Il y a six mois, les plus optimistes au sein du Front national tablaient, en cas de bonne dynamique à la présidentielle, sur un groupe parlementaire de 80 à 100 députés. Les «réalistes», eux, misaient sur 30 à 40 députés. Le résultat final va rappeler la formation frontiste à la réalité de son relatif isolement politique: créditée de 13,2% des voix au premier tour, elle obtiendra au grand maximum, dans les projections les plus optimistes pour elle, dix députés le 18 juin.
En cinq ans, le FN a fait du surplace: à l'époque, Marine Le Pen avait «converti» ses 17,9% de la présidentielle en 13,6% aux législatives; cette année, le parti fait donc un peu moins (et moins que son record de 1997: 14,9%) alors que sa présidente s'est qualifiée pour le second tour avec 21% avant d'obtenir près de 34% face à Emmanuel Macron. Cette stagnation va ramener le FN à son plafond de verre habituel, d'autant qu'il lui est toujours très compliqué de l'emporter en duel au second tour (le dernier à l'avoir réussi est le maire de Toulon Jean-Marie Le Chevallier, en 1997) et qu'il y aura peu de triangulaires cette année en raison de la faible participation.
«Aucun risque sauf d'être élue au premier tour»
S'il ne devait en rester qu'un, cela sera sans doute une: Marine Le Pen paraît la mieux placée pour être élue dimanche prochain. Avec 46% des voix, elle partira largement favorite face à la candidate LREM, arrivée trente points derrière, mais ne réalise pas un score fabuleux dans une circonscription dont un de ses lieutenants disait: «À Hénin-Beaumont, elle n'a aucun risque sauf d'être élue au premier tour.»
En revanche, le FN est tout sauf assuré de conserver les deux circonscriptions qu'il avait gagnées en triangulaire en 2012. Dans le Gard, Gilbert Collard est au coude-à-coude au premier tour avec la torera Marie Sara, les candidats LR (14%) et FI (13%) faisant figure d'arbitres du second tour. Dans la troisième circonscription du Vaucluse, conquise en triangulaire par Marion Maréchal-Le Pen, qui avait décidé de ne pas se représenter, son ancien suppléant Hervé de Lépinau est devancé de très peu par la candidate LREM Brune Poirson, qui semble disposer de réserves de voix du côté de LR, voire de la France insoumise.
Plusieurs personnalités sortent elles en tête premier tour. Dans la circonscription voisine de celle de Marine Le Pen, son lieutenant Bruno Bilde est largement premier face à une candidate LREM, qui devra compter sur des très bons reports du PS et de la France insoumise pour l'emporter. Le même scénario vaut aussi, dans le Pas-de-Calais, pour le jeune conseiller municipal de Béthune Ludovic Pajot et l'ancien permanent communiste José Evrard, en tête dans leur circonscription avec respectivement dix et quinze points d'avance sur LREM. Dans la 19e circonscription du Nord, près de Valenciennes, Sébastien Chenu, ancien animeur de GayLib, courant de défense des droits LGBT au sein de l'UMP, arrive en tête avec plus de 33% face à une opposition très fragmentée, quatre candidats LREM, PS, FI et PCF obtenant entre 10% et 18% des voix. À Béziers, Emmanuelle Ménard, l'épouse du maire de la ville Robert Ménard, devance de près de onze points la candidate LREM, avec plus de 35%.
Dans la 2e circonscription des Pyrénées-Orientales, le compagnon de Marine Le Pen, Louis Aliot, devance de peu la candidate LREM avec un peu moins de 31%. En Arles, Valérie Laupies, battue de moins de 1.400 voix par Michel Vauzelle en 2012, arrive en tête avec plus de 28% mais stagne par rapport à son score d'il y a cinq ans. Dans le même département, dans les quartiers nord de Marseille, le sénateur et maire de secteur Stéphane Ravier, qui avait lui aussi frôlé la victoire il y a cinq ans, sort en tête avec six points d'avance sur LREM. Signalons également, parmi les curiosités du premier tour, qu'un candidat FN arrive en tête dans la 6e circonscription de Meurthe-et-Moselle avec moins de 20%, devant une candidate France insoumise et quatre autres candidats recueillant entre 10% et 15%!
D'autres candidats ambitieux sont eux «scotchés» avec des scores d'environ un quart des voix qui risquent de sérieusement leur compliquer la tâche au second tour. C'est par exemple le cas, dans la 7e circonscription du Pas-de-Calais, celle de Calais, de Philippe Olivier, le beau-frère de Marine Le Pen. Dans la 6e circonscription du Var, de Jérôme Rivière, transfuge de l'UMP (il a été député des Alpes-Maritimes entre 2002 et 2007) qui accuse dix points de retard sur LREM. De l'entrepreneur viticole Olivier Bettati, ancien adjoint de Jacques Médecin à la mairie de Nice, désormais candidat à Menton. De Gaëtan Dussausaye, responsable du Front national de la jeunesse, dans l'Oise. De l'identitaire Philippe Vardon dans la 3e circonscription des Alpes-Maritimes. De l'énarque Jean Messiha, un «techno» coordinateur du projet présidentiel de Marine Le Pen, dans la circonscription de Soissons (Aisne). Ou encore, dans la 4e circonscription du Doubs, de Sophie Montel, qui avait raté de moins de mille voix l'élection face au suppléant de Pierre Moscovici, Frédéric Barbier, lors d'une partielle organisée en 2015, et accuse treize points de retard sur ce même Barbier, passé chez Macron...
Philippot, la défaite de trop?
Le constat est encore plus cinglant pour trois personnalités médiatiques éliminées dès le premier tour: Nicolas Bay, le responsable de la campagne législative du parti, dans la 6e circonscription de Seine-Maritime, Jean-Lin Lacapelle, le secrétaire national aux fédérations, plombé par la candidature d'un dissident soutenu par le FN dans la circonscription de Marignane-Vitrolles (Bouches-du-Rhône) et le comédien Franck de la Personne dans la 2e circonscription de la Somme, où se présentait le journaliste et réalisateur François Ruffin. Un sort qui a aussi frappé, dans la circonscription de Cavaillon (Vaucluse), Thibault de la Tocnaye, fils d'un des conjurés de l'attentat du Petit-Clamart, privé de second tour par le candidat LR pour 45 voix, ou Marie-Amélie Dutheil de la Rochère à Sarrebourg (Moselle), à qui il a manqué une petite centaine de voix.
Pendant la campagne électorale, Le Figaro pointait qu'au sein du FN, la tendance «optimiste» se recrutait plutôt chez les partisans de Florian Philippot, surreprésentés dans les circonscriptions gagnables, tandis que ces derniers mois, les «pessimistes» se retrouvaient chez leurs adversaires, les partisans de l'union des droites. La position très précaire du bras droit de Marine Le Pen n'en est que plus significative: à Forbach, il arrive certes en tête avec près de 24% des voix, mais ne retrouve pas son score de 2012, qui ne lui avait déjà pas permis de l'emporter au second tour (un sort qui frappe aussi un de ses proches, Kévin Pfeffer, dans la circonscription voisine, tandis que dans l'Aisne, son frère Damien Philippot se qualifie pour le second tour, mais sans réserves de voix). Une éventuelle défaite le 18 juin n'améliorerait pas la position interne de celui qui est déjà très contesté au sein du FN. Et constituerait sans doute un indice de plus de l'incapacité du parti de remporter des circonscriptions jugées gagnables, qui risque de laisser Marine Le Pen dans une position inconfortable pendant cinq ans: celle de députée sans groupe parlementaire.