Marie* est une jeune femme à la voix douce, timide, son allure est passe-partout, ses gestes calmes, presque lents: ce n’est pas un hasard, c’est un calcul. Marie ne veut pas attirer l’attention ni dans le métro, ni dans la rue, ni même au restaurant dans lequel nous la rencontrons. Ses yeux furètent partout, derrière, devant et à côté. Ses réflexes sont ceux d’un militaire ou d’un fugitif, pas d’une jeune française qui boit une menthe à l’eau quelque part dans Paris. Marie est une fugitive, une survivante, une revenante.
En mai 2016, on compte plus de 1.900 Français impliqués dans les filières djihadistes, dont 600 sont présents en Zone Irako-syrienne, parmi eux, 250 femmes. Marie a été l’une d’elle.
Sa situation même à Paris est fragile. Parce qu'elle a très peur des jeunes gens, encore vivants, qui l’ont convaincue de venir en Syrie à Raqqa, en 2015. Parce qu'elle a honte aussi du drame dans lequel elle a plongé ses proches, de la terreur qu’elle a provoquée chez eux et du danger dans lequel elle a embarqué son fils de 5 ans.
Fragile aussi parce que Marie ose parler, dénoncer ce qu’elle nomme comme l’horreur, alors «ils» la menacent. «Ils»: les membres de l’Etat islamique qui enferment, torturent et tuent quand on ne pense pas comme eux, dit-elle d’emblée.
Marie parle, c’est une grande gueule ici comme là-bas, alors là-bas elle sera très vite bouclée dans une madafa, mi-couvent, mi-prison, réservée aux femmes seules, et à leurs enfants, la Madafa la fait encore trembler rien que d’y penser.
Cet hiver 2015, elle a 30 ans. Deux de ses amis sont partis en zone irako-syrienne. Via de simples échanges sur la messagerie WhatsApp, ils vont toucher sa corde sensible, message après message: «Marie viens nous aider, ici tu feras le bien…» Marie fait croire à son mari qu’elle part en Turquie pour une mission humanitaire, que tout sera beau et léger et que leur fils ne risque rien. Marie ne reste pas en Turquie, on vient la chercher pour rejoindre clandestinement la Syrie, Raqqa, le fief de l’Etat Islamique en 2015.
Comment se sont passées vos premières heures à Raqqa?
Quand je suis arrivée à Raqqa, j’avais des questionnements, mais pas forcément de peur. Pour la première fois, je voyais des gens armés. Les premières 24 heures ont été calmes. Je me souviens avoir observé les choses autour de moi, ces quartiers, ces bâtiments. Et il fallait absolument trouver la fameuse tenue: le sitar. J’avais échangé avec eux, je savais que j’aurai besoin de me couvrir la tête et le corps là-bas.
«J’ai porté le sitar en disant à mon enfant que c’était un vêtement de super héros»
Que ressentez-vous quand vous portez pour la première fois le sitar?
En l’enfilant, je me suis dit que c’était le seul moyen d’entrer en contact avec les gens que je souhaitais aider. Parce que c’est le seul moyen pour se déplacer hors de l’appartement pour une femme. C’est vrai que cet espèce de masque devant le visage, c’est quelque chose qui gêne. Quand on n’est pas habitué, ce n’est pas facile de voir ce qu’il se passe devant soi. Je l’ai porté en disant à mon enfant que c’était un vêtement de super héros.
Vous pensiez faire le super héros là-bas?
Je voulais plaisanter avec mon fils devant cet habit qu’il n’avait pas l’habitude de voir. Je suis réellement partie en pensant faire de l’humanitaire. Je souhaitais donner de ma personne et de mon temps auprès de cette population de Raqqa, avec le peu de moyens que j’avais.
Pourtant quand vous êtes partie en 2015, on parlait déjà des décapitations, de la violence…
Malgré tout cela, je me disais qu’il était possible de vivre à Raqqa, en tout cas le temps de ma mission humanitaire. Les Daeshiens y vivaient et nous rassuraient. J’ai demandé comment ça se passait, s’il était possible de se soigner en cas de problème, de se nourrir, de se déplacer. J’avais confiance en mes contacts, qui étaient des sortes de chaperons.
Pensiez-vous pouvoir repartir?
