Les présidents Donald Trump et Vladimir Poutine vont se rencontrer pour la première fois au sommet du G20 à Hambourg ces 7 et 8 juillet. Si peu s’opposent à ce que les deux dirigeants se rencontrent en face-à-face, c’est une réunion aux enjeux très risqués, d’autant que H. R. McMaster, le conseiller à la Sécurité nationale américaine, a annoncé le 29 juin dernier que l’administration Trump n’avait «pas d’ordre du jour particulier» pour la réunion. Or Poutine en a un, lui.
À en croire des sources des renseignements européens, Poutine pense pouvoir obtenir des concessions sur les sanctions qui affectent la Russie s’il promet à Trump de coopérer en Syrie. Trump, qui n’a jamais caché son admiration pour le style de leadership de Poutine et qui refuse de le critiquer, veut clairement montrer qu’il est capable de réussir là où ses prédécesseurs ont échoué, en consolidant et en stabilisant les relations entre les États-Unis et la Russie sans se faire manipuler. Le problème, évidemment, c’est qu'il y a manipulation depuis des mois déjà. Depuis son ingérence dans les élections américaines à l’automne dernier, qui ne lui a valu guère plus qu’une gentille remontrance, Poutine a bien compris le message: la Russie peut être aussi agressive qu'elle le veut et lancer des campagnes de désinformation, envoyer des appareils frôler des avions et des navires américains, exercer un chantage énergétique ou se livrer au piratage, elle n'aura pas à subir de conséquences. Et si Trump et son équipe de la Maison-Blanche ne trouvent pas un plan de dernière minute, les États-Unis vont de nouveau se faire manipuler lors de cette rencontre. Trump a donc besoin à la fois d’une stratégie et d’un message.
Montrer de la détermination
Le premier message que Trump doit envoyer à Poutine est qu’il existe une réelle détermination transtlantique, ce qu’il a commencé à faire lors de son passage en Pologne, juste avant sa rencontre avec le président russe à Hambourg. À Varsovie, Trump a saisi l’occasion de rassurer ses alliés et de mettre en avant l’unité transatlantique en réaffirmant son engagement aux valeurs communes et à l’Article 5 de l’Otan. Mais lors de son intervention en Pologne, Trump aurait pu souligner que si nous avons parfois des divergences avec nos alliés sur des sujets comme les dépenses de défense, nous ne tolérerons pas les tentatives de sape de nos systèmes démocratiques (il a refusé, lors d’une conférence de presse, de reconnaître formellement l’ingérence russe dans la campagne présidentielle américaine) ni de division de l’Europe et des États-Unis. Il ne fait aucun doute que Poutine a pris un malin plaisir à regarder les partenaires transatlantiques se consumer d’inquiétude des mois entiers devant l’avenir de ces relations tandis que Trump restait flou sur sa position vis-à-vis de l’Europe et de la Russie. Poutine a besoin de constater et d’entendre de la bouche de Trump en personne que les liens qui relient les deux rives de l’Atlantique sont toujours aussi forts.
Ne pas croire Poutine
Après sa visite en Pologne, quand Trump s’assiéra enfin face à Poutine à Hambourg, il devra commencer par déclarer sans aucune équivoque que si les États-Unis attachent de l’importance à leur engagement avec la Russie, ils ne sont pas prêts à faire des échanges, et sûrement pas dans le dos des alliés et des partenaires des États-Unis. En d’autres termes, les États-Unis n’échangeront pas la coopération des Russes en Syrie contre la levée des sanctions, et surtout pas depuis que la Russie a récemment menacé d’abattre tout ce qui passait «à l'ouest de l'Euphrate», y compris les avions américains. Trump doit rappeler à Poutine que la coopération États-Unis-Russie en Syrie est dans l’intérêt de tous —y compris dans celui de Moscou— et que cette seule idée devrait guider nos efforts de désamorçage des tensions entre nos deux pays et de mise au point d’une solution à long terme en Syrie.
