Culture

À Cannes, Agnès Varda et JR au-dessus de toute compétition

Temps de lecture : 3 min

«Visages Villages» co-réalisé par l’auteure de «Cléo» et le street photographer n’est pas seulement hors compétition, il échappe avec génie, simplicité et émotion à toutes les catégories en vigueur. Avec plus d'éclat que «Wonderstruck» et «Faute d'amour», présentés ce jeudi.

«Visages Villages»
«Visages Villages»

La compétition officielle du 70e Festival de Cannes a commencé avec deux films sur le même motifs, mais parfaitement antinomiques. Chez le Russe Andrey Zvyagintsev comme chez l’Américain Todd Haynes, il s’agit en effet d’enfants qui disparaissent de la maison. Mais alors que Faute d’amour, du premier, ne cesse de creuser cette absence, ce vide à la fois créé et dénoncé par la fugue du fils d’un couple en train de divorcer, Wonderstruck (Le Musée des merveilles en VF) ne cesse d’accumuler les anecdotes, les rebondissements, les clins d’œil.


Le nouveau film du réalisateur de Carol est ambitieux et complexe, il se joue à la fois en 1977 et en 1929, en noir et blanc et en couleur, avec deux personnages principaux sourds suscitant des jeux sur le son autant que sur l’accès aux informations. Le scénario manufacture des coïncidences et des effets de symétrie avec une indiscutable inventivité. Tout cela, y compris le recours aux objets fétiches comme réceptacles de la mémoire et des peurs enfantines, est mûrement réfléchi, et d’un intérêt proche de zéro.

Nettement plus intéressant est le nouveau film du réalisateur de Leviathan. La recherche de l’enfant fugueur par les membres d’un couple en crise est (à nouveau) l’occasion d’une évocation à la fois réaliste et métaphorique d’une Russie en état d’effondrement moral et affectif.

Maryana Spivak dans Nelyubov (Faute d'amour) d'Andreï Zviaguintsev

Avec en toile de fond les événements internationaux, et un sens incontestable de l’intensification des situations, ou même de plans apparemment neutres (un bois sous la neige, une rue dans la ville, la vue par une fenêtre), Zviagintsev suggère un constat psycho-politique d’une totale noirceur.

Le film repose toutefois sur deux ressorts utilisés sans grande subtilité, et par ailleurs dont la coexistence reste inexpliquée. D’une part, Faute d’amour pousse à l’extrême le degré d’égoïsme, de rejet des autres et au fond de soi de la quasi-totalité des protagonistes, en une surenchère qui finit par sembler relever plus du système que de la sensibilité à une situation, aussi sombre soit-elle.


D’autre part, au milieu de ce monde infect, comme surgis de nulle part, s’active un escadron de braves gens, efficaces, dévoués, dont on ne saura jamais comment ce monde pourri a pu leur donner existence.

C’est où les cinémas de Haynes et Zvyagintsev finissent pas se rejoindre: par des voies complètement différentes, il s’agit dans l’un et l’autre cas d’un cinéma en force, où le réalisateur use et abuse de son pouvoir pour «emporter le morceau», quel que soit le sens et la nature dudit morceau.

Là où va la vie

Tout le contraire de la manière de fonctionner du gai tandem Agnès et JR. Il a l’âge qu’elle avait lorsqu’elle réalisait Cléo de 5 à 7 en 1962, il est un photographe qui a fait un film (Women Are Heroes), elle est une cinéaste qui a fait beaucoup de photos. Ensemble, ils sont partis en voyage à travers la France, à bord d’un drôle de camion, l’outil de travail de JR: ce véhicule, réinvention numérique et routière du «cinétrain» cher à Medvdedkine et à Chris Marker, permet de tirer des photos gigantesques à partir de clichés pris chemins faisant.

Et de rencontre en rencontre, de colline en clocher, d’usine en boutique, c’est une incroyable odyssée qui se déploie. Elle s’appelle Visages Villages (et elle sortira dans les salles françaises le 28 juin).

On croit d’abord, et pourquoi pas, à une sorte de suite en duo de l’itinérance des Glaneurs et la glaneuse, mais ni AV ni JR ne sont gens à se laisser enfermer dans un schéma. Le plus beau de Villages Visages est sans doute la manière dont ce film se réinvente, se critique, se déjoue et se rejoue, dans les scènes, les commentaires, les pantomimes impromptues, les digressions.

Avec tout ça le sentiment constant que «ça avance», que ça va quelque part, quelque part qui n’est pas forcément joyeux (vous savez, là où va la vie), même si on y va en dansant, en chantant, en souriant, en regardant et en écoutant les autres, et en leur faisant des cadeaux. Un vieux chaman vaudois au bord d’un lac aidera à ce que rien ne s’oublie, par la plus efficace et cruelle des ruses.

Alors oui, il valait mieux ne pas le mettre en compétition, ce film-là: il aurait risqué de faire paraître tous les autres bien artificiels, et un peu tristes.

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