-sept centimes d'euro), et peuvent circuler dans une large zone comprenant Manchester et la commune voisine de Salford.
Helen Pidd, journaliste au Guardian, a tout de suite été séduite par l'arrivée de ce concept de partage de vélos en libre-service dans sa ville. D'autant plus qu'à la différence des Vélib' parisiens ou des «Boris Bikes» londoniens, les usagers peuvent déposer leur bicyclette où ils le souhaitent, puisqu'il n'y a pas de stations. Mobike porte néanmoins une attention particulière au comportement des locataires: un système de crédits permet de punir ceux qui entravent le bon fonctionnement en leur retirant des points, ou de récompenser ceux qui dénoncent des manquements en leur en attribuant.
Pas si indestructibles
Par une soirée estivale juste après le lancement du service, la journaliste Helen Pidd est ravie: elle prend un Mobike, pédale jusqu'aux Salford Quays et pique une tête dans le canal maritime de Manchester. Pour elle qui a toujours envié le mode de vie de Copenhague où le cycliste est roi, c'est un rêve qui devient réalité.
«Deux semaines plus tard, je crains que cela n'ait été qu'un rêve, écrit-elle le 16 juillet. Il y a des Mobike dans le canal, des Mobike dans les poubelles, des Mobike planqués dans les jardins résidentiels. Le jour de leur mise en service, le designer chinois m'avait dit que les vélos étaient pratiquement indestructibles et qu'ils pouvaient servir quatre années sans qu'il y ait besoin de les réparer. Les idiots du coin n'ont mis que quelques heures à trouver comment désactiver les traceurs GPS et le verrouillage des roues arrière.»
Un jour, alors qu'elle se rend à un endroit où huit vélos sont censés être stationnés selon son appli mobile, elle n'en trouve aucun. En cherchant aux alentours, elle finit par en apercevoir un... cadenassé dans une cour privative. Scandalisée, elle va frapper à la porte du propriétaire des lieux.
«Un jeune homme m'ouvre et je lui demande gentiment si je peux louer le vélo. Il semble surpris et me répond que non, que c'est le sien, et qu'il en aura besoin plus tard. Je lui explique que ce n'est pas comme ça que le dispositif fonctionne, que les vélos n'appartiennent à personne, et que si tout le monde était aussi égoïste que lui, le système s'effondrerait. Il a levé les yeux au ciel et m'a dit que si je tentais de récupérer le vélo, je serais en effraction.»
Le directeur général de la compagnie au Royaume-Uni minimise ces actes d'incivilité. Selon Steve Pyer, seuls cinquante vélos ont été vandalisés et les quelque quatre mille locations quotidiennes prouvent que les Mancuniens adorent les Mobike et donc, en prennent soin. Il admet néanmoins que l'ampleur des dégâts constatés à Manchester l'a surpris: «À Singapour, nous avons lancé le service en mars avec cinq mille vélos et il n'y a eu que deux signalements de verrouillages cassés.»
Helen Pidd rappelle que le dispositif Mobike n'est encore qu'en expérimentation, pour une période de six mois. Et prévient ses concitoyens: «Vous pourrez difficilement blâmer les Chinois si, à la fin de l'essai, ils décident de transférer les vélos dans une ville où les gens se comportent mieux.» Mais tout espoir n'est pas perdu. Le Mobike qu'elle avait trouvé cadenassé chez un jeune homme est apparu comme par magie sur le trottoir devant chez lui (peu après qu'elle l'eut signalé à l'application).