Oui, la Provence est désormais la capitale du rosé élu, choisi, devant toutes les autres régions françaises –l’Alsace, l’Anjou, le Languedoc-Roussillon, la Corse…– qui produisent ce type de vin de couleur rose pâle. C’est la teinte à la mode. Des 800 millions de bouteilles de rosé français, 89% proviennent de Provence –cela représente 10% des vins tranquilles bus dans notre pays. La Provence produit 60% des vins rosés, 32% sont consommés en France, le reste à l’export: une explosion des ventes chez nous et ailleurs. Au centre de cette vague rosée qui inonde la planète, 30% des rosés sont exportés vers les États-Unis.
Le Château d’Esclans de Sacha Lichine, fils du regretté Alexis Lichine, propriétaire de châteaux girondins, encyclopédiste des vins du monde, vend cinq millions de cols de rosé provençal (de 17 à 90 euros) –c’est le rosé le plus cher du monde. Cela dit, les rosés d’Esclans sont des exceptions notables: Sacha Lichine a investi 35 millions d’euros dans son domaine de La Motte, près de Fréjus, un coût hors normes et ça marche fort!
Sacha Lichine au Château d'Esclans
D’où vient cette faveur extrême du rosé provençal? Ce n’est plus seulement le breuvage associé à l’été. Le rosé s’est forgé avec le temps une image de vin festif, accessible, convivial qui se boit frais à toute heure du jour et de la nuit, et en toutes saisons. Tout le monde veut boire du rosé quand le soleil darde ses rayons, et que la fraîcheur du vin provoque le désir et le goût de vider les flacons à point –rarement de plus de deux ans d’âge, le rosé se boit jeune.
Le vin de Provence qui remonte à l’Antiquité a développé une vinification spécifique, des cépages adaptés, une couleur avenante et une minéralité rafraîchissante qui sont devenues consubstantielles aux vins.
Le fruité, le coulant, la saveur ont fait de la Provence la référence absolue, c’est le goût aimable que recherchent les buveurs à l’heure de l’apéritif et à table sur d’innombrables préparations classiques comme la salade niçoise, les poissons grillés, le club sandwich en passant par les petits farcis, les tapas, les viandes froides, l’agneau des Alpilles, le veau sauce au thon et la tarte aux fruits de saison.
Autour d’un flacon de rosé frappé ou pas par des glaçons, on ne se lance pas dans des discours savants sur la nature du vin et des cépages –si utiles– on se désaltère, on lève le coude, on échange avec ses voisins et l’euphorie naît et se prolonge: le rosé, c’est le vin de la convivialité et du partage. Il rend heureux.
Le Château Sainte Roseline aux Arcs-sur-Angers
En 1994, Bernard Teillaud, promoteur immobilier près de Grenoble, acquiert auprès du baron de Rasque de Laval le vignoble de Sainte Roseline, 110 hectares, 500.000 bouteilles par an, 50% de rosé, 35% de rouge et 15% de blanc. Et quatre cuvées produites dans cette abbaye restaurée en maison noble.
Sainte Roseline a été canonisée au XIXe siècle: elle distribuait aux pauvres des réserves familiales. Sommée de montrer ce qu’elle avait dans son tablier, il en sort des brassées des roses. Miracle! Sa dépouille mortelle repose dans la chapelle communale de l’abbaye –700 ans d’Histoire.
Bernard Teillaud appartient à cette race de seigneurs de la vigne qui veulent le mieux et le meilleur pour le terroir où sa vie a pris une autre allure. Trente hectares replantés, les chais rénovés, les cuves en inox pour les rosés et les blancs, les chais à barriques pour les rouges –de grands projets en Provence, une magnifique rénovation. L’implication du propriétaire est totale, quotidienne: il vit sur le lieu de production avec sa famille.
Depuis 2007, c’est sa fille Aurélie Bertin qui poursuit le développement de l’abbaye provençale. Les vins sont conçus comme de grands crus grâce à une source bienfaisante et au climat d’influences maritimes: le rendement faible, 45 hectolitres à l’hectare, les raisins sont vendangés de nuit pour la fraîcheur et le label Vigneron en développement durable d’ici à deux ans.
La récolte 2016 a été généreuse et qualitative pour les trois couleurs. Les rosés de la Chapelle (22,70 euros) de couleur pâle et pure expriment une fraîcheur et un fruité bien présents en bouche, tout comme la cuvée Sainte Roseline, le fleuron du château d’une extrême buvabilité – un vin gourmand et enjôleur (16,70 euros). La cuvée Lampe de Méduse est une surprise en rosé et son prix attractif (13,70 euros): tous ces vins sont disponibles à la propriété, expédiés en direct.
À noter que le château au cœur de l’abbaye a été repensé par le grand architecte Jean-Michel Wilmotte, il est habité par la famille propriétaire, le cloître est admirable et l’allée des platanes accueille 40 000 visiteurs par an. Des événements se succèdent tout au long de l’année: brocantes, journées des plantes et des roses, concerts l’été, journée de vendange de la truffe. Et soirée de la Saint-Sylvestre.
Des œuvres d’art sont disséminées dans les jardins, et actuellement des sculptures gigantesques d’Étienne Viard. «Le vin se sent bien quand on s’occupe de son environnement» indique le grand œnologue Jacques Puisais, séduit par la classe des vins.
• 1854, route de Sainte-Roseline 83460 Les Arcs. Tél.: 04 94 99 50 30. Vente des vins (150 000 bouteilles par an) au château et dégustations.