Poutine va profiter de cette rencontre pour vanter toutes les merveilleuses choses que la Russie peut faire pour aider Trump à vaincre l’État islamique. Trump serait bien avisé de ne pas le croire. Pourquoi? Parce que d’expérience, Poutine promet souvent la lune à ses homologues et tient rarement parole. Vous souvenez-vous qu’il avait promis de coopérer en Syrie, lors de sa rencontre à l’Onu avec le président Barack Obama à l’automne 2015? Quelques jours plus tard, il lançait ses premières frappes en Syrie.
Une autre raison pour laquelle Trump devra envisager les promesses de soutien de Poutine avec scepticisme est que l’apport potentiel de la Russie dans la bataille n’est pas très clair. Certes Poutine peut proposer une plus grande force de frappe aérienne, mais ce n’est pas de cela dont les États-Unis ont besoin. Plus dérangeant, les partenaires de la Russie dans le conflit syrien (Assad et les Iraniens) et ses règles d’engagement (ou leur absence) mettent Moscou et Washington dans des camps opposés d’un point de vue à la fois géostratégique et tactique. Cela ne signifie pas que Trump et Poutine doivent éviter de parler de la Syrie. Cela signifie simplement que Trump devra se montrer extrêmement prudent, et qu’il ne doit rien échanger —et surtout pas ces deux complexes résidentiels russes saisis par le gouvernement américain à l’automne dernier— contre de vagues promesses de soutien.
Outre la Syrie, les deux dirigeants doivent discuter du recours de plus en plus agressif par la Russie aux tactiques asymétriques comme le piratage informatique et les campagnes de désinformation. Trump pourrait s’inspirer de la récente rencontre entre le président français Emmanuel Macron et Poutine et aborder (en public ou en privé) le sujet des tentatives russes de sape des institutions démocratiques américaines. Trump doit exprimer clairement que nous savons que ces attaques proviennent souvent directement du Kremlin et qu’elles ne seront pas tolérées. Dans la semaine qui a précédé la rencontre des chefs d’État, l’équipe de Trump aurait dû faire une liste de mesures concrètes que les États-Unis prendront si un tel comportement persiste. Étant donné la gravité de la menace, ce sujet mérite bien plus qu’un petit «ça suffit maintenant».
Avoir un plan
Étant donné la foule d’autres sujets à aborder, on ne peut une fois encore que s’étonner de l'annonce par McMaster d'absence d'ordre du jour pour cette rencontre. Les deux dirigeants devraient parler de l’extension du traité de réduction des armes nucléaires New START, de l’instabilité dans les Balkans, du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire et du moyen de prendre des mesures de réduction des risques. Dans une récente lettre adressée à Trump, Sam Nunn, Igor Ivanov, Des Browne et Wolfgang Ischinger ont soumis l’idée de création d’un Groupe de gestion de crise militaire entre l’Otan et la Russie. Quel que soit le sujet des débats des deux présidents, il faut absolument que Trump sollicite contributions et conseils de la part de certains de nos alliés européens les plus proches, dont il verra un bon nombre à Hambourg avant de rencontrer Poutine.
Cette première rencontre entre Trump et la Russie aura d’immenses conséquences pour l’avenir des relations entre nos deux pays ainsi que pour toute la communauté transatlantique. Elle nous révèlera aussi beaucoup sur la manière dont cette administration compte gérer les chefs d’État autoritaires à l’avenir. C’est pour cela qu’il est important de faire les choses comme il faut. Trump doit arriver à cette réunion préparé, bien informé et armé d’idées et de contre-mesures. S’il ignore les préconisations de ses experts sur la question russe et choisit à la place de se fier à son «bon cerveau», le résultat pourrait être catastrophique. Poutine vient à cette réunion fort de dizaines d’années d’expérience, et il a un plan. Il nous en faut un, à nous aussi.
Cet article a été adapté après les allocutions du président américain en Pologne.