J’étais absolument convaincue que je pourrai repartir. J’avais eu pas mal de doutes. Et les jeunes gens avec qui j’échangeais avant le départ ont à chaque fois réussi, avec leurs mensonges, à me convaincre qu’un voyage retour était possible. C’est ce qui m’a conduit à emmener mon fils.
Vous avez un mari, une famille. C’est assez loin du stéréotype des jeunes femmes qui partent…
D’après ce que j’ai pu constater, je ne pense pas qu’il y ait un stéréotype de ces femmes qui partent et prêtent allégeance à Daesh. Tous ceux qui adhèrent à Daesh ne sont pas que des fous ou des déséquilibrés. Je pense être une personne «normale». Et d’ailleurs, je n’adhérais pas à cette organisation, ni à ce genre de mouvance ou à la violence.
«Les femmes de Daesh se comportaient comme des personnes qui venaient coloniser, qui venaient apprendre ce qu’était un bon musulman. Elles percevaient les syriennes comme des sous-femmes qui avaient besoin d’être rééduquées»
Et dès votre arrivée, on vous propose un logement?
C’était un très grand appartement pour deux personnes, meublé, dans un bâtiment assez chic. En arrivant, j’ai été étonnée et choquée de trouver de la vaisselle un peu déplacée, laissée là en toute hâte. Cela pouvait laisser penser que les gens qui étaient là avaient dû partir précipitamment et laisser leurs affaires.
Quelque chose n’allait pas donc…
Je me demandais à qui pouvait appartenir ce logement et pourquoi ses propriétaires avaient dû le laisser à ces jeunes qui me l’ont loué. Je leur ai demandé. Ils m’ont répondu très calmement que les gens étaient partis à la frontière pour faire soigner un de leurs enfants
Et ensuite c’est la grande désillusion…
J’apportais mon aide dans une maternité. J’ai vite constaté le comportement choquant des femmes occidentales envers les femmes syriennes qui venaient se faire soigner. Cela se traduisait par des remarques enfantines envers elles, des insultes. Ou elles ne faisaient pas attention aux plaintes que pouvait avoir une maman qui venait d’accoucher par césarienne, réclamant de l’aide, des médicaments ou même de l’eau. Elles avaient un comportement qu’elles n’auraient jamais eu au sein des hôpitaux en Europe. Elles avaient du pouvoir sur ces syriennes, issues de milieux très modestes. Leurs maris étaient plutôt bien placés dans l’armée de Daesh. Elles se comportaient comme des personnes qui venaient coloniser, qui venaient apprendre ce qu’était un bon musulman. Elles percevaient les syriennes comme des sous-femmes qui avaient besoin d’être rééduquées. J’ai été écœurée.
Que faites-vous alors?
Une dizaine de jours après notre arrivée, j’ai demandé à mes «chaperons» de tout faire pour nous permettre de rentrer en France. J’ai dit que je souhaitais partir plus tôt que prévu parce que je ne trouvais pas ma place. C’était pour moi impossible de rester dans ces conditions, entourée de ces occidentales.
Ils ont d’abord été calmes et rassurants. Pour eux, il fallait que j’attende un peu, que je me force un peu à aller à la clinique, que j’étais fragile, que j’allais supporter. J’ai dit que je n’avais plus l’intention de mettre les pieds à la maternité. Ça a duré pas mal de temps. Presque tous les jours je demandais quand je rentrerais.
«Daesh leur donnait tout ce qu’ils ne pouvaient pas avoir en Europe. Des maisons, des voitures parfois, même des femmes»
Ont-ils tenté de vous convaincre du bien-fondé de Daesh?
Eux mettaient très souvent en avant le fait qu’ils aidaient la population, qu’elle vivait sans avoir de bombes qui leur tombaient sur la tête. Il n’y avait peut-être pas de bombes, mais la population est opprimée. Il est très difficile de se nourrir car les denrées coûtent cher. Moins pour les occidentaux qui arrivent avec des dollars et des euros dans les poches... Daesh leur donnait tout ce qu’ils ne pouvaient pas avoir en Europe. Des maisons, des voitures parfois, même des femmes.
Et puis ça a dégénéré?
J’ai été enfermée dans l’appartement. Mes «chaperons» ont récupéré ma clé et ont fermé derrière eux. J’avais compris ce qu’ils faisaient réellement. Ils ne venaient pas faire de l’humanitaire, mais c’était des soldats de Daesh. Ils tuaient. Ils ont compris que je ne souhaitais pas revenir en arrière. Mon but était de rentrer en France. M’enfermer-là était une manière de me faire réfléchir, et peut-être de céder.
