Monde / Société

Tous les présidents s'appellent César

Temps de lecture : 2 min

Les fans de Donald Trump se plaignent que leur héros soit représenté sous les traits de l'empereur assassiné dans une nouvelle adaptation de la pièce de Shakespeare. Ils ont tort.

Détail de La mort de César de Vincenzo Camuccini (1805).
Détail de La mort de César de Vincenzo Camuccini (1805).

En novembre, Donald Trump s'était plaint quand son futur vice-président Mike Pence s'était fait alpaguer à une représentation de la comédie musicale Hamilton à Broadway. Cette fois-ci, ses partisans (dont un de ses fils) s'insurgent contre une mise en scène modernisée de la pièce de Shakespeare Jules César dans Central Park, où l'empereur est clairement représenté sous les traits du président (spoiler: César se fait assassiner). Des militants pro-Trump ont perturbé les ultimes représentations et des grands groupes qui sponsorisaient le théâtre ont retiré leur soutien financier.

L'épisode est la preuve que les fans de Trump ne comprennent pas grand-chose à Shakespeare, ni à l'histoire. Déjà parce qu'ils devraient être flattés de voir leur héros être comparé à un grand homme public, un grand stratège et un grand écrivain. Dans la pièce, le portrait de César –qui disparaît dès le début de l'acte III– est plutôt positif comparé à celui de ses assassins, qui s'entredéchirent aussitôt et meurent ou se suicident au combat.

Clinton et Obama

«Combien de siècles lointains verront représenter cette grande scène, notre œuvre, dans des États à naître, et dans des accents encore inconnus!», s'exclame Cassius après l'assassinat de César. La comparaison entre le destin de l'empereur et les événements politiques contemporains est récurrente, au théâtre comme ailleurs. En 2015, la pièce avait été adaptée avec une femme dans le rôle de César en guise d'Hillary Clinton. En 2012, avec un comédien noir pour figurer Barack Obama.

Dans le film d'Oliver Stone, JFK, très favorable au président, le procureur Jim Garrison tente de convaincre un de ses lieutenants de la théorie du complot gouvernemental: «Qui a tué César? Dix ou douze sénateurs.» Et l'assassin même d'Abraham Lincoln, John Wilkes Booth, décrivait dans son journal le jour de l'assassinat comme «les ides»... Cette analogie vaut à l'étranger aussi: ainsi, en 1960, l'écrivain Jules Roy comparait De Gaulle à César, accusant les «conjurés» de l'époque (l'OAS notamment) de vouloir abattre l'homme qui défendait «l'espoir d'une paix juste et d'un règlement honorable entre les frères ennemis».

Vulgaire expérience

Comme l'explique Rob Melrose, le metteur en scène du Jules César version Obama, la pièce de Shakespeare nous alerte avant tout sur les impasses de la violence politique:

«Peu importe à quel point vous croyez votre cause vertueuse, l'assassinat comme façon de changer de régime a des conséquences terribles, et contrôler l'histoire à travers la violence est impossible.»

Elle nous montre aussi, qu'on se place du côté d'un personnage ou de l'autre, les mécanismes d'ambition, de séduction, de lâcheté ou de trahison qui président à la politique –et pas seulement chez les hauts dirigeants mais chez tous les citoyens, à Rome comme ailleurs. Tous nos présidents sont des César, et parfois des Brutus, et à la relecture, chacun trouvera forcément une phrase qui lui rappelle le monde de 2017. Celle-ci, par exemple, signée Brutus au début de la pièce:

«Il est d’une vulgaire expérience que la jeune ambition se fait de l’humilité une échelle, vers laquelle elle se tourne tant qu’elle monte; mais dès qu’une fois elle atteint le sommet suprême, elle tourne le dos à l’échelle, et regarde dans les nues, dédaignant les vils degrés par lesquels elle s’est élevée.»

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