France

Pendant la présidentielle, tout s'est presque passé comme prévu

Temps de lecture : 3 min

Une nouvelle analyse des résultats montre que se sont manifestés, malgré le «dégagisme» ambiant, des comportements enracinés depuis des décennies chez les Français.

LIONEL BONAVENTURE / AFP.
LIONEL BONAVENTURE / AFP.

La politique est aussi un marché, une histoire d'offre et de demande. Lors de la dernière présidentielle, l'offre a explosé sous le poids du dégagisme électoral. Et la demande? Plus stable qu'on ne le croit selon Le Puzzle français. Un nouveau partage politique, une étude richement illustrée que publient ce jeudi le démographe et historien Hervé Le Bras et le directeur du département Opinion et stratégies d’entreprise de l’Ifop Jérôme Fourquet pour le compte de la Fondation Jean-Jaurès.

«En marche» ou «insoumis», les candidats ont vu leurs électeurs, au-delà des débats du moment, se couler dans des comportements électoraux de longue durée, sédimentés par des décennies d'histoire. «Les différentes régions françaises réagissent souvent en fonction d’un long passé, industriel, religieux, autonomiste, et même anthropologique, si l’on désigne par ce terme les modes de sociabilité qui varient encore beaucoup d’un bout à l’autre du territoire», écrivent Le Bras et Fourquet.

Chez les candidats, pour citer une formule devenue célèbre, rien ne s'est passé comme prévu; chez les électeurs, pas mal de choses se sont passées comme prévu.

«Contrairement à la description crépusculaire qui est faite des partis, les électorats restent stables. Deux mondes ont évolué séparément, celui de la classe politique avec des partis qui se sont divisés en chapelles de plus en plus réduites, les aubrystes, les mélenchoniens, les hamonistes, les vallsistes, les autres sociaux-démocrates, les frondeurs, et celui de l’électorat qui est demeuré de gauche ou de droite avec une frange partie à l’extrême droite, écrivent les auteurs. [...] La division ne vient pas de la base mais du sommet, qui risque toutefois de la répercuter progressivement sur le terrain. Mao avait un proverbe pour ce genre d’évolution. Le poisson, disait-il, pourrit par la tête.»

Le premier tour d'une présidentielle, écrivent aussi Le Bras et Fourquet, est l'expression d'«un partage traditionnel et souvent très ancien de l’opinion». Prenons, par exemple, le vote Macron. Ce candidat jeune, jamais prétendant à aucun mandat auparavant, de gauche et «en même temps» de droite, avait tout pour bouleverser la carte électorale française. Et pourtant, son score dans les 36.000 communes recoupe assez bien une équation simple: la moitié du score de François Hollande en 2012, plus celui de François Bayrou. Comme si la vieille implantation de la gauche en pays d'oc et la carte française de la pratique religieuse, héritage de la Révolution française et de la constitution civile du clergé, avaient fusionné dans le candidat de la start-up nation...

Source: Hervé Le Bras et Jérôme Fourquet, Le Puzzle français. Un nouveau partage politique (Fondation Jean-Jaurès).

Les auteurs pointent un même phénomène de stabilité pour le vote Fillon:

«On serait tenté de parler d’immobilisme. La révolution n’est pas dans la répartition des voix de droite sur le territoire, mais dans leur niveau. Tout a bougé solidairement vers le bas d’environ 7 points comme les molécules d’eau se soulèvent ou s’abaissent au passage de la vague, sans que leurs positions les unes par rapport aux autres ne changent.»

Ces constats ne signifient pas qu'il ne s'est rien passé de nouveau. Les deux auteurs analysent avec pertinence, au-delà des oppositions de classe (traduites par le duel Fillon-Mélenchon, celui des perdants du premier tour) comment de nouveaux facteurs ont vu leur importance s'accroître. «Urbanité, circulation, jeunesse» font se substituer progressivement au vote de classe «un vote d’attitude, d’horizon d’attente». Le désormais célèbre clivage dit «ouvert-fermé» ou «optimisme-pessimisme» qui a notamment vu le candidat vainqueur réaliser des scores inédits dans les grandes villes aux deux tours et le FN y atteindre des scores historiquement bas. Ou encore la France «qui va bien» se surmobiliser nettement lors de législatives marquées par une abstention record...

Mais ce nouveau clivage s'enracine lui-même dans des facteurs anciens. La carte du vote Macron, par exemple, recoupe quasiment celle de la France rurale et de la France urbaine il y a cinquante ans: plus une région était rurale en 1968, plus elle vote Macron aujourd'hui.

Source: Hervé Le Bras et Jérôme Fourquet, Le Puzzle français. Un nouveau partage politique (Fondation Jean-Jaurès).

Peut-être, argumentent les auteurs, parce que cette France a vécu une transition vers la ville tout en gardant le souvenir «d'une certaine misère rurale et aussi d’une solidarité locale». À la fin du XIXe siècle, elle était la France de l'«habitat isolé», isolement que les habitants compensaient par une forte sociabilité; aujourd'hui, elle est la France où la presse régionale maintient le mieux ses tirages et où les adhésions à des clubs sportifs atteignent les plus hauts niveaux. C'est tout le paradoxe de la présidentielle la plus folle du XXIe siècle, de l'élection du dégagisme-roi: pour comprendre la victoire de la «France optimiste», il faut aussi revenir à la IIIe République.

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