Je lis déjà les commentaires: du blablabla, de la hauteur mais il nous perd dans les nuages, des bons sentiments mais pas de mesures concrètes, des objectifs mais pas de moyens. Macron prétentieux, Macron grandeur mais grandeur surtout de lui-même. Bref, pour la première fois qu’on a un président qui, depuis bien longtemps, a du jus dans le crâne, un président qui a une vision du monde et de la France en Europe et dans le monde, de la politique, de l’économie, les commentateurs nous le rapetissent. À nouveau, comme toujours, ils ne savent que cela, commenter les jeux de pouvoir. Les poux cherchent des poux dans sa tête.
Pardon, mais le discours à Versailles devant le parlement réuni en Congrès avait au moins un mérite, celui de nous dire que la France s’est perdue et qu’elle ne se retrouvera, unie, fière, confiante, que si elle retrouve une grande ambition. La France est devenue petite, bagarreuse, rapetissée justement, parce qu’elle a perdu le fil de sa belle histoire. C’est la thèse du président. Cette thèse mérite un débat plus sérieux que les pia-pia des aigris.
Si vous voulez comprendre quelque chose à Emmanuel Macron, retenez le mot «dignité». Il l’a prononcé une dizaine de fois. Il s’agit de rendre sa dignité, hélas perdue ou étouffée ou abîmée, d’abord à chacun, c’est «la vie digne pour tous»; ensuite à la politique, elle en a bien besoin; enfin à l’homme lui-même. La dernière phrase éclaire le tout:
«Nous rendrons le service que le peuple français attend de nous. Nous resterons fidèles à cette promesse de nos commencements, cette promesse que nous tiendrons parce qu'elle est la plus grande, la plus belle qui soit : faire à l'homme, enfin, un pays digne de lui».
La France «le pays digne de l’homme»? Bigre, ça met la barre haute effectivement…
Parler haut
Le Macron est tout simple en vérité: il veut inscrire son quinquennat dans cette grandeur de l’Histoire de France, celles des Lumières et celle de 1789. «Liberté, égalité, fraternité». On remarquera qu’il a employé ce dernier mot, pourtant comme tombé en désuétude, pour parler de l’intégration l’un des échecs les plus cruels du pays et qu’il veut rénover, transformer. Quand certains accusent les institutions, veulent une VIe République, conspuent le chef de l'État soupçonné d’installer un pouvoir personnel, Emmanuel Macron balaie tout cela.
Non, la dégradation de la France ne vient pas de ses institutions trop présidentielles, elle vient de ce que «leur esprit a été abîmé», plus encore de ce que les responsables se sont égarés, ils ont perdu toute espèce de sens général. Progressiste, Emmanuel Macron le revendique pour ce qui est des politiques publiques, il en laisse la «mise en œuvre» à son Premier ministre, lui veut d’abord être le restaurateur de la «dignité» de la politique. D’où son besoin de parler haut, et même très haut, d’où la complémentarité, la non-concurrence, avec le discours d’Edouard Philippe.
Une bonne vie, un bon travail
Quelles dignités? Celle au travail. Il s’agit de l’axe général des réformes économiques et sociales. Il ne faut pas se tromper par une lecture primaire. Emmanuel Macron ne veut pas seulement simplifier le code et/ou abaisser les charges pour que la France fasse comme les autres pays, enfin, et retrouve un taux de chômage normal. Il le veut, il le demande au gouvernement. Mais, il est beaucoup plus ambitieux, il veut que le travail retrouve sa dignité.
Le travail est l’entrée dans la vie sociale (Macron ne partage pas du tout les visions de la fin du travail d’un Hamon), c’est dans le travail que chacun doit pouvoir exprimer son habileté, sa curiosité, sa créativité. On lira à ce sujet Edmund Phelps, le prix Nobel, qui explique que la légitime revendication de chacun d’avoir «une bonne vie» passe par le travail en société (La Prospérité de masse, Odile Jacob).
On rira de ce trop d’ambition quand les emplois qualifiés sont remplacés par des robots et que les classes moyennes ont peur du déclassement. Mais justement, la politique doit donner des emplois mais elle ne peut plus se contenter de mauvais emplois: la Grande-Bretagne a montré que cela ne suffit pas. Emmanuel Macron vise haut: il veut requalifier la production en France. Tel est du moins le cap.
Éthique de l'action
Dignité de la politique, n’insistons pas. La confiance des électeurs ne reviendra que par les résultats, non par les lois qui s’alignent les unes derrière les autres mais par l’efficacité. Le cap est ici le réalisme, le pragmatisme, la fin des «faux-procès» menés par l’extrême gauche à l’école comme à l’usine entre excellence et égalité, entre la réussite de quelques-uns et le revenu de tous. Moins de députés, moins de lois, plus d’évaluation, plus de vitesse aussi: le travail parlementaire devrait abandonner son verbiage pour «pas à pas» modifier ce qui doit être, telle est «l’éthique de l’action».
Dignité de l’homme: ce dernier chapitre du discours, celui consacré à la politique étrangère n’est pas le moins ambitieux. Refaire l’Europe conformément à l’héritage des fondateurs, c’est à dire autour des valeurs humanistes, d’abord. Puis, devant les menaces, les guerres, les dictateurs, les séductions de l’illibéralisme, bref dans un monde devenu très dangereux, la France doit retrouver ses racines et, crânement, vouloir «un projet humaniste pour le monde». Réexporter en somme Les Lumières. Et le mot n’a pas été prononcé mais il le sera: le capitalisme inhumain doit être humanisé.
Du blablabla? C’est ne pas comprendre l’époque et ses guerres, terroristes, politiques et économiques. Emmanuel Macron nous dit : la France telle qu’elle toujours été, est un modèle d’avenir. On peut demander des gages et de l’efficacité. Penser que «l’enthousiasme que commencement» embellit. Mais dire que ce discours n’est que de la carrière d’un petit roi, est faire preuve de connerie.