Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent de drôles d'affiches de campagne. La campagne des élections législatives des 11 et 18 juin, qui surviennent un mois après l'humiliation essuyée par le PS et en plein milieu d'une vague de défections chez LR, donne naissance à d'étranges créatures: des candidats ex-PS nouvellement en marche, des socialistes Macron-compatibles, des marcheurs dissidents, des communistes insoumis, des macroniens à l'insu de leur plein gré... Des mutants qui figureront en nombre sur la liste officielle des candidats que le ministère de l'Intérieur doit publier ce mardi 23 mai. Une liste qui risque de comporter un nombre record de postulants, témoignant de l'attrait médiatique et financier du scrutin et du processus de décomposition-recomposition de notre système partisan.
Parmi les «chimères» de ces législatives, on trouve notamment une série de ministres ou de députés de l'ancienne majorité à qui Emmanuel Macron a épargné un adversaire de La République en marche! (LREM) et qui tentent de s'approprier un peu de cette étiquette. Le rose ou le rouge est écarté de leur affiche au profit du bleu, le mot socialiste pour ceux de «majorité présidentielle». Si certains s'étaient prononcés pour Emmanuel Macron il y a plusieurs mois, comme le député d'Ille-et-Vilaine François André, d'autres sont des «convertis» de plus fraîche date.
Épargnés par Macron... et candidats majorité présidentielle
À tout seigneur toute honneur: dans l'Essonne, l'ancien Premier ministre Manuel Valls, privé d'investiture par LREM comme par le PS, se présente ainsi comme candidat de la majorité présidentielle. Ce qui n'a pas été du goût des militants du mouvement: dans sa circonscription d'Évry, ils sont pas moins de trois candidats qui espéraient obtenir l'investiture LREM à se présenter face au favori «toléré» par l'Élysée. A priori privé d'investiture lui aussi par LREM et le PS, Malek Boutih se présente également comme candidat majorité présidentielle, «progressiste et républicain».
Marisol Touraine, ministre de la Santé durant les cinq années de la présidence Hollande, a elle gardé l'investiture PS dans l'Indre-et-Loire mais se présente sur son matériel de candidature comme «candidate de la majorité présidentielle avec Emmanuel Macron». Résultat: dans sa circonscription, des militants PS ont décidé de la lâcher et d'appeler à voter pour les candidats écologiste ou France Insoumise, tandis que des militants En Marche! ont fait part de leur «dégoût» à l'idée de ne pas avoir de candidat(e).
À Paris, l'ancienne ministre du Travail Myriam El Khomri, placée dans la même situation que Marisol Touraine, n'a pas osé être aussi radicale que cette dernière puisqu'elle a laissé le logo PS sur son affiche. Si si, regardez, en petit, noyé dans le fond photographique, au côté du logo de partis bien moins importants. Le premier secrétaire du PS Jean-Christophe Cambadélis a expliqué lundi matin avoir recensé ainsi «une quinzaine de cas» de candidats socialistes qui cachent leur appartenance au parti.
On trouve des exemples moins connus, ou plus ambigus, dans des circonscriptions ou LREM présente un candidat. Dans les Hautes-Pyrénées, l'ancien ministre et proche de François Mitterrand Jean Glavany se décrit comme un futur député de la majorité présidentielle «loyal, debout et libre». À Dijon, Pierre Pribetich, le candidat PS, tout en arborant le poing et la rose sur son affiche de campagne, se présente comme «candidat social-démocrate» ou «en mouvement» et est partisan d'«une gauche constructive pour une majorité présidentielle» –il est par ailleurs soutenu par les militants locaux du parti écologiste Cap21, qui s'étaient pourtant associés à En Marche! À Marseille, Annie Lévy-Mozziconacci, candidate investie par le PS, se présente avec un suppléant En Marche!, Jean-Marc Maini... et ce alors que LREM compte une candidate dans la circonscription. Là encore, on ne peut pas dire que son matériel de campagne insiste sur son appartenance au PS.
