«Star power». Aux Etats-Unis, l'expression est dans la bouche de tous les agents en charge de gérer la carrière de sportifs en devenir. «Star power» pour évoquer l'impact médiatique et commercial à venir d'un très jeune espoir capable de briller au firmament d'une discipline individuelle dans un délai plus ou moins court et de générer donc, et surtout, beaucoup d'argent le plus vite et le plus longtemps possible.
La golfeuse américaine Michelle Wie a fait partie de ces phénomènes ayant embrassé la célébrité avant même d'avoir obtenu un premier résultat probant au plus haut niveau. Agée aujourd'hui de 20 ans, elle est déjà rompue au vedettariat dont elle est devenue une habituée depuis l'âge de 12 ans. En 2003, l'adolescente venue de Hawaï mais aux origines coréennes fut, en effet, la plus jeune golfeuse de l'histoire à remporter une compétition nationale réservée aux adultes aux Etats-Unis (le United States Women's Amateur Public Links) et réussit le tour de force de finir à la 9e place du Kraft Nabisco Championship, l'un des quatre tournois du Grand Chelem. Dès 2005, elle devint professionnelle et déjà richissime par le biais de divers contrats d'une valeur de quelque 20 millions de dollars signés avec des marques prestigieuses au premier rang desquelles Nike, persuadée d'avoir trouvé en Michelle Wie sa Tiger Woods au féminin.
Très sûre d'elle-même, et encouragée à l'être par un entourage omniprésent, l'effrontée se paya même le luxe, en 2004, à 14 ans, de venir défier les hommes sur le PGA Tour, le circuit masculin de golf, où elle échoua de justesse dans sa tentative de qualification lors d'un tournoi à Hawaï.
Traversée du desert
Et puis... plus rien, ou presque jusqu'à la mi-novembre, quand Michelle Wie a enfin décroché son premier titre sur le LPGA Tour, le circuit professionnel du golf féminin, à Guadalajara, au Mexique. Un succès célébré sur son compte twitter par un who-hoo dans lequel 44 o ont été comptabilisés.
Elle avait toutes les raisons d'être soulagée, car dans l'intervalle, la surdouée était tristement rentrée dans le rang, suscitant plus de sarcasmes que de pitié auprès de ses consoeurs qui n'avaient pas vraiment goûté l'arrogance du personnage et de ses suiveurs lors de son arrivée fracassante chez les «grandes». En 2007, deux blessures au poignet l'handicapèrent sérieusement et la mirent pour ainsi dire hors course. Cette année-là, au LPGA Championship, l'un des quatre tournois du Grand Chelem, elle rendit même une carte de 83, indigne d'une joueuse promise aux plus grands succès. Sa confiance s'était envolée, à l'image de son swing à reconstruire.
Sagement, pour se soigner et se refaire une santé morale, Michelle Wie préféra retourner s'asseoir sur les bancs de l'université, à Stanford. En décembre 2008, comme «tout le monde», elle emprunta la voie des qualifications pour obtenir le droit de disputer le LPGA Tour en 2009, année qui a donc marqué sa renaissance jusqu'à cette libération venue de Guadalajara. «C'est un poids en moins», a-t-elle souligné, heureuse d'avoir enfin réussi à triompher et d'avoir cessé d'être, d'une certaine manière, «une déception». Il n'en reste pas moins que tant qu'elle n'aura pas gagné un tournoi du Grand Chelem, valeur étalon d'une carrière de golfeuse, Michelle Wie restera une joueuse qui n'aura pas su répondre à l'attente suscitée par son enfance exceptionnelle.
