Peut-être que cela vous intéresse de savoir qu’il s’agit d’un homme mûr, prof de fac, qui tombe amoureux d’une de ses étudiantes. Elle l’aime aussi, ils s’aiment en cachette. Le prof a une fille qui a le même âge que l’étudiante, après avoir été plaquée par son copain elle vient se réfugier chez son père, cohabite avec cette « belle-mère » de son âge.
Et puis, il y aura l’amitié, la jalousie, la trahison, le désir. Enfin bon ces histoires de la vie affective des humains, des choses qui servent surtout à faire des romans, éventuellement des films.
On ne veut pas dire que ce n’est pas important, que ce n’est pas intéressant, ou émouvant. Ça l’est. Simplement, ce n’est pas là que ça se passe.
Ils s’y mettent à quatre maintenant pour écrire les scénarios des films de Garrel –Jean-Claude Carrière, Caroline Deruas, Arlette Langmann qui a écrit quelques-uns des plus beaux Pialat, et Garrel lui-même, excusez du peu. C’était déjà la même belle équipe pour le précédent film, le fulgurant L’Ombre des femmes. C’est du délicat, du précis, du très complexe qui semble tout simple, du grand art. Et ce n’est toujours pas là que ça se passe.
Les matériaux d'un miracle
Ça, quoi? Ça, la lumière qui éclaire et éblouit; ça, la beauté qui caresse et transit; ça, la chaleur qui réchauffe et qui brûle. Ça, le cinéma.
Le scope noir et blanc, la vibration à fleur de visage de ces deux jeunes femmes qui jamais n’ont pu être ni ne pourront plus être aussi sublimes (croit-on). La musicalité des deux voix off. Une ritournelle de Jean-Louis Aubert. Un homme malheureux qui marche seul la nuit dans Paris. Ce sont les matériaux d’un miracle.
Il y a quarante-cinq ans, un garçon de 23 ans réalisait ce qui était alors déjà son cinquième film. Ce film s’appelait L’Athanor –le nom du four avec lequel les alchimistes transformaient le plomb en or. Enfin eux, ce n’est pas sûr, mais Garrel, oui. Cela fait un bon demi-siècle qu’il transforme le réel en beauté, avec son athanor à lui, le cinéma.
Tous les films de Philippe Garrel ressemblent à des films de Philippe Garrel (ce qui est bien moins évident qu'il n'y paraît). Et chacun est singulier.
Trilogie
Il y a dans L’Amant d’un jour une énergie sexuelle inédite. Il y a d’inattendues ruptures de tonalité entre extrême proximité des personnages à certains moments et grands glissements comme sous l’effet de lois surhumaines, quasi-mythologiques, qui feront basculer le sort des personnages en destin.
Ce que ce cinéaste sait faire des lieux, même les plus ordinaires (incroyable puissance narrative de cet escalier lépreux dès les premières images, quand rien encore n’a commencé), des sons du quotidien, des matières qu’on connaît ou plutôt croit connaître, des mots ordinaires du couple et de la famille, il le fait de manière encore plus impressionnante avec les visages. Et, singulièrement, avec les visages de femmes.
Eric Caravaca et Louise Chevillotte
L’Amant d’un jour est le troisième volet d’une trilogie dont chaque film réunit deux femmes et un homme, Anna Mouglalis et Esther Garrel avec Louis Garrel dans La Jalousie, Clotilde Courau et Lena Paugam avec Stanislas Merhar dans L’Ombre des femmes, cette fois Louise Chevillotte et Esther Garrel avec Eric Caravaca.
On s’en veut de paraître injuste avec ces deux derniers, irréprochables. Mais force est de constater qu’à l’intérieur du miracle général qu’est le film, il se produit un miracle particulier avec cette inconnue, Louise Chevillotte, visage-paysage, corps magnétique, ado-adulte, mystérieuse et pourtant là toute entière, sans ruse ni cachotterie. Un réalisateur qui offre cela à une jeune comédienne (qui le lui rend bien) fait du même coup un merveilleux cadeau à ses spectateurs.
L'Amant d'un jour
de Philippe Garrel,
avec Louise Chevillotte, Esther Garrel, Eric Caravaca.
Durée: 1h16.
Sortie le 31 mai