«Que d’agressions sexuelles en vue! L’Assemblée nationale, nouvelle maison close», pouvait-on lire au lendemain du premier tour des législatives parmi les réactions Facebook à plusieurs articles sur la qualification de 460 femmes au second tour, sur 1.154 candidats.
«Elles veulent être aux premières loges pour faire la bise à Macron», «L’Assemblée Nationale va sentir bon!», «La buvette de l’Assemblée Nationale va faire des économies», «Elles feraient mieux de faire le ménage chez elles». Et on en passe…
Mais parmi les commentaires, on trouvait aussi beaucoup d’encouragements, des félicitations, bref, de quoi ne pas désespérer quant au recul du sexisme dans l’hémicycle durant les cinq ans à venir.
2012-2017, la palme du quinquennat le plus sexiste?
Sifflets, caquètements, manterrupting ou encore mansplaining –le fait d’interrompre une femme ou de lui expliquer avec condescendance un sujet sur lequel elle a plus de connaissances… Outre qu'on ne comptait que 155 femmes à l'Assemblée (pour 577 députés), la dernière législature a brillé en matière de comportements sexistes.
Deux députés ont fait l’objet de sanctions du président de l’Assemblée. Philippe Le Ray, député UMP du Morbihan, a été privé d’un quart de ses indemnités pendant un mois pour avoir imité des bruits de poule lors de la prise de parole de Véronique Massonneau, élue EE-LV. Idem pour son collègue LR Julien Aubert qui avait abusé du «Madame LE Président» à l’égard de Sandrine Mazetier, qui dirigeait la séance.
Mais ces cinq dernières années ont aussi vu l’enquête sur l’affaire Baupin être classée sans suite, une députée se faire huer pour avoir abordé le harcèlement sexuel au sein de l’Assemblée et une ministre se faire siffler car elle portait une robe à fleurs. Dans le cadre de sa campagne, Cécile Duflot a prêté sa fameuse robe à cinq femmes pour qu’elles témoignent du sexisme dont elles ont pu faire l’objet.
Depuis la loi Rebsamen de 2015, le sexime figure déjà dans le code du travail… dans la section Égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et pas dans la partie du code dédiée à la discrimination ou au harcèlement, c’est-à-dire les parties traitant des agissements interdits.
Traduction: pas de sanction prévue par la loi. Celles-ci peuvent en revanche figurer dans le règlement intérieur des entreprises. Problème, le règlement de l’Assemblée nationale ne fait pas mention du sexisme, ni à l’intérieur de l’hémicycle et encore moins à l’extérieur. Les sanctions prises contre les deux députés l’ont été dans le cadre de rappels à l’ordre inscrits au procès verbal, régis par l’article 70 du chapitre 14: Discipline, immunité, déontologie.
Pour modifier ce règlement, les députés doivent voter un amendement avec les voix de 3/5e de l’hémicycle. Alors avec 223 femmes élues à l’Assemblée, y a-t-il un espoir pour que le sexisme recule au Palais Bourbon?
«Une assemblée féminine n’est pas une assemblée féministe»
Selon Catherine Coutelle, ancienne députée de la 2e circonscription de la Vienne (2007-2017) et ancienne présidente de la Délégation de l’Assemblée nationale aux Droits des Femmes, l’équation «plus de femmes égal moins de sexisme» est hasardeuse:
«C’est une assemblée féminine qui arrive. Mais pas forcément une assemblée féministe. Beaucoup de femmes ne sont pas féministes. Je ne sais donc pas si des lois pour l’égalité homme-femme et contre le sexisme pourraient être prises plus facilement qu’avec l’Assemblée actuelle.»
Mathilde Julié-Viot, collaboratrice parlementaire de Noël Mamère, est l’une des créatrices du site Chair collaboratrice, une plateforme qui invite les parlementaires et collaboratrices à témoigner d’actes de sexisme dont elles sont victimes au quotidien. Pour elle non plus l’arrivée d’un nombre plus important de femmes à l’Assemblée ne garantit pas la disparition des comportements déplacés du jour au lendemain:
«Il faut prendre des précautions car il y a beaucoup de femmes qui reproduisent les schémas de domination masculine et qui les ont intégrés. Ce n’est pas car plus de femmes sont élues que ce sera la révolution. C’est quelque chose qui se fera progressivement.»
Être une femme députée n’implique pas forcément de s’engager contre le sexisme, donc. Et pour cause: en octobre 2013, lorsque les 232 femmes parlementaires françaises sont invitées à se réunir pour prendre une photo en réponse à l’agression sexiste subie par Véronique Massonneau, seules 76 répondent à l’appel.
Le sexisme: grand absent de la législation
L’autre obstacle qui se dresse sur le chemin de l’éradication du sexisme à l’Assemblée est de taille: la législation. Comment combattre un ennemi absent des textes de lois? «C’est très difficile», assure Sarah Corpereau, juriste à Paris. Participante à L’Opération Robe de Cécile Duflot, elle pointe du doigt le règlement «lacunaire» de l’Assemblée nationale.
