«Naturellement, on ne ramène pas les Afghans en Afghanistan dans une zone de combat. On les ramène dans une zone de paix ». La déclaration de Nicolas Sarkozy justifiant l'expulsion de neuf afghans est pour le moins étrange. L'Afghanistan est un pays en guerre dans lequel il n'existe pas véritablement de zone de paix. Les Afghans expulsés sont ramenés par avion à Kaboul, une capitale loin d'être en paix - un attentat en pleine ville y a encore fait huit morts mardi 15 décembre - et chacun d'entre eux n'a guère d'autre choix que de rejoindre ensuite sa famille. Elle s'est dans l'immense majorité des cas endettée à vie pour payer le passage à l'ouest de l'un des siens dans l'espoir fou que celui-ci renverra au centuple l'argent engagé. L'échec est donc très lourd à porter pour les candidats malheureux.
Les neuf Afghans qui ont été ramenés à Kaboul le 15 décembre venaient en majorité de provinces très secouées par l'insurrection des talibans. Les provinces à majorité pashtouns de Kunar, Logar, Nangarhar dont étaient originaires trois d'entre eux sont au centre de la guerre que mène l'Otan contre les extrémistes afghans. La province de Kunduz au nord à laquelle appartenaient certains autres a elle aussi vu récemment un accroissement de la présence et des actions des talibans donc un accroissement des incidents meurtriers. C'est près de Kunduz qu'en septembre un bombardement malencontreux de l'Otan avait fait près de 90 morts.
Une émigration liée à la misère
Toutefois et contrairement à beaucoup de déclarations bienveillantes mais erronées, l'émigration afghane n'est pas, sauf cas particulier, une émigration politique. L'émigration politique ou due à la guerre est le fait de familles et celles-ci cherchent principalement refuge dans les pays voisins. Les jeunes afghans qui quittent leur pays cherchent simplement à échapper à la misère ambiante et à fournir à leur famille des moyens de subsistance. Il faut voir à Kaboul, les longues files d'attente qui se forment dès l'aube devant les ambassades d'Iran, du Pakistan ou de Turquie par exemple dans l'espoir vain pour les jeunes d'obtenir des visas.
Huit ans après l'entrée des troupes étrangères en Occident et malgré les milliards de dollars déversés sur le pays, l'Afghanistan reste l'un des pays les plus pauvres du monde qui figure à l'avant dernière place dans l'indice de développement humain des Nations Unies. Mais les Afghans fuient aujourd'hui d'autant plus qu'après trente ans de guerre, l'espoir d'une vie meilleure née après la chute des talibans en 2001 s'est effondré. Les promesses démesurées faites au lendemain de la chute des talibans dans l'enthousiasme général ont suscitées des attentes tout aussi démesurées et la déception est à la hauteur des espoirs fous qu'avaient fait naître ces promesses.
L'armée afghane dans laquelle le porte-parole de l'UMP exhorte les jeunes afghans à s'engager est loin de pouvoir offrir aux candidats la vie qu'ils espèrent trouver en occident. Sans parler des risques, le salaire mensuel d'un soldat afghan se situe aux environs de 160 dollars, une somme minime comparé à un éventuel salaire occidental. De plus l'armée afghane est largement dominée par les tadjiks et nombres de pashtouns n'ont pas confiance dans l'institution.
Les pays occidentaux ont fait le choix d'envahir l'Afghanistan pour y chasser al Qaida, les Afghans n'ont pas tous forcément la même appréciation des risques représentés par l'organisation d'Oussama Ben Laden. Le 11 septembre 2001, aucun des Afghans interrogés alors à Kaboul ne mesurait l'ampleur de l'attaque du World Trade Center et du Pentagone.
Pour nombre d'Afghans, en particulier dans les zones pashtouns, la présence des troupes occidentales a signifié la fin d'une relative sécurité, des bombardements massifs, des arrestations arbitraires et des détentions prolongées sans jugement. La paix promise n'est jamais venu et tout afghan aujourd'hui renvoyé dans son pays est renvoyé dans une zone de combats.
Francoise Chipaux
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Image de Une: Un soldat américain parle à des Afghans lors d'une patrouille Zohra Bensemra / Reuters