Monde

«Elle est drôlement bien conservée!»: Ce que Trump a vraiment dit à propos de Brigitte Macron

Temps de lecture : 4 min

Donald Trump s’est permis une réflexion odieuse au sujet de Brigitte Macron. Pour en appréhender la portée, il faut connaître un peu le personnage et oser traduire la goujaterie, aussi présidentielle soit-elle.

Emmanuel et Brigitte Macron accueillent Donald et Melania Trump aux Invalides, le 13 juillet 2017. Michel Euler / POOL / AFP
Emmanuel et Brigitte Macron accueillent Donald et Melania Trump aux Invalides, le 13 juillet 2017. Michel Euler / POOL / AFP

On se doutait bien que lors de son passage en France à l’occasion des célébrations du 14 juillet, le président américain, qui se vante facilement «d’attraper les femmes par la chatte» et a pour habitude de juger ouvertement les femmes sur leur physique, n’allait pas forcément être un parangon de délicatesse. Comme prévu, il n’a pas pu s’empêcher une remarque sexiste (pourquoi s’en serait-il empêché d’ailleurs, la question reste ouverte).

Lorsqu’il a rencontré l’épouse du président français, Donald Trump a fait la réflexion suivante:

«You’re in such good shape.»

Il s’est tourné vers le mari de madame Macron:

«She’s in such good physical shape!»

Puis de nouveau à l’intention de madame Macron:

«Beautiful!»

La scène est devenue virale et est commentée avec consternation un peu partout, y compris aux États-Unis. Enfonçons une porte ouverte, oui c’est une nouvelle preuve du sexisme et de la goujaterie de Trump pour qui une femme n’est valable que si elle est belle, et belle que si elle est jeune. Le physique de Brigitte Macron, qui a dépassé la soixantaine et n’entre donc pas dans la catégorie des femmes dignes d’intérêt, a peut-être ébranlé une ou deux certitudes dans son cerveau de mâle dominant (on peut rêver).

Mais que lui a-t-il dit, vraiment? Voici la traduction de France 24: «Vous êtes en si bonne forme physique!». Pour le Parisien: «Vous êtes en si bonne forme». 20 Minutes explique que le président américain a lâché: «Vous êtes en super forme, magnifique.»

Osons traduire Donald Trump

Comme chacun sait (comment ça personne ne le sait?), pour un même texte il y a autant de traductions que de traducteurs. Et toutes les versions d’une même phrase peuvent être bonnes. Toutes. Parce qu’on ne traduit pas des mots mais des idées (pour en savoir plus sur les galipettes neuronales des traducteurs, voyez ici, ou ), et qu’en fonction du contexte, du lieu, du moment, du lecteur final, on pourra dire la même chose de différentes manières.

«You’re in such good shape», ça veut en effet dire vous êtes en forme, vous êtes en bonne condition physique, vous êtes en super forme. Mais sur un dépliant publicitaire. Ou pendant un cours de gym. Ou pour faire plaisir à mamie qui sort de l’hôpital histoire de ne pas rater les prochaines étrennes. Parce que le contexte s’y prête et que l’implicite est clair: on a fait ce qu’il fallait pour être en forme, il y a des résultats, les chairs sont fermes et le biceps saillant (ou en tout cas on fait semblant de le croire).

Or ce n’est pas du tout ça que le président Trump a dit à la Première Dame de France. Pour traduire correctement ces quelques mots, il faut prendre en compte l’implicite et le contexte, c’est-à-dire le fait que c’est Donald Trump qui parle, pas un coach sportif ou votre voisin de palier, un homme notoire pour son sexisme et son objectification des femmes. Il faut prendre en compte son passif d’époux qui a accordé une grossesse à sa femme à la condition qu’elle retrouverait son corps parfait après l’accouchement, savoir que c’est un prédateur sexuel. Dans la bouche de Trump, ce n’est pas «vous êtes en forme» qu’il faut entendre, ce n’est pas ça qu’il a dit, mais «Qu'est-ce que vous êtes bien conservée!»

C'est là le moyen (sûrement pas le seul) de restituer l’implicite du discours d'un homme qui se permet de jauger madame Macron comme une vache au salon de l’agriculture. «Qu'est-ce que vous êtes bien conservée» s’est-il permis, avant de se tourner vers le propriétaire mari de la dame pour lui rendre hommage, comme s’il était responsable du miracle et que le mérite lui en revenait: «Elle est drôlement bien conservée!»

Le mépris et la naïveté crétine du dernier des bourrins misogyne et sûr de lui

J’entends monter la grogne: mais où ai-je vu le mot «drôlement» dans «She’s in such good physical shape»? C’est quoi ces manières, de surtraduire une phrase aussi courte et aussi simple? En effet, le mot «drôlement», qui accentue la vulgarité de la phrase, n’est pas sur le papier, il est dans l’intention. Mais je ne le sors pas de mon chapeau. Parce qu’en français, le lourdaud qui se permettrait ce genre de réflexion à une femme puis à son mari pour le féliciter de l’exploit, qui s’étonnerait du miracle de voir une belle femme de plus de soixante ans, il ne dirait pas «vous êtes en bonne forme physique». En français, cette phrase certes maladroite ne restitue pas le mépris accumulé pendant les soixante-dix ans d'existence du locuteur envers la gent féminine. Si les journalistes l’ont traduit comme ça, c’est peut-être parce qu’il est trop ahurissant d’imaginer une telle vulgarité à aussi haut niveau de l’État (ou peut-être parce que la traduction c’est un métier, je dis ça en passant).

Mais si on choisit la vérité des mots et des idées, force est de constater que ce que Donald Trump a dit, sous son nez, devant sa propre épouse, de la femme du président de la république française, avec le mépris et la naïveté crétine du dernier des bourrins misogyne et sûr de lui, c'est:

«Elle est drôlement bien conservée».

Il ne manquait plus que «tu te fais pas chier, mon salaud».

Mais là, vraiment, je surtraduis.

Newsletters

Violence armée aux États-Unis: quand la NRA s'engageait pour la régulation du port d'armes

Violence armée aux États-Unis: quand la NRA s'engageait pour la régulation du port d'armes

La tuerie de Nashville relance l'éternel débat de l'accès aux armes. Contrairement à ce qu'on croit, l'opinion américaine n'a pas toujours été pro-armes.

Un an après l'occupation russe, Boutcha et Irpin se reconstruisent

Un an après l'occupation russe, Boutcha et Irpin se reconstruisent

Que faut-il attendre du mandat d'arrêt international contre Vladimir Poutine?

Que faut-il attendre du mandat d'arrêt international contre Vladimir Poutine?

Jamais encore le président d'une puissance nucléaire n'avait fait l'objet d'un mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale.

Podcasts Grands Formats Séries
Slate Studio