Culture

Ces criminelles qui nous ressemblent

Temps de lecture : 3 min

En partenariat avec les Assises Internationales du Roman, festival incontournable de littérature, Slate.fr publie chaque jour un texte d'écrivain. Ici, Leïla Slimani raconte ce qui l'intéresse chez les criminelles.

Charlotte Corday conduite à la guillotine par Arturo Michelena (1889)  Via Wikipedia, License CC
Charlotte Corday conduite à la guillotine par Arturo Michelena (1889) Via Wikipedia, License CC

Elles s’appelaient Thérèse, Nana, Gervaise, Claire ou Solange. Elles avaient empoisonné, noyé ou tué avec la plus grande cruauté. Elles n’ont pas de sang sur les mains mais comme la Séverine de Kessel, comme Anna Karénine, Emma Bovary ou Lady Chatterley, elles ont rompu le lien qui les unit à la société. Elles sont toutes devenues des parias, des criminelles: elles sont sorties du rôle qui leur étaient impartis.

Le double crime des femmes

Ces personnages-là m’ont bouleversée, perturbée, obsédée. Très tôt, j’ai eu l’intuition que les femmes n’étaient pas des criminelles comme les autres. Le spectre du crime féminin est extrêmement large puisqu’il va du meurtre à l’adultère, de la perte de virginité à la haute trahison. Le crime féminin ne défie pas seulement la loi, qui s’applique à tous, mais aussi et surtout la norme patriarcale.

Depuis le Moyen âge, les femmes représentent environ 4% de la population pénale et cette rareté les rend à la fois plus fascinantes et, d’une certaine façon, encore plus coupables que les hommes. C’est comme si les femmes commettaient un double crime. Elles sortent, par leur délit, du rôle social qui leur est assigné, celui de pacificatrice, de mère, d’épouse dévouée. Les criminelles contredisent ceux pour qui les femmes ne sont que douceur, bienveillance, amour maternel. Héritière de Pandore, de Médée, d’Eve, la femme criminelle est aussi une figure centrale de la culture populaire, une tentatrice, une pousse au crime, un être diabolique et plein de malice.

La littérature doit accepter l’opacité

Dans mes deux romans, Dans le jardin de l’ogre et Chanson douce, les héroïnes sont «hors la loi». La première, Adèle, est une mauvaise mère, une mauvaise épouse. Menteuse et veule, elle est entièrement guidée par une sexualité compulsive, quasi animale.

Chanson douce, mon deuxième roman, s’ouvre sur une scène de meurtre. C’est peut-être le crime le plus abominable que l’on puisse imaginer, celui de deux enfants en bas âge par la femme censée les protéger, Louise, leur nounou. J’ai voulu raconter Louise non pas comme un personnage classique de criminelle mais comme une femme ordinaire que des circonstances banales vont pousser jusqu’à la folie. Même les monstres ont une histoire. On est considéré comme un monstre à travers l’acte commis, parce que la société vous juge comme tel, mais on n’est pas un monstre par essence. Louise a eu des amis, des fêlures, un parcours, et cette dérangeante liberté qui a précédé le crime est pour moi l’affaire de la littérature. Comme la capitaine en charge de l’enquête, et dont je dresse un bref portrait dans le dernier chapitre du livre, j’ai conscience de mes limites: «l’âme pourrissante» de Louise restera inaccessible en dépit de tous les interrogatoires. Alors que notre époque privilégie la transparence, l’explication, un certain déterminisme, je crois que la littérature doit accepter l’opacité et donner sa place à l’incompréhensible. Je ne suis pas tendre avec mes lecteurs. Plusieurs m’ont dit avoir souffert de vivre au plus près de personnages aussi sombres, aussi dures qu’Adèle ou Louise. J’avais envie de les entraîner dans les méandres de ces psychés malades, d’aller au plus près de la source du mal.

Pour Chanson douce comme pour Dans le Jardin de l’ogre, l’actualité m’a fourni une source d’inspiration. Mais je refuse le raccourci journalistique qui consiste à en faire des romans reposant sur des faits divers. Je suis une lectrice de fait divers même si je ne peux pas, à proprement parler dire que je suis fascinée par le crime. Dans les deux cas, le fait divers n’a pas constitué le cœur de mon travail, je n’ai pas fait d’enquête objective et pointue. La fiction est mon élément, et mon plaisir d’écrivain réside dans la création de personnages.

Le texte de Leïla Slimani a été écrit pour les AIR17, festival conçu et produit par la Villa Gillet, en partenariat avec Le Monde et France Inter, en co-réalisation avec Les Subsistances.

Les AIR17 se tiennent du 29 mai au 4 juin, aux Subsistances à Lyon.(Programme/réservations ici). Leïla Slimani interviendra le jeudi 1er juin à 21H pour un entretien autour de son œuvre.

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