Le premier tremblement de terre du dimanche 11 juin a eu lieu avant même la fermeture des bureaux de vote: l'annonce d'un taux d'abstention record (51,3% au final) qui a fait de ce premier tour des législatives le plus boudé de la Ve République. À 20 heures, deuxième séisme, davantage attendu celui-là, avec l'annonce d'une probable majorité absolue de députés LREM-MoDem. Mais un séisme dont l'ampleur exacte s'est révélée au fil de la publication des résultats dans la soirée, comme autant de répliques dans un paysage dévasté. Illustration en six points.
Le groupe parlementaire le plus important de l'histoire?
Dimanche prochain, La République en marche pourrait disposer du groupe parlementaire le plus étoffé de l'histoire de la Ve République. Jusqu'ici, le record appartient à l'UMP entre 2002 et 2007, avec 365 sièges sur 577 en comptant les députés apparentés (en 1993, la droite parlementaire disposait d'une force de frappe totale encore plus forte avec 472 sièges, mais répartie entre deux groupes RPR et UDF de force sensiblement égale). Les projections réalisées par les différents instituts de sondages dimanche soir donnent entre 400 et 455 députés à la nouvelle majorité, sachant que celle-ci devrait comporter un groupe MoDem, à qui LREM avait accordé une cinquantaine de circonscriptions gagnables. Le groupe du parti présidentiel pourrait donc compter jusqu'à 400 élus.
La bérézina des sortants
Selon les chiffres du ministère de l'Intérieur, 124 députés sortants ont été battus dès le premier tour. La percée de LREM et celle, dans une moindre mesure, de la France insoumise, a même valu à certains sortants une véritable humiliation puisqu'une trentaine d'entre eux recueillent moins de 10% des voix. La décision de plus d'un tiers des députés de ne pas se représenter constituait la première lame du renouvellement; la deuxième vient de passer avec l'écrasement de certains au premier tour. La troisième est prévue pour dimanche prochain, puisque certains sortants qualifiés sont en position très précaire: selon notre pointage, on devrait compter entre 75 et 140 sortants seulement dans la prochaine Assemblée nationale.
Sur 577 députés, 345 se sont représentés, et 223 ont passé le cap du premier tour : le renouvellement en une image https://t.co/qsrElEZOVo pic.twitter.com/FMjRv4gqwX
— franceinfo (@franceinfo) 12 juin 2017
La disparition des duels PS-LR
En 2012, le PS et ses alliés et la droite parlementaire (alors représentée par l'UMP et le Nouveau Centre) s'affrontaient en duels dans plus de 400 circonscriptions. La configuration «typique» du second tour était donc un duel PS-UMP. Dimanche prochain, on pourra compter sur les doigts des deux mains le nombre de circonscriptions ou PS et LR, soit les deux principales forces politiques françaises depuis le début du siècle, et les deux qui bénéficient des financements publics les plus importants, s'affronteront: citons la 4e des Vosges, la 1e de la Réunion, la 3e d'Ille-et-Vilaine, la 18e de Paris, la 4e de la Sarthe, la 5e de Seine-Maritime et la 1e de Mayotte. À l'exception de la première, La République en marche n'avait présenté aucun candidat dans ces circonscriptions.
Des départements entiers qui basculent
Des territoires qui étaient monocolores, ou quasiment, en 2012, vont voir leur géographie électorale complètement bouleversée le 18 juin. Dans les Yvelines, l'UMP et l'UDI contrôlaient dix circonscriptions sur douze il y a cinq ans; dimanche prochain, tous leurs candidats seront en ballottage défavorable, et parfois très défavorable, avec des candidats LREM régulièrement au-dessus de 40%. Dans le Var, les huit circonscriptions étaient à droite en 2012: cette année, seuls deux candidats LR sont qualifiés, tous les deux en ballottage défavorable.
Le même phénomène se constate à gauche, par exemple dans ce qui fut longtemps un de ses bastions, le Nord-Pas-de-Calais: en 2012, l'ensemble des partis de gauche y contrôlaient 22 sièges sur 33; dimanche soir, elle n'y a qualifié que cinq de ses représentants (dont aucun socialiste!), même si le front républicain devrait lui permettre d'empocher au moins trois sièges dans le Nord. En Seine-Saint-Denis, où les socialistes avaient imposé leur leadership en 2012 face aux communistes, le PS n'est qualifié dans aucune circonscription et LREM peut ambitionner l'emporter dans une majorité d'entre elles le 18 juin.
En Gironde (dix députés PS sur douze en 2012), les candidats REM et MoDem sortent en tête partout et les socialistes n'ont que cinq qualifiés, tous face à des ballottages extrêmement difficiles. Dans le Finistère, où ils avaient fait le grand chelem en 2012, les socialistes ne placent que deux candidats en ballottage défavorable au second tour, dont l'ancien ministre de la Justice Jean-Jacques Urvoas. En Haute-Garonne (neuf députés sur dix en 2012), un seul candidat PS se qualifie, à l'issue d'un premier tour qui a déjà coûté leur siège à Gérard Bapt, député depuis 1978, à l'ancien ministre Kader Arif et au «M. Élections» du parti, Christophe Borgel. En Loire-Atlantique, le PS ne qualifie également qu'un candidat au second tour et perd la circonscription de Jean-Marc Ayrault.
Une hécatombe dans les rangs des anciens ministres
Traditionnellement, le statut d'ancien ministre, même issu d'une majorité sortante battue, préserve quelque peu contre une défaite aux législatives. Cette année, on compte pourtant déjà quinze ministres du quinquennat battus dès le premier tour: Cécile Duflot, Aurélie Filippetti, François Lamy, Benoît Hamon, Kader Arif, Christian Eckert, Ségolène Neuville, Mathias Fekl, Pascale Boistard, Martine Pinville, Clotide Valter, Estelle Grelier, Christophe Sirugue, Emmanuelle Cosse et Juliette Méadel (et même seize avec Axelle Lemaire, dont l'adversaire a dépassé 50% dès le premier tour mais n'a pas atteint le seuil de 25% des inscrits).
Dimanche prochain, Jean-Jacques Urvoas, Delphine Batho, Guillaume Garot, Najat Vallaud-Belkacem voire Myriam El Khomri, à Paris, pourraient connaître le même sort (et Annick Girardin, la seule ministre de Hollande qui fait partie du gouvernement Philippe, fait face aussi à un second tour compliqué à Saint-Pierre-et-Miquelon). Les seuls ministres du précédent quinquennat qui devraient s'en sortir sont Manuel Valls, Marisol Touraine, Barbara Pompili, Erika Bareigts, Stéphane Le Foll et Sylvia Pinel.
Un pas de géant vers la parité
La dernière révolution de ces législatives est sans doute la seule dont on peut se féliciter sans réserve: l'explosion annoncée du nombre de candidates élues à l'Assemblée nationale. Comme le pointe le Huffington Post, on compte plus de 40% de femmes parmi les candidats arrivés en tête au premier tour, ce qui laisse deviner un nombre record d'élues dimanche prochain. Depuis 2002, celui-ci progressait sûrement, mais lentement: 13% en 2002, 20% en 2007, 27% en 2012. Le probable record du 18 juin pourrait dans la foulée s'accompagner d'une première, l'élection d'une femme au «Perchoir», pour lequel sont par exemple cités les noms de l'écologiste Barbara Pompili et de la socialiste Brigitte Bourguignon, toutes deux ralliées à LREM, ou de la LR Laure de la Raudière, pas encore assurée d'être réélue.