Tiger Woods, Lewis Hamilton et compagnie
Passer du stade d'espoir très précoce courtisé par les sponsors à celui de champion couronné peut prendre du temps, même si certains ne perdent pas le leur pour confirmer de quel métal ils sont faits. Tiger Woods, enfant star invité du Mike Douglas Show aux Etats-Unis dès l'âge de deux ans pour faire étalage de ses dons, s'est mué en grand joueur à la vitesse d'une balle de golf en devenant, en 1997, à 21 ans, le plus jeune vainqueur de l'histoire du Masters. Lewis Hamilton, pilote surdoué repéré dès neuf ans par le magazine Autosport et Ron Dennis, le patron de l'équipe McLaren, n'a pas traîné en route pour être sacré, à 23 ans, le plus jeune champion du monde de Formule 1. Martina Hingis, véritable enfant de la balle victorieuse du prestigieux tournoi des Petits As à seulement 10 ans sous l'œil de nombreuses caméras, a fêté son 16e anniversaire en brandissant la coupe de l'Open d'Australie -du jamais vu dans le tennis féminin. Le plongeur Tom Daley, dont les exploits sur la plateforme de 10m passionnent la Grande-Bretagne depuis quelque temps déjà, est devenu, lui, champion du monde à 15 ans, à Rome, l'été dernier, et sera à coup sûr l'une des étoiles des prochains Jeux Olympiques de Londres en 2012.
Mais on l'a dit dans le cas de Michelle Wie, la route vers la consécration est, pour d'autres enfants vedettes, nettement plus bosselée, à cela près que l'on constate qu'elle débouche presque infailliblement -parfois à quel prix- sur la conquête des trophées espérés. Trop de talent probablement... Professionnelle à 13 ans et présentée alors en vedette dans toutes les rubriques sportives du monde entier (couverture notamment du culte Sports Illustrated), la joueuse de tennis Jennifer Capriati dut patienter jusqu'à ses 24 printemps pour connaître la consécration dans un tournoi du Grand Chelem. Egalement sous le feu des projecteurs avant l'âge de 10 ans, Andre Agassi a tardé aussi à confirmer son potentiel pour toutes les raisons qu'il explique dans son autobiographie Open.
Espoir
Voilà de quoi encourager, ou ne pas désespérer, Richard Gasquet, notre Michelle Wie national, demi-finaliste à Wimbledon en 2007. Gasquet, premier sportif français mis en lumière dès l'école primaire par une couverture de magazine décrochée à seulement 9 ans. «Richard G., le champion que la France attend ?», demandait Tennis Magazine sur sa Une, en janvier 1996, reprenant une inspiration du magazine américain World Tennis qui avait fait figurer Tracy Austin sur sa première page alors qu'elle n'avait que quatre ans (Tracy Austin qui deviendra n°1 mondiale à 17 ans). Compte tenu de ses prouesses raquette en main, la question était loin d'être illégitime dans la mesure où Richard Gasquet battait tous ses adversaires et les records de précocité avec une facilité dérisoire. Mais le point d'interrogation était plus que bienvenu car derrière les dons du jeune Richard Gasquet se cachaient de vraies fragilités psychologiques que le temps n'a pas estompées.
A 23 ans, disculpé par le Tribunal Arbitral du Sport (T.A.S.), jeudi 17 décembre, après avoir été accusé de dopage à la cocaïne, Gasquet reste, plus que jamais, dans la course à une victoire dans le Grand Chelem. En janvier dernier, L'Equipe Magazine, qui lui consacrait sa Une, a osé annoncer sans conditionnel qu'il sera le Français qui succèdera à Yannick Noah au palmarès du Grand Chelem. Il est d'ailleurs probable que l'officialisation de son innocence par le T.A.S, qui a retenu la contamination par des baisers échangés avec une consommatrice avérée de cocaïne dans une boîte de nuit de Miami, lui donnera des ailes dans les mois prochains. Car rares sont, en définitive, les échecs des sportifs popularisés largement avec leurs exploits futurs. La joueuse de tennis russe Anna Kournikova, devenue illustre pour sa plastique avantageuse, est l'une de ces exceptions si l'on veut bien omettre qu'elle a été demi-finaliste à Wimbledon, n°8 mondiale, la sportive la plus célèbre de la planète et peut-être même, par-dessus le marché, la toute première icône du Net.
Yannick Cochennec
Image de Une: Richard Gasquet en demi-finale à Dubaï en 2009, REUTERS/Ahmed Jadallah