Dans la troisième circonscription des Bouches-du-Rhône, très convoitée par le FN, qui y présente le sénateur Stéphane Ravier, l'ancien député Christophe Masse se présente au nom de la majorité présidentielle en insistant bien sur l'identité de son suppléant, membre d'un comité En Marche!
Encore plus fort: dans l'Isère, le député PS sortant Erwann Binet (connu notamment en tant que rapporteur de la loi sur le mariage pour tous) a choisi de poser pour une affiche non officielle en train de serrer la main à... Emmanuel Macron.
Des dissidents au sein de LREM
Il y a aussi les transfuges. Toujours dans les Bouches-du-Rhône, qui décidément ne démentent pas leur réputation foutraque, le candidat DLF de la 10e circonscription, Serge Perrotino, qui s'était déjà signalé il y a un mois en photoshoppant très maladroitement une photo de Nicolas Dupont-Aignan, s'est désormais rallié à En Marche! Le parti d'Emmanuel Macron, qui a longtemps soutenu sur cette circonscription le député sortant François-Michel Lambert, n'y présente finalement personne: du pain bénit pour Perrotino, qui a opté pour une affiche très neutre.
L'appétit pour l'investiture LREM a aussi suscité une vague de candidatures dissidentes au sein du mouvement, le plus souvent sous une étiquette du type «majorité présidentielle». Ainsi, à Cherbourg, dans l'ancienne circonscription d'élection de Bernard Cazeneuve, LREM a investi Brice Mistler, un candidat passé par des cabinets ministériels puis par le privé, mais celui-ci est jugé pas assez implanté localement par une partie des En Marche! locaux, qui lui préfèrent Sonia Krimi, une ingénieure nucléaire. Comme le raconte Libération, dans le Nord, un autre «recalé» de l'investiture En Marche!, Denis Vinckier, a lui décidé de se présenter sous l'étiquette «En Marche Citoyens – Majorité présidentielle». Au rayon inventivité lexicale, signalons aussi, dans le Puy-de-Dôme, la présence d'un candidat qui s'est enregistré sous l'étiquette La Gauche en marche.
Il y a même des dissidents LREM dans les circonscriptions où le mouvement ne présente pas de candidat, comme, donc, celle de Manuel Valls à Évry, ou celle de Benoist Apparu à Châlons-sur-Marne, où l'universitaire Anne-Sophie Godfroy se présente sous l'étiquette «Majorité présidentielle».
Hybridation entre les Insoumis et le PCF
Avec tout ça, on pourrait croire que les mutants ne résultent que de croisements entre le PS et LREM, mais ce n'est pas le cas. Les relations électriques entre la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon et le PCF ont en effet donné naissance à d'étranges hybrides. En Haute-Garonne, où FI et le PCF partent divisés dans toutes les circonscriptions, les communistes ont utilisé l'image de Jean-Luc Mélenchon à plusieurs endroits, suscitant des menaces de procédure judiciaire de la part de leurs anciens alliés. De même, à Paris, l'élu municipal Ian Brossat fait l'objet de critiques de la part de la France Insoumise, qui présente une candidate face à lui, car il appelle dans son tract à «amplifier la dynamique Mélenchon», qu'il avait soutenu pour la présidentielle.
Ces usurpations sont insupportables. @IanBrossat #PVF qui se présente contre les candidats de la la @FranceInsoumise entretient la confusion pic.twitter.com/wnc9HAm2K5
— Sami Abid (@TwIttNTIN) May 19, 2017
Une France insoumise qui s'est elle, selon Patrick Mennucci, distinguée dans la 4e circonscription des Bouches-du-Rhône, où le candidat PS affronte Jean-Luc Mélenchon: il se plaint que des militants «insoumis» aient diffusé une affiche photoshoppée où on pouvait lire «Un député de gauche pour Macron» plutôt qu'«Un député de gauche pour Marseille». Ce qui fait du député sortant de cette circonscription très à gauche un des très rares candidats à chercher à décoller l'étiquette de l'ancien ministre de François Hollande plutôt qu'à se l'approprier.