Le Château Roubine à Lorgues
C’est l’histoire d’un coup de foudre pour un site vinicole d’exception traversé par la voie romaine dite Julienne. En 1994, Valérie Rousselle, fille d’un homme d’affaires de Provence, découvre un cirque de vignes argilo-calcaires de 70 hectares. Le vignoble d’un seul tenant est saisissant de beauté et d’harmonie, il a appartenu à l’Ordre des Templiers qui ont une commanderie admirable sur le village de Lorgues, une terre de vins colonisée par les Romains.
Le Château Roubine
En 1953, le ministère de l’Agriculture a fait de Roubine l’un des premiers crus classés de Provence –c’est l’élite de la viticulture locale, il n’y a qu’une douzaine de crus classés dans l’appellation.
Jolie femme élancée, radieuse, fonceuse, Valérie Rousselle a achevé des études d’hôtellerie dans la fameuse école de Lausanne –pourquoi pas? Elle est née pas loin de Lorgues, à Saint-Tropez, où de bons viticulteurs s’escriment à faire naître des vins de consommation courante, particulièrement le rosé des Maîtres Vignerons de Saint-Tropez dont la demande est forte l’été.
En se renseignant sur l’histoire de Roubine, la jeune femme qui connaît le goût des bons vins découvre que le cirque ovale du cru classé et le terroir livrent aussi du rouge et du blanc issus de treize cépages: Roubine mérite que l’on donne une vraie chance à ces terroirs de très ancienne réputation.
Valérie Rousselle au Château Roubine
À la suite d’un stage très complet à l’université du Vin de Suze-la-Rousse dans la Vallée du Rhône, Valérie Rousselle sent qu’elle est attirée par la beauté et la complexité du vignoble. «J’étais comme possédée par son destin à venir. Le vin des Templiers est devenu ma vie.»
La jeune femme n’a pas d’argent, mais sa passion et son «business plan» retiennent l’attention de son père qui se porte caution de l’emprunt obtenu auprès de la banque. Le père est ébloui par sa fille. En effet, elle a étudié les treize cépages plantés sur le vignoble et, très vite, elle sait les reconnaître –entre autres, la dentelle de feuilles du tibouren qui va livrer le rosé divin. Dieu qu’elle goûte bien, dirait George Dubœuf!
Pas de vin sans les bons cépages adaptés au sol: le sauvignon et le rolle pour le blanc élégant, le syrah et le cabernet pour le rouge puissant (pour la table) et la clairette associée au tibouren pour le rosé d’un fruité fin et séduisant.
Elle s’entoure d’un œnologue, Olivier Nasles, pour élaborer le vin, d’un chef de culture, Jean-Louis Francone, pour exprimer au mieux la typicité du terroir, d’un maître de chais, Pierre Gerin, pour la vinification et le style des vins de caractère.
Dans le cahier des charges, elle impose un rendement de 45 hectolitres à l’hectare, les vendanges la nuit à la machine: elle loge les rosés dans des cuvées en inox, pas d’élevage, et des fûts de chêne pour les rouges.
Très vite, dès les années 2000, elle pressent que le rosé grâce au tibouren aura un grand destin. C’est la nature devant elle qui la guide, c’est alors qu’elle créée Inspire en blanc, rouge et rosé: c’est le meilleur de ce que la vendage lui offre.
Vins Inspire du Château Roubine
Après Terre de Croix, référence aux Templiers, elle façonne une cuvée Premium et cette année, la cuvée Lion et Dragon, une nouvelle marque destinée à la forte demande mondiale en rosé. Elle a 33 importateurs, un miracle d’efficacité pour vendre les vins sur le globe dont 50% de rosés, 30% de rouges et 10% de blancs.
Le succès dépasse toutes les espérances de la propriétaire –2.500.000 bouteilles en 2016. La mère viticultrice de talent a appris le métier à son fils aîné, très doué pour la vinification.
Roubine affiche 35% de progression en trois ans. «Ici, on ne connaît pas la crise. Le terroir, l’air, le vent, les cadeaux de la vigne nous ont porté vers les sommets.»
L’agriculture raisonnée est au cœur des préoccupations de la propriétaire qui vient d’acquérir 50 hectares du Château Sainte Béatrice, tout près. Bien sûr, le rosé par macération –trois cuvées– est le fer de lance du domaine, le deus ex machina de l’entreprise provençale en plein essor. Les critiques très écoutés Bettane et Desseauve écrivent dans leur guide 2017: «Les vins produits sont de tout premier ordre, ils reflètent le potentiel exceptionnel du terroir.» Encore fallait-il s’y intéresser, repérer les lieux et s’investir à Roubine, ce qu’elle fait et bien fait.
• 4216, route de Draguignan 83510 Lorgues. Tél.: 04 94 85 94 94. Vins à la propriété à partir de 13,50 euros pour le rosé Premium. Vente chez les cavistes, au rayon des grandes surfaces. Maison d’hôtes sur le vignoble, 120 euros la nuit.
Autres rosés de Provence
Domaine Gavoty
Le vignoble de Clarendon, ex-critique musical du Figaro, est tenu par Roselyne Gavoty dont les vins blancs et rouges se bonifient avec le temps, il y a des merveilles connues des bons sommeliers –le 2015 par exemple. À partir de 14,50 euros. Pour de bons amateurs.
• Le Grand Campdumy 83340 Cabasse. Tél.: 04 94 69 72 39.
Domaine Gavoty
Domaine Hauvette
Cette grande dame du vin de Provence signe des bouteilles recherchées par les amateurs et les restaurateurs. En rouge comme en blanc, de grands vins à partir de 20 euros et le rosé inoubliable.
• Quartier Haute Galine, ancienne Voie Aurelia 13210 Saint-Rémy-de-Provence. Tél.: 04 90 92 03 90.