Une panne d'électricité constatée depuis 13h50 affectait lundi 21 décembre une grande partie de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, selon Electricité Réseau Distribution France (ERDF). Selon Réseau de Transport d'Electricité (RTE), cette coupure affecte environ deux millions d'usagers. Cet article dresse un état des lieux de l'électricité en France.
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Attention aux pannes de courant! A peine la température glisse-t-elle de quelques degrés en dessous de 0°C, que la panique s'installe... Que signifient ces menaces de black-out? Pourtant ce phénomène climatique, à la mi-décembre, n'a rien que de très naturel. Et personne n'a été pris de court, le froid ayant eu la délicatesse de s'annoncer avec plusieurs jours d'avance. Mais le système français ne sait plus s'adapter. Et bien que l'énergie soit au coeur de toutes les polémiques et les débats, on ne supporte plus que l'électricité, dont la consommation en France a été multipliée par 10 en cinquante ans, puisse faire défaut.
La production d'EDF est la plus basse de la décennie
Pour Dominique Maillard, président du directoire de RTE, filiale d'EDF et entreprise de service public du transport d'électricité, «la situation est plus tendue que l'an passé» et «très dégradée» à cause d'une moindre disponibilité du parc de production. Référence très claire, faite le 16 décembre, aux dix huit réacteurs nucléaires d'EDF (sur un parc de 58 réacteurs) qui étaient à l'arrêt le mois dernier pour cause d'incidents ou de maintenance: dès l'instant où des opérations programmées sont différées et étalées dans le temps, il se produit des télescopages dans les immobilisations (en l'occurrence, environ 10% des capacités de production). Or à EDF, la direction s'oppose aux syndicats sur les conditions d'exploitation des centrales, la direction voulant obtenir un meilleur taux de disponibilité des réacteurs alors que les syndicats refusent de reconsidérer les conditions de maintenance. Conséquence, sur l'ensemble de la décennie, la production d'EDF n'aura jamais été aussi basse qu'en 2009.
Pour RTE, le résultat est bien là: la France dont le solde des échanges d'électricité était positif sur la même semaine de l'an dernier, aura dû en importer environ 3.500 MW en pointe cette année entre le 14 et le 21 décembre compte tenu des pics de consommation attendus de l'ordre de 90.000 MW, pas loin du record historique de 92.400 MW enregistré le 7 janvier 2009. Et cela était prévu dès fin octobre! En réalité, il faudra probablement importer jusqu'à 8.000 MW en pointe cette semaine.
Les énergies alternatives d'un piètre secours
Pourquoi, si l'anticipation était à ce point précise, n'avoir pas prévu des moyens à la hauteur des besoins? D'abord, l'électricité ne se stocke pas. A part les retenues d'eau dans les barrages hydroélectriques (12% de la production d'électricité en France en 2008) qui peuvent être considérés comme du stockage d'énergie adaptable à la demande, la consommation est alimentée par la production en temps réel des centrales, qu'elles soient nucléaires (77% de la production d'électricité) ou thermiques. On notera que, en plein hiver lorsque les conditions météo sont dégradées, les énergies alternatives sont d'un piètre secours pour répondre à la hausse de la demande. Mais une part du potentiel nucléaire d'EDF est indisponible, rien à attendre dans l'immédiat de l'électricien national. Certes, le marché est déréglementé et il existe d'autres pourvoyeurs d'énergie. Mais, absurdité du système, ils se fournissent pour la plupart auprès... d'EDF. Autrement dit, la libéralisation est totalement incapable de répondre à ce genre de situation.
Les importations proches de la saturation
Reste l'importation. On doit considérer toutefois que, lorsque des intempéries frappent la France, les pays qui peuvent lui fournir de l'électricité - comme l'Allemagne, la Belgique, la Suisse, l'Espagne ou l'Italie - sont rarement totalement épargnés par la météo et doivent aussi faire face à des hausses de consommation. Une chance, les pics de consommation ne sont pas forcément simultanés, ce qui offre des marges de manoeuvre.
