France

Pierre Moscovici: La France résiste-t-elle mieux à la crise économique que ses voisins ?

Temps de lecture : 3 min

Où sont-ce des apparences?

Nicolas Sarkozy disait récemment, avec la délicieuse modestie qui le caractérise, que son gouvernement n'avait commis «aucune erreur» face à  la crise. Il est important de le prendre au sérieux. A première vue, on pourrait bien lui donner raison. Le directeur de «Libération», Laurent Joffrin, lui a même donné quitus sur ce point lors de la conférence de presse sur le «grand emprunt», accréditant l'idée que la performance économique de la France serait meilleure que celle de nos partenaires. Certains chiffres ne le démentent pas. En 2009, le recul du PIB en France serait de 2.2% selon les dernières prévisions officielles, contre 4% dans la zone euro, 4.6% au Royaume-Uni,  4.7% en Italie et 5% en Allemagne.

 

En revanche, si on se réfère aux moyens budgétaires utilisés, on constate que le gouvernement français a dégradé ses finances publiques nettement plus que ses voisins pour parvenir à ce résultat: le déficit français passera de -3.4 à -8.7% du PIB entre 2008 et 2009, soit 5.3 points d'impulsion budgétaire, contre 3 points en Allemagne (de 0 à -3%), 2.6 points en Italie (de -2.7 à -5.3) et 1 point en Grande Bretagne (de -5.0 à -6.0). Le gouvernement français est donc celui qui a le plus dépensé, en particulier en diminuant volontairement ses recettes - exonération de cotisations sociales et d'impôt sur les revenus liés aux heures supplémentaires, bouclier fiscal, déductibilité des intérêts d'emprunts immobiliers de l'IR, baisse de l'imposition des successions, baisse de la TVA sur la restauration. Cette stratégie d'économie de l'offre rappelle étrangement les grandes heures des «Reaganomics» du début des années 80 ou la stratégie fiscale adoptée jusqu'à récemment par George W. Bush, avec le succès considérable que l'on sait. Les mêmes causes produisent en réalité les mêmes effets. Quelle est l'efficacité de cette brillante stratégie ? Sur les douze derniers mois, le chômage a augmenté de 1.8 point en France, contre 0.4 en Allemagne, 1.0 en Italie et 1.5 point en Grande-Bretagne. Autrement dit, malgré la meilleure performance en termes de PIB et un record de dépenses, la performance de la France est la plus mauvaise en matière de lutte contre le chômage. Du PIB, mais pas d'emplois, tel est le vrai bilan de Nicolas Sarkozy!

Mesures coûteuses

Cela peut s'expliquer assez facilement: les principales mesures prises par le gouvernement sont très coûteuses et n'ont qu'un impact marginal sur l'emploi. Prenons par exemple la baisse de la TVA sur la restauration, qui coûte 2.5 milliards d'euros par an, selon le ministère des Finances, et a créé 6 000 emplois, selon la Cour des Comptes, soit environ 420 000 euros par emploi créé. Le PIB, qui inclut la marge des restaurateurs, a sans doute augmenté de près de 2.5 milliards, mais sans impact direct et mesurable sur l'emploi. De même, la baisse du coût des heures supplémentaires appauvrit la croissance en emplois, puisqu'il devient plus avantageux d'allonger la durée individuelle du travail que de procéder à de nouveaux recrutements. Passons rapidement sur la défiscalisation des successions, dont on se demande bien à quoi elle incite, ou le bouclier fiscal, qui préserve les patrimoines les plus importants mais n'a aucun impact sur l'emploi. En résumé, aucune mesure mise en oeuvre depuis 2007 n'a pour objectif de créer des emplois, alors qu'il s'agit, légitimement, de la première préoccupation des Français. Il faut donc changer de stratégie, de façon urgente.

Pour finir sur un point d'actualité, je dois avouer, sans honte, que je suis favorable à l'essentiel des propositions d'investissements adossées sur le fameux «grand emprunt», et que son montant ne me semble pas choquant en soi. Il aurait même pu, à dire vrai, être plus élevé, si une politique inconsidérée n'avait pas au préalable fragilisé les finances publiques et fortement dégradé la qualité de notre signature. Le problème est que cet emprunt se surajoute à un déficit qui sera compris entre 8.5 et 9.0%, cette année comme la prochaine, ce qui pose d'une part un problème démocratique, puisque le grand emprunt n'a pas été inclus dans le débat budgétaire à l'Assemblée, et un problème de soutenabilité financière: où arrêter l'escalade des déficits et de la dette, qui va allégrement vers les 85% du PIB? Autrement dit, le projet du grand emprunt me semblerait pouvoir être approuvé si - oui, il y en a eu, et beaucoup ! - Nicolas Sarkozy revenait sur l'ensemble des erreurs qu'il a commises depuis deux ans, ce qui reviendrait à annuler la quasi-totalité des mesures budgétaires prises depuis 2007. Autant dire que c'est peu probable... et néanmoins tout à fait regrettable.

Pierre Moscovici

Image de une: Reuters, 14 décembre 2009 à l'Elysée

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