France

Téléphonie mobile: la guerre des ondes est déclarée

Temps de lecture : 9 min

L’Agence de sécurité sanitaire de l’environnement est accusée de tordre la réalité scientifique à des fins politiques.

Depuis quelques mois on sentait poindre l’orage. Il vient d’éclater. Trois Académies (celles de Médecine, des Sciences et des Technologies) ont décidé d’en découdre. Elles viennent de prendre position dans le dossier controversé des risques sanitaires - réels ou fantasmés - inhérents à l’exposition aux ondes des antennes-relais de la téléphonie mobile. Dans une déclaration commune elles accusent l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (Afsset) de tordre la réalité scientifique pour des motifs politiques. Selon les académiciens rien, d’un strict point de vue scientifique, ne justifie d’engager des actions visant (comme le réclament plusieurs associations) à réduire les niveaux d’exposition de ces antennes-relais. En réponse Martin Guespereau, le directeur général de l'Afsset s’indigne des accusations dont il fait l’objet.

Retour en cinq actes sur l’une des affaires les plus emblématiques de celles qui, dans le domaine sanitaire, voient jusqu’à quelles dangereuses impasses peut conduire le recours systématisé au concept du principe de précaution.

Acte I. Deux décisions de justice

Tout commence avec deux jugements qui ont fait grand bruit. Le 16 février, la société SFR était condamnée par le tribunal de grande instance de Carpentras (Vaucluse) à démonter l'une de ses antennes-relais située à Châteauneuf-du-Pape. Quelques jours auparavant Bouygues Télécom avait également été condamné par la Cour d'appel de Versailles à démonter une antenne située sur la commune de Tassin la Demi-Lune (Rhône). Dans les deux cas les magistrats tranchaient en faveur des plaignants. Leurs décisions étaient pour l'essentiel fondées sur l'«incertitude» dans laquelle la science se trouverait quant à dire ci ces appareils ont, ou non, un impact sur l'organisme de certaines des personnes vivant à proximité. Etait aussi invoquée, de manière plus traditionnelle, la notion de «trouble anormal de voisinage».

Acte II. Première alerte

Peu de temps après, dans une initiative sans précédent, l'Académie nationale de médecine condamnait publiquement ces deux décisions de justice. Rude charge. La vénérable institution (fondée en 1820 et en charge de conseiller le gouvernement français sur les grandes questions sanitaires) accusait alors des magistrats -par définition indépendants- de ne pas avoir fondé leur décision sur des données scientifiques. Elle dénonçait aussi avec vigueur l'usage qui était fait du principe de précaution par une justice qui s'éloigne des données objectives et fait une priorité du «ressenti des plaignants».

Est-on ici dans l'incertitude? L'Académie de médecine le contestait formellement. «Les antennes de téléphonie mobile entraînent une exposition à des champs électromagnétiques de 100 à 100.000 fois plus faible que les téléphones portables: être exposé pendant 24 heures à une antenne à 1 volt par mètre donne la même exposition de la tête que le fait de téléphoner avec un téléphone portable pendant 30 secondes, rappelait cette institution. On ne connaît d'autre part aucun mécanisme par lequel les champs électromagnétiques dans cette gamme d'énergie et de fréquence pourraient avoir un effet négatif sur la santé. L'Organisation mondiale de la santé et la Commission européenne se sont prononcées unanimement sur l'absence de risque de ces antennes.» Elle ajoutait, preuves à l'appui, que les magistrats avaient fait une lecture erronée de la littérature scientifique. Poursuivant son réquisitoire l'Académie expliquait encore qu'à ce jour aucun système sensoriel humain permettant de percevoir ce type de champ électromagnétique n'a pu être identifié.

A peine les académiciens venaient-ils de s'exprimer que le gouvernement annonçait l'organisation d'une «table ronde» sur ce thème programmée le 26 mars. Plusieurs organisations d'écologistes, postulant la nocivité de la téléphonie mobile criaient déjà victoire réclamant un «Grenelle des ondes».