«Il ne prévoit pas les comportements sexistes. Ils peuvent être condamnés dans le cadre de l’article 70 mais jamais le mot “sexisme” n’est écrit. Il rentre en général dans la case “injure” ou “menace”, il n’est pas autonome.»
Un vide juridique qui se retrouve dans le code de déontologie de l’Assemblée remis à chaque député(e) en début de mandat. «Là encore, aucune mention du sexisme», déplore Sarah Corporeau. Même quand des faits de sexisme à l’Assemblée ont été reconnus, les sanctions ont été «insuffisantes», selon la juriste. «L’arsenal de sanctions ne peut pas être assez puissant, car les textes mêmes n’évoquent pas le sexisme.»
Mathilde Julié-Viot et les Chair collaboratrices ont quant à elles tenté de modifier le fameux code de déontologie. «Il y avait besoin du vote de la majorité du bureau de l’Assemblée –composé du Président, des vice-présidents, des questeurs et des secrétaires de l’Assemblée.» Mais sans succès.
«À l’Assemblée, il y a le tiers état, la noblesse et le clergé. L’administration c’est la noblesse. C’est donc très difficile de faire bouger les statuts. Ils ont toujours l’impression qu’on va jeter l’opprobre sur l’institution. Il y a une inertie.»
Elle affirme cependant que son collectif a obtenu gain de cause pour mettre à disposition des collaborateurs et des députés des informations relatives à leurs droits et au sexisme.
Catherine Coutelle, présidente de la délégation de l'Assemblée nationale au Droits des femmes (à gauche) et Catherine Lemorton, présidente du comité des Affaires sociales (à droite), lors d'une session parlementaire le 1er décembre 2016. JACQUES DEMARTHON / AFP
Collaboratrices et députées: toutes concernées
«Mais le sexisme est encore plus dur à l’encontre des collaboratrices», affirme Catherine Coutelle. Celles qui travaillent dans l’ombre, dans des petites circonscriptions où elles sont parfois seules avec leur député, ont «plus de mal à dénoncer les paroles, les actes de sexisme » selon l’ancienne députée.
«On nous considère souvent comme les secrétaires, alors que les collaborateurs hommes sont les conseillers spéciaux. Ce n’est pas normal, surtout que l’on est souvent plus diplômées qu’eux», déplore Mathilde Julié-Viot.
Ce n’est donc pas uniquement un sexisme apparent, celui capté par les caméras et repris par les médias, qui sévit à l’Assemblée nationale. Mais bel et bien un sexisme aussi présent dans l’hémicycle qu’à l’extérieur, à l’encontre des députées comme des collaboratrices.
Moraliser la vie publique… et condamner le sexisme?
Le premier chantier du quinquennat Macron est lancé, sous la forme du projet de loi pour «la moralisation et la transparence de la vie publique». Interdiction pour les ministres d’employer des membres de leur famille, limitation du cumul des mandats… mais aucune trace d’une quelconque interdiction du sexisme. Pourtant, on peut légitimement se demander si la condamnation du sexisme n’aurait pas eu sa place au sein d’une loi qui affirme vouloir rendre la politique plus «morale». Selon Sarah Corporeau, l’interdiction des pratiques sexistes ne peut pas passer par ce projet de loi:
«Avant de savoir ce que contenait cette loi de moralisation, je pensais que le sexisme y avait sa place. Mais la loi présentée concerne la corruption, les conflits d’intérêt, le cumul des mandats… Y inscrire le sexisme ne serait pas rendre service aux femmes car il serait noyé dans une masse de réglementations avec lequel il n’a aucun lien.»
Mathilde Julié-Viot pense au contraire que l’inscription du sexisme ne serait pas dénuée de sens. Dans le projet de loi porté par François Bayrou, on peut lire que «l’exercice de fonctions parlementaires implique une exigence renforcée sur la probité des élus: parce qu’ils représentent la Nation, les parlementaires ne peuvent se prêter à des comportements inacceptables ni être le jouet de puissances ou de lobbies».
Pour Chair collaboratrice, le sexisme pourrait donc se rapprocher du conflit d’intérêt évoqué et condamné dans le projet de loi et les sanctions appliquées devraient être similaires.
Il ne reste qu’à espérer que le nombre grandissant de députées femmes permette de faire apparaître le sexisme dans la législation, car il s’agit de la seule façon de pouvoir le condamner.
Plus de femmes, plus d’espoir
Même si toutes les députées élues ne se diront pas féministes, le fait que 223 sièges de l’Assemblée leur soient réservés risque de limiter la probabilité d’actions sexistes collectives, au moins dans l’hémicycle, mais aussi dans leur travail avec les collaboratrices.