Qu’est-ce qui se passe dans votre tête à ce moment-là?
C’est l’enfer. Je pensais vraiment pouvoir rentrer grâce à ces jeunes qui m’accompagnaient jusque-là. Mon cerveau fonctionnait à 200 à l’heure parce qu’il fallait que je trouve un moyen pour pouvoir nous extirper de là, mon fils et moi. Et en même temps, je n’avais plus de moyens d’être en contact avec mes proches.
Pourquoi?
Ils m’ont pris mon téléphone pour que leur milice vérifie les informations que j’aurais soit-disant données à l’Etat français. Comme ils sont tous paranoïaques, ils imaginent que tout le monde est un peu espion. J’avais des échanges corrects avec ma famille. Je leur donnais des nouvelles, je les rassurais sur le fait qu’on était en vie, en disant qu’on souhaitait rentrer très prochainement, que j’allais faire le nécessaire. C’était purement familial et rien de plus.
Quel est le quotidien d’une femme qui ne veut pas rester à Raqqa?
On est condamné à rester enfermée. On ne peut pas échanger avec des hommes, donc on ne peut pas acheter des tickets, se déplacer seule dans les transports en commun et ainsi sortir de Raqqa. Les personnes que je croyais connaitre sont très vite devenues des bourreaux. Ils m’ont dit: «de toute façon tu vas faire quoi? Tu vas essayer de t’enfuir? Ici tu n’es rien, tu n’es qu’une femme». Ils m’ont bien fait comprendre que si je l’ouvrais un peu trop, je serai frappée, enfermée ou tuée tout simplement. Pour eux, c’était assez facile de faire disparaitre une femme parce qu’il n’y a pas d’identité, on n’existe pas. Les échanges ont commencé à être violents, jusqu’à ce qu’ils me jettent dans une madafa.
«Dans la madafa, les femmes applaudissaient et montraient à leurs enfants les tueries, les tortures, les égorgements et les personnes brûlées dans des cages»
Racontez-nous la vie dans une madafa…
C’est une espèce de grande maison à étages où nous étions une cinquantaine de personnes, femmes et enfants en bas âge. Chacun restait dans sa chambre, sa cellule. Il y avait un espace commun qui était une espèce de salle avec une télévision où passaient régulièrement des films de propagande de Daesh pour continuer à laver les cerveaux et endoctriner ces femmes et ces enfants.
Cette madafa était tenue par une matrone, une femme d’une soixantaine d’années qui disait souhaiter mourir ou se faire tuer pour Allah. Cette femme était plus que convaincue. Elle n’avait pas commencé son djihad en Syrie: son endoctrinement avait commencé bien avant. Et elle avait du pouvoir: c’est la seule femme que j’ai vu au volant d’une voiture à Raqqa, alors que les femmes n’avaient pas le droit de conduire.
Qu’aurait-elle fait si elle avait su que vous vouliez partir de la madafa?
Déjà les portes étaient fermées bien évidemment, elle tenait les clés. Il n’y avait pas de sortie sans son accord, sans être chaperonnées par elle-même ou ses bras droits.
Mais si elle avait su elle aurait été prête à me faire enfermer ou tuer. Les gens sont tués pour avoir des convictions différentes de Daesh, les gens sont tués car ils sont soupçonnés d’être homosexuels, les gens sont tués parce qu’ils sont chrétiens. Parce qu’ils ont d’autres confessions et d’autres idéaux. Si elle l’avait su, je ne serais pas là aujourd’hui.
Et la religion dans tout ça?
J’ai eu beaucoup de mal dans cet endroit à comprendre et essayer de trouver où était la place de l’islam. Ça m’a beaucoup questionnée car les gens de Daesh essayent de mettre l’islam en avant pour attirer les musulmans. Ayant côtoyé et vu quelques temps ces personnes-là qui pour moi n’avaient d’attirance que pour l’extrême violence, que pour la mort, je n’ai pas vu où pouvait s’immiscer la religion là-dedans. J’ai plus vu dans cette télévision des images de leur soi-disant réussite aux combats, de la capture de leurs ennemis, des moments où ils les égorgeaient avec plaisir. On a l’impression que le sang les attire plus que la religion.
Même les femmes?
