Mercredi 5 juillet, les Invalides saluaient la mémoire de Simone Veil, décédée le 30 juin, lors d'une cérémonie d'hommage national. Au même moment apparaissaît le site simoneveil.com, lancé par le groupe anti-avortement Les Survivants et auquel Slate avait décerné la palme des charognards. Cette initiative, déguisant un discours de propagande contre l'interruption volontaire de grossesse en hommage à l'ancienne Ministre de la santé qui s'était battue pour dépénaliser cette pratique, avait créé la polémique.
Sur Twitter, personnalités politiques, associations féministes et citoyens dénonçaient l'indécence d'une telle récupération, certains demandant à OVH, hébergeur du site controversé, de le supprimer. Une pétition adressée à Emmanuel Macron, Mounir Mahjoubi, Agnès Buzyn et Marlène Schiappa en faveur de la suppression du site avait également été lancée. Le lendemain, aux alentours de 16 heures, le site avait été suspendu. Une quarantaine de minutes plus tard, il était à nouveau en ligne, avant de disparaître définitivement près d'une heure après.
Pourtant, ce n'était ni une intervention des autorités, ni une décision d'OVH qui a entraîné ces suspensions, selon Émile Duport, leader des Survivants, contacté par Slate dans l'après-midi du jeudi 6 juillet. Il explique d'abord avoir cru à une attaque DDoS, à savoir l'envoi simultané de milliers de requêtes sur un même site, qui aurait fait tomber simoneveil.com dans la nuit de mercredi à jeudi. «Puis j'ai appelé OVH, et j'ai appris qu'ils avaient suspendu le site après une réclamation de Maître Veil», raconte Émile Duport. Ce que nous confirme OVH: «Nous avons été informés par la famille de Simone Veil de l’existence de ce nom de domaine et des contenus associés, utilisant son nom et son image sans autorisation. Sur la base de ce signalement nous avons été amenés à prendre des mesures de suspension. Il s’agit là d’une procédure tout à fait normale».
Le concepteur du site se dit persuadé que lorsqu'une personne meurt, on a le droit d'utiliser son nom pour en faire un nom de domaine. Erreur, rapporte 20 minutes, qui a demandé confirmation à l'avocate Isabelle Landreau, au barreau de Paris et qui est spécialiste des nouvelles technologies : «Ça s’appelle un dépôt frauduleux par un tiers. On ne peut pas déposer un nom de domaine qui soit un nom patronymique, que la personne soit vivante ou décédée».
«Simone forever»
Le chef du mouvement pro-vie nous a assurés qu'il n'avait pas été prévenu de la suspension du site. L'entreprise OVH, quant à elle, affirme que «le client a été averti de la suspension du site internet par nos services». Quoi qu'il en soit, Émile Duport a réussi, sans préciser comment –si ce n'est en disant «parce que je suis un p'tit malin»– à le republier quelques minutes, le temps de récupérer tout le contenu du site avant qu'il soit de nouveau bloqué.
«Je vais le remettre en ligne sous un autre nom de domaine, une URL encore plus stratégique», nous annonce-t-il alors. Vendredi 7 juillet au matin, ce qu'il qualifie de «webdocumentaire» est en effet réapparu, à l'adresse Simoneforever.com. Un nouveau pied de nez aux défenseurs des droits des femmes, puisque «Simone Forever» est le nom d'un site et d'un événement datant de 2016, organisé par le Planning familial pour célébrer «Simone Veil, Simone de Beauvoir, Simone Iff et toutes les femmes qui ont fait avancer nos libertés».
Si le nouveau site ne s'octroie plus le nom de l'ancienne ministre de la Santé dans son URL, il contient exactement les mêmes illustrations, citations tronquées du discours prononcé par Simone Veil en 1974 devant l'Assemblée nationale, et assertions selon lesquelles elle ne défendait pas l'IVG.
«Le droit à l'avortement n'a jamais été soutenu par Simone Veil», soutient Émile Duport lors de notre entretien. Il est même persuadé qu'«elle est clairement de (leur) côté» et que le site se veut «un hommage à son parcours politique avec des super beaux visuels». Sans la moindre gêne, il assume aussi avoir profité de son décès à des fins de communication. «Je savais que sa mort serait instrumentalisée de toute façon. Si j'avais sorti ça dans une semaine, tout le monde s'en serait foutu.» Le nom de domaine du site avait été déposé le 7 septembre dernier, probablement après des premières craintes quant à la santé de Simone Veil en août 2016.
Propagande illégale
Les Survivants n'en sont pas à leur premier coup d'essai en matière de récupération illégale. Lors de la campagne présidentielle 2017, ils avaient illégalement accroché dans le métro parisien des affiches exposant des slogans anti-avortement à côté des visages des candidats à la présidence de la République. Et leurs nombreuses plateformes en ligne pourraient tomber sous le coup de la loi sur le délit d'entrave à l'IVG, adoptée le 15 février dernier.
À l'instar de Simoneforever.com, les sites «Test positif», «Parole de soignants», «Parler de mon IVG», «Mon corps, mon choix», «Afterbaiz» et d'autres qui renvoient tous à la même adresse IP se targuent de délivrer des informations objectives sur l'avortement, témoignages à l'appui. Mais les conseils prodigués cherchent, de toute évidence, à dissuader les femmes de recourir à l'IVG, et les expériences rapportées sont toutes traumatisantes et sources de regrets à vie.
Le graphisme de ces sites et de ces campagnes est dangereusement efficace. De nombreux utilisateurs de Twitter sont tombés dans le panneau en partageant, pour rendre hommage à Simone Veil, le visuel créé par Les Survivants –qui ressemble à s'y méprendre à l'esthétique de l'une des affiches de campagne de Barack Obama en 2008. Un piège pour toute femme non avertie qui s'y rendrait pour réfléchir à sa décision de mener, ou non, une grossesse à terme. Et principalement pour les plus jeunes, à qui ces sites s'adressent explicitement par l'utilisation de photos d'adolescents, d'un langage de proximité et qui mettent en avant leurs préoccupations quotidiennes.