Sciences

Non, vous n’êtes pas plus sexy en rouge

Temps de lecture : 5 min

Finalement, il n’est pas scientifiquement prouvé que le rouge rende les humains plus attirants.

Qui veut la peau de Roger Rabbit?
Qui veut la peau de Roger Rabbit?

Il y a quelques années, une drôle d'annonce scientifique a fait beaucoup de bruit, peut-être à cause de son potentiel d’application à la vie réelle: on vous trouve toujours plus séduisant-e quand vous êtes habillé-e en rouge. C’était ce que laissait entendre une étude parue en 2008, menée aux États-Unis, où des étudiants à qui l’on montrait des photographies de femmes trouvaient de façon constante que celles qui apparaissaient avec du rouge (que ce soit dans leurs vêtements ou à l’arrière-plan) étaient bien plus séduisantes que les autres. Et une étude de 2010 a montré exactement le même phénomène avec des clichés d'hommes.

Les médias se sont jetés sur les résultats présentés dans des articles écrits, entre autres, par Andrew Elliot, professeur de psychologie à l’université de Rochester de New York, et qui ont été largement relayés au fil des années (notamment par Slate). Ces articles adhéraient aux explications avancées dans les études –selon lesquelles cet effet était cohérent puisque nous associons le rouge et la passion, ce qui pourrait avoir des racines évolutionnistes étant donné que les humains rougissent lorsqu’ils sont en colère (est-ce qu’on est jamais plus beau que quand on est fâché?). Ils suggéraient souvent de porter cette couleur dans des situations particulières, comme sur la photo de profil de votre appli de rencontre. Au fil des années, de plus en plus d’études sont venues étoffer le corpus étayant l’effet rouge-passion.

Attention aux échantillons

Ce qui a été moins relayé, c’est que cet effet fait l’objet de recherches depuis ses premiers jours. Aujourd’hui, après plusieurs études complémentaires, il semble fort probable qu’il ne tienne pas du tout la route. On en a des preuves grâce à des études de reproductibilité –la démarche scientifique qui consiste à reproduire une expérience pour s’assurer qu’elle produit toujours les mêmes effets. Une de ces études a été publiée début mai dans la revue Social Psychology par Robert Calin-Jageman et Gabrielle Lehmann de la Dominican University de River Forest, dans l’Illinois. Elle reproduit aussi exactement que possible l’expérience la plus parlante de l’étude de 2008 d’Elliot, avec des étudiants et des participants en ligne évaluant les mêmes photos. Or cette expérience n’a produit que très peu, voire pas d’effet auprès d’aucun de deux sexes.

Alors pourquoi la science a-t-elle affirmé le contraire? Les problèmes soulevés semblent être les mêmes que ceux qui resurgissent sans cesse dans le contexte de la crise de reproductibilité des expériences –un poids démesuré accordé à de petits échantillons, une tendance à publier les résultats positifs et pas les négatifs, et peut-être un biais cognitif inconscient chez les chercheurs.

Un des problèmes est le trop petit nombre de participants –beaucoup des premières études portaient sur des échantillons dont la taille n'était pas appropriée, juge Calin-Jageman. Il a reproduit l’expérience avec davantage de participants—600 personnes (360 femmes, 242 hommes) contre 150 et 168 pour les expériences de 2008 et 2010, respectivement. Il a remarqué assez rapidement que le fait que les femmes soient plus nombreuses que les hommes lui donnait davantage confiance en ce non-résultat. En 2016, une autre étude comportant plus de 800 participants hommes évaluant des femmes n’a pas non plus révélé de preuve de l’existence de l’effet torride du rouge.

«La partie émergée de l'iceberg»

Calin-Jageman et son étudiante sont depuis allés plus loin pour collecter des données dans le cadre d’une méta-analyse encore non publiée, qu’ils ont partagée avec Elliot. Une fois compilées, ces données rassemblées auprès de presque 4.000 participants ne montrent aucun effet chez les femmes qui évaluent les hommes et un effet assez faible dans l’autre sens. Calin-Jageman explique que ce dernier résultat montre un mélange d’effets à la fois importants et totalement nuls, ce qui le conduit à conclure que «soit les grands effets sont un hasard extraordinaire, soit il y a une procédure très spécifique à respecter quand on étudie la couleur rouge et tous les laboratoires ne la suivent pas.»

En collectant toutes ces données, Calin-Jageman a levé un autre lièvre: il a découvert que plus de la moitié des expériences où des femmes évaluaient des hommes n’avaient pas été publiées du tout, et que parmi celles où des hommes évaluaient des femmes, environ 30% des données étaient passées à la trappe. «Ce qui est publié, ce n’est que la partie émergée de l’iceberg révèle-t-il. Il en manque des bouts.»

Et cela alimente notre conviction probablement fausse sur la force du lien entre la couleur rouge et la séduction. La majorité des données publiées sont des résultats positifs qui montrent que l’effet fonctionne. La plupart des résultats non-publiés montrent zéro effet. Les revues universitaires sont souvent promptes à rejetter les articles montrant des résultats négatifs, et dans le cas de l’effet rouge-passion, il semble que les études affirmant son existence aient été publiées tandis que celles qui ne montraient aucun effet étaient ignorées. Pas étonnant que nous soyons convaincus de l’influence du rouge sur l’attirance –puisque la science le dit!

Bonnes pratiques

Greg Francis, de la Purdue University à West Lafayette, dans l’Indiana, a été l’un des premiers scientifiques à mettre en doute l’étude de 2010 d’Elliot, en avançant que les résultats semblaient trop beaux pour être vrais. Son article signalait qu'ils n’étaient pas suffisamment fournis et qu’ils comprenaient probablement des expériences non valides qui n’avaient pas été publiées ou étaient faussées (peut-être inconsciemment) par des méthodes biaisées. Par exemple, aucune des expériences d’origine n’avait été déclarée au préalable –c'est-à-dire que leur protocole n'avait pas été enregistré en ligne avant le début des expériences. Ce pré-enregistrement, qui selon certains n’est pas suffisamment pratiqué, assure aussi que les conclusions sont publiées quels que soient les résultats (les chercheurs qui ont dupliqué les recherches avaient pré-enregistré leur étude.)

Enfin, cette épopée étaye certaines des plus grandes leçons à tirer de la crise que traverse la science en ce moment. «Il semble clair que nous enterrons les preuves négatives, m’a confié Calin-Jageman.«Nous devrions tous nous atteler à y mettre un terme». Il estime que les chercheurs devraient consacrer plus d’efforts à dupliquer les expériences et à soumettre de nouveau les articles rejetés. Autre aspect positif: le Center for Open Science de Charlottesville, en Virginie, a lancé un «Preregistration Challenge» qui consiste à payer 1.000 dollars les universitaires pour les inciter à pré-enregistrer leurs articles.

Dans un entretien accordé à Slate, Elliot admet que la taille de ses échantillons était «trop réduite par rapport aux standards contemporains». Il ajoute: «J’ai tendance à penser que le rouge a une influence sur l’attirance, mais il est important pour moi d’être ouvert à la possibilité que ce ne soit pas le cas.»

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