Même si certaines députées qui se sont battues pour moins de sexisme n’ont pas été réélues, elles s’assureront que le travail entamé ne soit pas abandonné. Pour perpétuer son action au sein de la délégation des droits des femmes, Catherine Coutelle a lancé la création d’une association d'entraide, pour coacher les nouvelles arrivantes à l’Assemblée.
«L’association vise à accompagner les nouvelles députées. Elles pourront nous poser des questions sur le métier, nous interroger lorsqu’elles seront confrontées à des situations face auxquelles elles ne savent pas quoi faire, comme le sexisme. Le but est aussi de les encourager à réclamer des postes importants au Parlement, souvent occupés par des hommes», explique Catherine Coutelle.
Le nombre de femmes à l'Assemblée bat des records (38,6%) mais il y a encore de très (très) mauvais élèves ( l'@UDI_off) #legislatives2017 pic.twitter.com/CDFsDPiSpN
— BuzzFeed Politique (@BuzzFeedFRpol) 19 juin 2017
Le privé aussi sexiste que l’Assemblée: une arme pour les nouvelles députées
Dans cette nouvelle Assemblée, venir du privé pourrait se révéler être un avantage pour les femmes. Laetitia Avia, nouvelle députée LREM de la 8e circonscription de Paris, est avocate. Dans les colonnes de Libération, on peut lire que le mot «féministe» l’a longtemps «embêtée» mais, depuis qu’elle est «en marche», elle l’endosse enfin, «sans être une Femen». Interrogée par Slate.fr, elle se dit «confiante».
«Je n’ai absolument pas peur d’aller à l’Assemblée et d’y être confrontée au sexisme. Je suis dans le milieu des affaires –un milieu très masculin– depuis longtemps et j’ai appris non pas à faire avec le sexisme, mais à faire contre.»
Pour que les nouveaux députés se saisissent du sujet, Catherine Coutelle avait discuté avec Claude Bartolone d’une journée de formation sur le sexisme et le harcèlement pour les collaborateurs et les collaboratrices. Actée oralement, cette journée n’a pas encore été mise en place et approuvée par le bureau de l’Assemblée. Du côté des collaborateurs, la victoire de Chair Collaboratrice avait été de pouvoir mettre à disposition des informations sur le sexisme et sur les droits des femmes à l’Assemblée.
Nous avons contacté le Palais Bourbon pour savoir si ces informations figureraient dans la documentation distribuée aux nouveaux députés et si, à défaut de prendre une journée entière, la question du sexisme serait abordée pendant les réunions de formation. Nous n’avons eu qu’une réponse partielle, nous renvoyant vers la fiche de synthèse sur l’accueil des députés (aucune mention du sexisme) et une explication succincte du contenu des réunions: «le statut des députés et la déontologie ; le député employeur ; la procédure législative ; les fonctions de contrôle et d’information».
Médiatisation et leçon de l’étranger
Depuis quelques années, les médias se sont emparés de la question du sexisme à l’Assemblée. «Pas assez», selon Mathilde Julié-Viot, mais tout de même. L’avantage des sessions parlementaires est qu’elles sont intégralement filmées et donc diffusables sur les réseaux sociaux. Pour la jeune collaboratrice parlementaire, cela permettrait aussi de pouvoir sanctionner des attitudes sexistes collectives comme celles observées lors de l’épisode de la robe de Cécile Duflot.
Mais ces sanctions ne pourront être mises en place de manière récurrente que si le mot sexisme intègre le règlement de l’Assemblée. Face aux réticences pour le réformer et aux difficultés que présenterait l’introduction du sexisme dans la loi de moralisation de la vie publique, les solutions pourraient nous venir de l’étranger.
En Belgique, il existe depuis 2014 une loi entièrement dédié à la lutte contre le sexisme. Elle prévoit des sanctions sous forme d’amendes et d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à un an de réclusion. Dans une interview publiée sur le site du secrétariat d’État chargé de l’Égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa a pu noter qu’on disposait aujourd’hui «d’un arsenal de lois intéressant qui est censé garantir l’égalité entre les hommes et les femmes. Pour autant, dans les faits, les choses ne changent pas ou très peu (...) mener une politique d’égalité entre les femmes et les hommes, c’est aussi protéger toutes les victimes de sexisme».
L’augmentation significative du nombre de députées femmes n’est pas étrangère au succès de La République en marche!, qui a obtenu la majorité absolue avec 308 sièges sans compter les 42 remportés par le MoDem. Plus de la moitiés des candidats investis par le parti étaient en effet des candidates. Il faut désormais que ces femmes participent activement –avec leurs collègues hommes– à l’éradication du sexisme à l’Assemblée, et que la parité voulue par Emmanuel Macron ne soit pas à l’image du gouvernement, où les trois postes de ministres d’État sont occupés... par des hommes.