France

Macron, ou le triomphe provisoire du «bloc bourgeois»

Temps de lecture : 3 min

Au duel des pôles gauche-droite est en train de s'en substituer un autre, que le nouveau président remporte pour l'instant grâce à la dynamique de la victoire du 7 mai et à une base socialement plus mobilisée.

Emmanuel Macron à l'hôtel de ville de Paris, le 14 mai 2017 | CHARLES PLATIAU /  AFP.
Emmanuel Macron à l'hôtel de ville de Paris, le 14 mai 2017 | CHARLES PLATIAU / AFP.

Juste avant la présidentielle, les économistes Bruno Amable et Stefano Palombarini analysaient dans un petit livre stimulant publié aux éditions Raisons d'agir, L'Illusion du bloc bourgeois, les nouvelles lignes de fracture de l'électorat français. Dans cet ouvrage qui a suscité l'intérêt des Échos comme de L'Humanité, ils pointent la dislocation progressive, sous le poids de leurs contradictions, des traditionnels blocs de gauche (fonction publique et salariés faiblement qualifiés, longtemps représentés par le PS et le PC) et de droite (salariés du privé, professions intermédiaires, indépendants, agriculteurs, longtemps représentés par les gaullistes et les libéraux), pour laisser place à de nouveaux blocs en gestation autour de la question européenne: un bloc «bourgeois» alliant les fractions de la gauche et de la droite les plus favorables à la poursuite de l'intégration européenne sous une forme «néolibérale», et un bloc «souverainiste».

Qualifié de «champion du bloc bourgeois» par Bruno Amable, Emmanuel Macron a nettement gagné la présidentielle et son parti s'apprête à remporter une victoire écrasante aux législatives, avec une majorité qui pourrait atteindre 80% des sièges. Sans même parler de l'effet répulsif que continuent à exercer les positions et l'histoire du FN sur une bonne partie de l'électorat, le bloc souverainiste est profondément divisé et ne s'observe pas en une simple addition Le Pen + Dupont-Aignan + Mélenchon, comme le faisait l'économiste Jacques Sapir en parlant d'un «souverainisme implicitement majoritaire» au premier tour et d'une «victoire culturelle des idées souverainistes».

Ainsi, selon l'enquête électorale Ipsos/Cevipof, 51% des Français pensent qu'il faut aller vers davantage de protectionnisme et 49% vers davantage de libre-échange, mais on retrouve exactement cette coupure chez les électeurs de Mélenchon, favorables à 48% à davantage de libre-échange, contre 12% chez ceux de Le Pen et 27% chez ceux de Dupont-Aignan. Comme le pointe l'ouvrage d'Amable et Palombarini, la droite «souverainiste», qu'il s'agisse du FN ou de Debout la France, a aussi dans son ADN des mesures économiques très libérales incompatibles avec les positions de la France insoumise.

Les positions de l'électorat du premier tour de la présidentielle sur le libre-échange et le protectionnisme, selon l'enquête électorale Ipsos / Cevipof / Le Monde.

Le bloc «bourgeois» incarné par Macron s'est lui solidifié depuis la présidentielle (témoin l'entrée de ministres LR au gouvernement ou le soutien implicite accordé à plusieurs parlementaires PS) et bénéficie de la dynamique liée au succès du 7 mai ainsi que de l'effet du mode de scrutin majoritaire: celui-ci, qui récompensait traditionnellement les partis sachant nouer des alliances de second tour, va cette année sacrer celui qui a, dès le premier, siphonné une partie de l'électorat sur sa gauche et sur sa droite.

Mais il bénéficie d'un autre facteur essentiel. «Même dans l'hypothèse d'une réunification complète des fractions pro-européennes du bloc de gauche et du bloc de droite, le bloc bourgeois resterait socialement minoritaire, écrivent Amable et Palombarini. Seul le retrait des classes populaires de l'échange politique et leur abstention massive lors des élections –ou l'extrême dispersion du vote– pourraient lui permettre de s'imposer.» Plus loin, ils ajoutent: «Un quart de l'électorat peut se traduire dans un pourcentage bien plus élevé des voix exprimées si environ 60% des classes populaires continuent de s'abstenir.»

Nous y sommes. Comme le pointait sur son blog, avant même le premier tour, le politiste Christophe Bouillaud, l'abstention différentielle peut aider un parti socialement minoritaire à devenir politiquement nettement majoritaire. Entre le 23 avril et le 11 juin, l'abstention a grimpé de près de 30 points, mais cette hausse a été respectivement de 24 points chez les cadres et de 37 points chez les ouvriers. Les électeurs du «bloc souverainiste» se sont nettement moins mobilisés que la moyenne, ceux du «bloc bourgeois» beaucoup plus.

L'abstention au premier tour des législatives en fonction du vote au premier tour de la présidentielle (Ipsos).

Reste désormais à savoir si le «bloc souverainiste» sera susceptible de dépasser ses contradictions pour proposer une alternative, ou si celles-ci viendront d'autres horizons: une reconstitution d'un «bloc des droites» dont rêve une partie du Front national, une résurrection du «bloc des gauches» qu'ambitionne Jean-Luc Mélenchon sous sa conduite... Si le «bloc bourgeois» se maintient, il pourrait aussi, ont estimé Amable et Palombarini, bénéficier «d’un retour un peu miraculeux de la croissance» pour «élargir sa base à une fraction des classes populaires».

Un autre scénario, évoqué par Christophe Bouillaud, est plus pervers: celui dans lequel la base du «bloc bourgeois» deviendrait de plus en plus minoritaire mais où les «perdants», de plus en plus nombreux, seraient aussi de plus en plus atomisés, et donc désincités à s'exprimer dans les urnes. Comme l'expliquait lundi à la radio le géographe Jacques Lévy, «dans la fidélité communiste, il y avait une temporalité indéterminée qui faisait qu'on était fidèles parce qu'un jour, on gagnerait. Or, les tribunitiens d'aujourd'hui, qu'ils soient Front national ou France insoumise, quand ils ne gagnent pas, cela les déprime, et du coup ils ont du mal à garder leur mobilisation».

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