Acte III. La double lecture de l’Afsset

15 octobre. L’Afsset rend publics les résultats d'une expertise collective sur les effets biologiques et sanitaires de la téléphonie mobile et de l'ensemble des ondes de radiofréquences. Cette expertise avait été initialement lancée en août 2007 à la demande des ministères en charge de la Santé et de l'Environnement. Ces résultats étaient a priori rassurants. «Les données issues de la recherche expérimentale disponibles n'indiquent pas d'effets sanitaires à court terme ni à long terme de l'exposition aux radiofréquences», pouvait-on lire dans les conclusions. C’était compter sans la curieuse lecture que devaient en faire la direction générale de l’Afsset.

Sur la question la plus sensible les experts commis par l’Agence concluaient que la demande de réduction des niveaux d'exposition liés aux antennes-relais (régulièrement formulée par le milieu associatif) ne repose sur aucune justification scientifique. Mieux, ils ajoutaient qu'en toute hypothèse il faudrait évaluer avec soin les conséquences d'une telle réduction, la multiplication du nombre des antennes pouvant paradoxalement entraîner une augmentation de l'exposition de la tête aux radiofréquences émises par les téléphones mobiles. «Protéger» les personnes qui vivent à proximité des antennes-relais conduirait ainsi, peut-être, à «mettre en danger» les utilisateurs des téléphones portables. Cruelle alternative.

Or le 15 octobre, à peine ce rapport était-il rendu public, que les responsables de l'Afsset créaient l'évènement. Certes expliquaient-ils en substance, il n'existe pas de «démonstration probante» de l'existence d'effets autres que thermiques, mais des interrogations demeurent concernant notamment les effets biologiques sur le long terme. Pour le dire autrement «le contexte est incertain» et «on ne peut formellement montrer l'inexistence d'un risque». Aussi faudrait-il, entre autres mesures d'information à visée préventive de la population, réduire les niveaux d'exposition.

Une situation pour le moins étonnante. Résumons-la. Des hommes de science sont sollicités pour éclairer les décideurs. Ils répondent qu'ils n'observent pas de risques avérés. Ceux qui les ont saisis décident que cette réponse, nécessaire, n'est pas suffisante, le bon sens réclamant de faire comme si le risque existait. Les hommes de science annoncent que le remède pourrait être pire que le mal supposé et on feint de ne pas les entendre. «Au nom de la précaution, et en inversant la charge de la preuve, des recommandations officielles sont formulées parce que la science ne peut formellement montrer l'inexistence d'un risque, écrivions-nous alors. Incidemment, on aimerait savoir comment on démontre qu'un risque n'existe pas. Toujours par précaution, on postule donc que ce risque existe et on demande aux scientifiques de tout mettre en œuvre pour le débusquer. On adopte ainsi une démarche pour le moins ambiguë: faire appel à la science et anticiper sur ce qu'elle pourra — ou ne pourra pas — mettre en lumière, demain. C'est, à tout le moins, le symptôme éclairant d'un grand désarroi collectif.»

Mi-octobre les trois ministères de la Santé, de l'Écologie et de l'Économie numérique assurèrent alors que ces recommandations seraient «largement intégrées dans les actions actuellement en cours» et qu'elles permettraient «d'accélérer la dynamique engagée par le Grenelle des ondes». Avant toute chose ne pas braquer les bruyants militants des associations spécialisées.

Acte IV. La triple alerte des Académies

L'Académie nationale de Médecine, celle des Sciences et celle des Technologies ont à leur tour constitué un groupe d'experts auquel a été demandé un avis sur les risques sanitaires des radiofréquences. Or voici que ce dernier «approuve sans réserve les conclusions du rapport scientifique de l’Afsset sur les radiofréquences qui confirment celles de nombreuses autres expertises collectives».