Même les femmes. Dans la madafa, elles avaient l’air de cautionner tout ce qu’elles voyaient dans les vidéos de propagande. Elles applaudissaient, elles riaient et elles montraient à leurs enfants les tueries, les tortures, les égorgements et les personnes brûlées dans des cages. La plupart avaient l’air bien. Être enfermées n’était pas un problème pour elles. Elles vivaient leur vie comme si tout était normal.
Ont-elles l’air heureuses?
Je ne sais pas si c’est un bonheur de façade pour ne pas montrer qu’elles veulent rentrer et se faire attraper par la matrone, ou les bras droits. Parmi ces femmes, certaines servent d’espionnes pour la matrone. Tout le monde s’épie pour dénoncer celles qui «dévient». Mais certaines paraissent bien.
«Le but est de faire grandir les enfants dans la violence»
Comment ces femmes peuvent-elles adhérer à un tel mode de vie?
De ce que j’ai pu voir dans la madafa, ou à la clinique, elles cherchent ce qu’elles n’ont pas forcément pu avoir en France. Majoritairement, elles suivent les maris. Pour certaines, elles épousent une cause sans savoir vraiment ce qui les attend là-bas. Pour celles qui y vont de leur propre chef, ou attirées par les rabatteurs de Daesh, elles idéalisent ces hommes qu’elles pourraient épouser: des combattants. A entendre leurs remarques, on a l’impression qu’elles ont en face d’elles des surhommes, qui sauraient les protéger, et les respecter. Certaines ne le sont pas dans nos pays occidentaux. Elles idéalisent leur comportement. C’est en arrivant qu’elles se rendent compte que ce qu’elles vivent est un retour en arrière de plusieurs siècles. Elles ne sont plus des femmes, elles deviennent des objets que les hommes peuvent déplacer à souhait, remplacer même.
Certaines veulent-elles que leurs enfants soient des moudjahidines?
Dans cette madafa, les mères éduquaient leurs enfants, de tous âges, pour qu’ils deviennent des hommes forts, des futurs combattants. La plupart de ces jeunes garçons étaient très turbulents, assez violents. Ils avaient l’habitude d'être enfermés en permanence, de voir des scènes de combats et de décapitations que Daesh leur passaient en permanence. La seule chose qu’ils peuvent faire entre eux c’est crier, se battre, reproduire ce qu’ils voient à la télévision: la violence, le sang. Et c’est ce que leur transmettent leur mères. Le but est de faire grandir les enfants dans la violence.
Comment êtes-vous sortie de cette madafa?
Je me suis enfuie pendant la préparation du mariage d’une jeune belge. C’était un après-midi, où ces fameuses portes qui sont en permanence fermées à clés étaient ouvertes. Il y avait pas mal de mouvements dans la madafa ce jour-là, et nous en avons profité avec mon fils pour retrouver la liberté.
«Rester là-bas c’était mourir. S’enfuir c’était risquer de mourir»
Mais si on vous rattrape, vous mourez…
J’avais l’impression de suffoquer auprès de ces personnes-là, de mourir à petit feu. J’avais commencé une grève de la faim pour qu’on puisse me laisser rentrer, leur montrer que je n’avais rien à faire là-bas et que je ne supportais pas de rester auprès de Daesh. Rester là-bas c’était mourir. Ces gens représentent la mort. C’était une réelle souffrance. Psychologiquement et physiquement c’était atroce pour moi de voir mon fils rester des semaines ou des années de plus. S’enfuir c’était risquer de mourir, mais on avait peut-être 50% de chances de réussir à tomber dans les mains bienveillantes de Syriens qui nous aideraient. J’ai décidé de tenter notre chance en sachant très bien qu’on allait vers la mort, peut-être.
Donc vous partez coûte que coûte…
Je devais sortir mon fils de cet enfer, et vivant si possible. Je ne voulais pas que ces personnes en fassent une espèce de soldat prêt à tuer tout et n’importe quoi. Le but était qu’il retrouve notre pays: la France. Il fallait que je le sorte de là, il n’avait rien demandé, il était innocent, il ne méritait pas de voir ça.
Vous avez simulé être très malade, pensant que Daesh vous laisserait partir à la frontière pour des soins…
Au début je leur disais que je me sentais mal et c’était vrai puisque je ne pouvais pas vivre auprès d’eux. Et puis je leur disais que j’étais malade, qu’il fallait absolument qu’ils me fassent rentrer en France. C’était un moyen d’avoir leur compassion, leur pitié et de leur faire comprendre que ni physiquement, ni psychologiquement je n’étais en phase de tenir ou d’être chez Daesh. J’espérais un retour vers la France.
