Les libéraux se rebiffent. Ils avaient cru trouver leur homme en Nicolas Sarkozy, un ami des patrons, décomplexé sur les questions d'argent. Ils se retrouvent face à un Président qui brandit l'Etat comme le seul bouclier contre les dérives du capitalisme. Et crient à l'arnaque. La raison de leur grogne: l'attitude du chef de l'Etat face à la crise. Leur poulain se serait transformé en espèce de Che Guevara apôtre des nationalisations.
Dans les couloirs du Palais-Bourbon, de nombreux députés UMP s'inquiètent sous couvert de l'anonymat: à force de s'en prendre aux bonus des actionnaires et de fustiger les abus du patronat, le Président ferait, selon eux, le lit de la gauche. Eux, ce sont les libéraux de la majorité, anciens UDF ou RPR, qui ont suivi sans ciller un Nicolas Sarkozy qui a fait toute sa campagne de 2007 sur le slogan «travailler plus pour gagner plus». Ils ont applaudi les premiers pas du gouvernement (paquet fiscal, assouplissement des 35 heures) mais depuis le début de la crise, ils tremblent à chaque nouvelle déclaration du Président.
Premier motif de désaccord: la rapidité avec laquelle Nicolas Sarkozy est grimpé au créneau. «Il a voulu être le premier à réagir comme d'habitude, m'a confié un parlementaire. Il a surjoué la crise alors que celle-ci n'était pas encore arrivée en France et cela a eu pour effet de tétaniser les investisseurs». Autre reproche: les sorties à répétition du locataire de l'Elysée sur les bonus. S'ils admettent que le recours à l'Etat était indispensable pour éviter un effondrement du système bancaire, les libéraux de la majorité tiquent devant la nationalisation rampante dans le cadre de la fusion entre la caisse d'Epargne et la Banque populaire. Plus largement, c'est la condamnation au plus haut sommet de l'Etat du capitalisme financier qui leur fait froid dans le dos.
Elu avec une sauce gaulliste-libérale
Alors, Nicolas Sarkozy aurait-il trompé son monde? Ne serait-il en fait qu'un gauchiste qui s'ignore? Certains, à droite et dans les milieux proches du Medef, ne sont pas loin de le penser. L'actuel Président a pourtant toujours été un libéral bon teint. Pas à la Alain Madelin dont il moquait les excès mais à la manière d'un Edouard Balladur dont il a été ministre du Budget de 1993 à 1995. C'est en partie avec cette sauce gaulliste-libérale qu'il s'est fait élire.
Voulant marquer sa différence avec les deux mandats de Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy avait séduit sur la double thématique sécuritaire et libérale: revalorisation du travail, soutien aux entrepreneurs à base de baisse des charges, chasse aux fonctionnaires. Vu d'aujourd'hui, le thème de la rupture se révèle n'être qu'un slogan de campagne. Le briseur de tabous d'hier s'est transformé en l'espace de quelques semaines en un ardent défenseur des vieilles structures étatiques. Deux ans après son élection, on en est loin. Certains à droite voient dans ce revirement l'influence de son épouse Carla Bruni qui n'a jamais caché ses sympathies pour la gauche. Il semble, plus sérieusement, que Nicolas Sarkozy soit frappé par le syndrome de l'Elysée. Face à la réalité économique, à la pression des syndicats et au poids de l'opinion, il a mis une sacrée dose d'eau dans son vin libéral.
Au plus bas dans les sondages deux ans à peine après avoir été élu, il veut chercher à reconquérir le cœur de ses électeurs déçus.
Erosion de la cote de popularité du chef de l'Etat
Cette évolution inquiète jusque dans les rangs même du gouvernement. «Le discours de Sarko est simplifié sur le terrain, constate un secrétaire d'Etat. Dans les circonscriptions, ce qu'on en retient c'est "à bas les actionnaires", "à bas les entrepreneurs", c'est très mauvais et cela déroute nos électeurs». Il en veut pour preuve l'érosion de la cote de popularité du Président. Quitte à entendre un credo social et étatique, les électeurs préfèrent se tourner vers l'original, la gauche, plus crédible sur ses sujets que la droite: «Sur le terrain de la critique du capitalisme, la gauche a une longueur d'avance sur nous. On se retrouve à sa remorque. Nous sommes en train de perdre la bataille idéologique or les défaites idéologiques préfigurent souvent les défaites électorales».
Par comparaison, Silvio Berlusconi en Italie, qui avait un profil similaire à celui de Nicolas Sarkozy, ne souffre pas de la même baisse de popularité que son homologue français. Mieux: il gagne les élections. L'explication est toute trouvée pour les libéraux: le Premier ministre italien a attendu que la crise arrive dans son pays pour s'exprimer et il est resté droit dans ses bottes concernant sa politique économique.
Circonstance aggravante pour Nicolas Sarkozy d'après les libéraux: son acharnement à pratiquer l'ouverture. La récente nomination de Jack Lang comme conseiller spécial es Cuba est très mal passée à l'UMP. «Notre électorat dégueule, assure un député. Lang est pour la droite un chiffon rouge. Ceux qui ont voté pour nous craignent que ce soit désormais la gauche qui nous dicte notre politique». Lors du dernier bureau national de l'UMP, de nombreux responsables du parti ont failli s'étrangler en voyant l'ancien socialiste Eric Besson assis à droite du secrétaire général Xavier Bertrand. «Il est chargé du Think Tank, c'est-à-dire de nous fournir des idées, c'est une aberration quand on se souvient que c'est lui qui a fait l'argumentaire anti-Sarko pendant la campagne», m'a lâché l'un d'eux.
Si les libéraux tirent la sonnette d'alarme, ils se contentent pour l'instant, de le faire anonymement. Nicolas Sarkozy tient encore très bien ses troupes. Mais jusqu'à quand?
Ariane Istrati
Image de une: Nicolas Sarkozy en Che Guevara. © Zorrodeconduite