«Ce rapport représente une somme de travail considérable et couvre avec pertinence et pédagogie les questions posées par l’impact sanitaire éventuel des communications sans fil et en particulier de la téléphonie mobile. Il donne aux citoyens et aux élus les éléments scientifiques nécessaires à une gestion apaisée des questions posées par la téléphonie mobile et permet d’éclairer la justice, viennent de faire valoir les académiciens. Il montre tout d’abord que les hypothèses concernant les mécanismes biologiques qui auraient pu être à l’origine d’un effet sanitaire des radiofréquences n’ont pas été confirmées(…) Il met également fin à certaines polémiques.»

C’est pourquoi les trois Académies «s’étonnent» (terme diplomatique) que la présentation de ce rapport «n’ait pas particulièrement insisté sur ces aspects rassurants». Elles relèvent aussi que le rapport des experts indique (page 400) :

«aucune preuve convaincante d’un effet biologique particulier des radiofréquences n’est apportée… À ce jour, il ressort de cette analyse que, en conditions non thermiques, les radiofréquences supérieures à 400 MHz ne modifient pas les grandes fonctions cellulaires…»

Ce qui est en contradiction avec le communiqué de presse qui commence par:

« Le rapport de l’Afsset met en évidence l’existence d’effets des radiofréquences sur des fonctions cellulaires, rapportées par une dizaine d’études expérimentales considérées par l’Afsset comme incontestables ».

Elles rappellent que «des mesures de précaution préconisées sans justification suffisante ne peuvent que renforcer artificiellement les préoccupations de la population» et «sont de nature à créer un stress supplémentaire dont l’impact non négligeable en termes de santé publique doit être mis en balance avec le bénéfice sanitaire attendu». Elles «déplorent» (terme moins diplomatique) que certaines études aient été présentées comme «incontestables» invitant à réduire l’exposition aux antennes-relais. «Ceci ne ressort ni du rapport scientifique de l’Afsset, ni des conclusions des autres rapports récents, ni de l’analyse de ces études, martèlent-elles encore. Des mesures de réduction des expositions ne peuvent aujourd’hui relever que d’une décision de gestion politique.»

Soutenant la réflexion conduite actuellement sur une «Charte de l’expertise» (qui «éviterait la traduction inexacte des données de l’expertise scientifique en termes de mesures sanitaires») et recommandant de poursuivre les recherches épidémiologiques et biologiques dans le domaine des radiofréquences, les trois Académies «alertent sur une réduction irréfléchie de l’exposition aux antennes-relais qui pourrait aboutir à un effet inverse pour la grande majorité des français, sans bénéfice sanitaire pour les autres».

Le Pr André Aurengo, chef du service de médecine nucléaire du groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière (par ailleurs ancien membre du conseil scientifique de Bouygues) s'est déclaré «choqué» que l'on veuille «faire endosser aux experts des décisions politiques».

Acte V. L’indignation de l’Afsset

Martin Guespereau, directeur général de l'Afsset, a réagi en soulignant que les conclusions de l'agence avaient été soumises à l'avis de son comité d'experts spécialisé qui les a selon lui «validées». «Il n'y a pas une feuille de papier à cigarettes entre ce que disent les experts et ce que dit l'Afsset», a-t-il déclaré à l'AFP. «Il m'est reproché d'avoir voulu inquiéter en parlant d'abord des 11 études montrant des effets biologiques avant les 86 autres qui ne montrent rien. Même si ce sont des signaux faibles, ils ne doivent pas être cachés à la population, estime-t-il. Les trois Académies estiment qu'il ne faut rien faire. C'est une opinion (…) Je suis très surpris de cette attaque. C'est indigne.»

En d’autres temps l’affaire se serait réglée sur le pré. Où, cette fois, trouvera-t-elle son épilogue?

Jean-Yves Nau

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Image de une: Reuters/Beawiharta Beawiharta

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