Et ça a marché?
Pas du tout. Ils ne font pas revenir les gens juste parce qu’on est malade. Daesh estime être mieux que n’importe quel pays du monde. Ils se considèrent comme un Etat. Ils m’ont recommandé quelques hôpitaux qu’eux avaient là-bas, c’est tout. Ils savaient très bien que si je retournais en France, je ne reviendrai pas chez eux. J’aurais eu des vérités à dire sur ce que j’ai pu voir, entendre, sur l’enfer que j’ai vécu. Je devenais un ennemi mais un ennemi qu’il fallait garder là-bas parce que j’étais mieux surveillée.
C’était une manière de garder votre silence?
Daesh ne veut surtout pas dire la vérité. Ils ne disent pas ce qu’ils font subir à la population. Ils ne disent pas que ceux qui font défection aux rangs de Daesh, lorsqu’ils sont attrapés, sont emprisonnés, ou le plus souvent tués. Ils vendent du rêve, mais ce n’est qu’une vitrine pour attirer les gens qui pensent, pour certains, se rendre utiles auprès de cette organisation envers la population syrienne. C’est impossible et inhumain d’aller auprès de Daesh.
Comment gérer les revenantes?
Malgré ce qu’elles ont fait, on doit les accueillir. Elles reviennent d’un endroit interdit, elles ont épousé des idéaux que nous Français, Européens, nous rejetons. Les laisser dans la nature, pointer du doigt et stigmatiser, je ne pense pas que ce soit une bonne chose. Il serait plus bénéfique que l‘Etat fasse faire des suivis sur du long terme pour ces femmes et ces enfants qui reviennent. Eux sont de réelles victimes, et n’ont pas de réels suivis dans ce que j’ai pu entendre autour de moi.
Vous avez reçu de l’aide?
L’Etat ne m’a pas aidé. Il récupère les personnes qui reviennent, et décide de les emprisonner ou pas. Mais après la case prison, il n’impose pas un suivi psychologique ou psychiatrique, et n’accompagne pas non plus ces personnes-là vers cette démarche. Ça me parait très dangereux. On peut emprisonner une personne pendant des dizaines d’années si on veut, si elle est complètement embrigadée, elle continuera de nourrir des idéaux extrémistes même si elle fait croire le contraire. Et en prison, une personne sera entourée d’autres détenus qu’elle risque d’attirer vers cette radicalisation.
Pour vous, les bénéfices de la prison sont très limités?
Il faut emprisonner et enfermer ceux qui présentent une menace pour le pays. Mais ceux qui reviennent sans de réelles accusations, sans sang sur les mains doivent juste être suivis. Il faut aider les personnes à sortir de ce traumatisme et de cet embrigadement. La chance que j’ai eu c’est de ne pas tomber totalement dans cet engrenage. Cela m’a permis de réfléchir et d’analyser ce qui a pu arriver, ce qui m’a conduit dans ce piège. La majorité des personnes ne peuvent pas le faire parce qu’elles ont passé énormément de temps là-bas, ce qui nécessite un plus long travail. Le but est d’aider et essayer de comprendre pour mieux lutter contre ces vendeurs de rêve de Daesh. Il faut faire comprendre que l’ennemi n’est pas forcément l’islam, qui est une religion comme d’autres en France. L’ennemi c'est Daesh, c’est contre ça qu’il faut lutter.
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En mars 2015, 136 femmes françaises ont été recensées comme candidates au djihad sur le front irako-syrien, contre 125 hommes.
Fin 2015, près de 1.800 Français étaient impliqués dans les filières djihadistes en Irak et en Syrie. Près de 600 d'entre eux sont encore sur place. Parmi eux, environ 220 femmes auraient rejoint les rangs de Daesh, selon un rapport confidentiel des services de renseignement auquel France Inter a eu accès. Le nombre de femmes djihadistes est ainsi trois fois plus important que deux ans auparavant. Enfin, près de 250 Français sont revenus de Syrie et d'Irak.
Environ 650 sont présents sur place, dont 250 femmes et une vingtaine de mineurs, selon le ministère de l’intérieur.
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