Malgré tout, RTE tire le signal d'alarme: «La limite maximale d'importation du système français pourrait être atteinte en cas de diminution supplémentaire de la température», explique Dominique Maillard. Autrement dit, la France est proche de la rupture. Et il souligne la nécessité de mettre en place «les conditions d'un rythme d'investissement compatible avec les enjeux en nouvelles lignes d'interconnexion». En clair, même si le marché européen constitue un moyen efficace de lutter contre les ruptures d'approvisionnement en permettant de mutualiser les capacités au niveau communautaire, il a un grand besoin d'investissement.
Hostilité du public
Actuellement, RTE exploite en France 96.400 kilomètres de circuits aériens et 3.300 kilomètres de lignes souterraines pour transporter l'électricité. Le réseau à 400.000 volts qui constitue de véritables autoroutes de l'électricité pour transporter l'énergie sur de longues distances, est long de 13.000 kilomètres. C'est lui qu'il conviendrait de renforcer, aussi bien pour pouvoir augmenter les importations que pour alimenter les différentes régions françaises. Toutefois, les problèmes sont multiples. Il faut non seulement dégager des investissements pour lesquels les temps de retour sont extrêmement longs, mais en plus obtenir les autorisations nécessaires pour la construction de lignes à haute tension. Et on connaît l'hostilité à laquelle se heurtent les entreprises électriques face aux populations locales, pour construire ces infrastructures accusées de dénaturer le paysage. Et les enquêtes d'utilité publiques sont extrêmement longues.
Enterrer les câbles? C'est parfois la solution, bien que les coûts soient trois à quatre fois plus élevés. Mais avec l'ouverture du marché, l'option souterraine passe maintenant par la réalisation d'un cahier des charges et le lancement d'un appel d'offres pour l'enfouissement des câbles, l'organisation d'une enquête d'utilité publique, l'obtention d'autorisations pour creuser des tranchées...
Période critique entre 2013 et 2015
Bref, pas facile d'ouvrir plus largement le réseau français aux importations. Actuellement, il est relié par 45 lignes d'interconnexions aux réseaux des pays voisins. Ces interconnexions seront de plus en plus sollicitées puisque, selon RTE, l'équilibre en France entre offre et demande ne devrait plus être respecté à partir de 2013... et sur l'ensemble de l'année. Et on sait déjà que, en 2014, la France ddevra compter sur la puissance de production additionnelle de ces voisins pour assurer l'équilibre. Hors l'importation, point de salut, mais la saturation est proche... Au-delà de 2015, les observateurs misent sur les effets du Grenelle de l'environnement pour que le secteur résidentiel et tertiaire (qui absorbe les deux tiers de la production) maîtrise mieux sa consommation. Ils comptent aussi sur l'EPR de Flamanville... qui arrivera un peu tard. Et on peut craindre que, d'ici là, sa mise en service soit à nouveau repoussée.
La stratégie du délestage
Autrement dit, RTE doit gérer avec les moyens du bord, en effectuant des délestages lorsque la demande est plus forte que ne pourrait le supporter le réseau (comme en Bretagne) ou que l'offre disponible. Mais au-delà des baisses de tension qu'on observe régulièrement, les blacks-out ne peuvent pas toujours être évités. On se souvient, en France, de celui de novembre 2008 dans la région PACA. Et au cours des dernières années, on a vu se succéder des évènements de cette nature dans tout l'est des Etats-Unis et à New-York en particulier, en Grande-Bretagne à Londres, au Danemark, en Suède, en Italie... Ces catastrophes interviennent lorsque les marchés électriques sont particulièrement tendus. Pour réduire le risque de propagation, les gestionnaires de réseau doivent pouvoir opérer des délestages sélectifs en temps réel pour isoler le secteur à risque. Ils déclenchent alors volontairement des coupures de courant sur des portions appropriées du réseau.
Incontournable, affirment les électriciens. Insupportable, répondent les consommateurs! Et c'est toute la stratégie d'une France électro-nucléaire qui doit alors être reconsidérée. A moins que, au-delà des mots et des idées, de nouveaux comportements ne voient le jour pour que les conséquences des aléas climatiques soient mieux acceptées.
Gilles Bridier
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Image de Une: La centrale nucléaire de Fessenheil, la plus vieille du parc de l'EDF Vincent Kessler / Reuters