«L'axe de sa campagne, c'était une espèce de thérapie de groupe pour convertir les Français à l’optimisme.»
C’est en ces termes que Michel Houellebecq a résumé la campagne d'Emmanuel Macron, quelques jours avant le second tour de l'élection présidentielle. Et si la pensée positive avait fait irruption lors de cette campagne, historique par sa capacité à défier tous les pronostics et à questionner les clivages installés?
L’«optimisme», sans doute l'état affectif qui a le plus structuré cette élection avec l'ouverture, est une clé plus importante qu’on ne le pense. Dans l’entre deux tours, l'Observatoire du bien-être du Centre pour la recherche économique et ses applications (Cepremap) a publié les résultats d’une série de questions insérées dans l’enquête électorale du Cevipof, la plus grande enquête de ce type en France. Une corrélation a été observée entre le niveau de satisfaction des individus envers leur vie actuelle et future et la probabilité de voter pour chaque famille politique.
«Il existe un vrai clivage entre la France pessimiste, qui vote Marine Le Pen, et la France optimiste, incarnée par le vote Emmanuel Macron.»
Dans le détail,
«Les individus les moins satisfaits de leur vie actuelle et les plus pessimistes pour leur avenir expriment plus fortement une intention de vote en faveur de Marine Le Pen, puis pour Jean-Luc Mélenchon, expliquent les chercheurs. Les individus les plus satisfaits de leur vie actuelle et les plus optimistes ont davantage l’intention de voter Emmanuel Macron prioritairement, suivi de François Fillon et Benoît Hamon.»
«Bien-être et vote», Cepremap - Observatoire du bien-être.
Les optimistes ont des raisons de l'être (et les pessimistes de ne pas l'être)
Les sceptiques auront tendance à objecter que la satisfaction par rapport à sa vie est très liée à son niveau de revenu, à sa santé, à son âge, à ses perspectives d’avenir ou au bassin de vie dans lequel on évolue. Sauf que dans cette étude, les chercheurs ont constaté que «le bien-être joue un rôle aussi important que les variables sociodémographiques» pour expliquer la probabilité qu’un électeur choisisse le Front national ou En Marche! Autrement dit, qu’à niveau de revenu ou d’éducation égal, à statut par rapport à l’emploi ou à catégorie socioprofessionnelle comparables, la probabilité de voter Le Pen augmentait avec le niveau de pessimisme.
«Le vote FN n’est plus seulement celui des classes populaires, mais celui des classes malheureuses et pessimistes. A l’inverse, le vote Macron n’est pas celui des riches, mais celui des optimistes», écrivent des chercheurs de plusieurs institutions, notamment du Cepremap, dans une tribune collective parue dans Le Monde.
«La probabilité de vote en faveur du Front national est très élevée, de l’ordre de 45%, parmi les Français les plus pessimistes, et ce quel que soit le niveau de revenu. Les résultats sont similaires pour le statut en emploi et la catégorie socioprofessionnelle. Que l’on dispose d’un revenu élevé ou bas, que l’on soit employé, chômeur ou retraité, que l’on soit ouvrier, employé ou cadre moyen, la probabilité de voter Le Pen augmente avec le niveau de pessimisme.»
Verra-t-on un jour les chercheurs se pencher sur le lien entre les traits de personnalité et la tendance à voter pour tel parti? Ce genre d'association a été étudié en Grande Bretagne, avec des résultats parfois déconcertants. Si les individus au profil plutôt ouvert aux expériences nouvelles sont sans surprise plus fréquemment électeurs des partis écologistes, et à l'inverse les gens plus consciencieux et attentifs aux normes sociales votent plus volontiers à droite ou pour les populistes (Ukip), de manière plus surprenante, les extravertis seraient plus conservateurs et les personnes souffrant d'instabilité émotionnelle («neuroticisme») voteraient plus... à gauche –l'explication résiderait dans leur plus grande peur vis-à-vis de l'avenir et d'un désir de contrôle assuré par l'État fort.
Lors du référendum sur le Brexit, des résultats similaires ont été obtenus, avec un vote «Leave» plus fort chez les électeurs les plus «consciencieux» et les moins «ouverts» et «neurotiques». L'utilisation de ce genre d'approche par type de personnalité et par profilage psychologique par une entreprise spécialisée lors de la campagne électorale américaine par l'équipe de Trump a eu récemment un fort retentissement dans la presse. À partir d'innombrables traces numériques laissées sur les réseaux sociaux (comme les pages «likées» sur Facebook), les spécialistes auraient réussi à réaliser un micro-ciblage d'électeurs en fonction de leurs préoccupations politiques, mais également de leur état d'esprit...
Dans le cas français, marqué par l'héritage marxiste du vote de classe, ce genre d'approche est plus rare, et l'étude de l'Observatoire du bien-être tranche par sa nouveauté. Une étude réalisée fin 2016 par Luc Rouban, directeur de recherches (CNRS, Cevipof), s’est par ailleurs penchée sur le niveau de pessimisme des électeurs, en comparant le vote des Français qui s’estimaient déclassés par rapport à leurs parents à celui des électeurs qui avaient une perception de leur situation plus positive. Selon les conclusions de l’auteur, la position sociale objective des individus par rapport à celle de leurs parents n’avait pas beaucoup d’influence sur leur vote. On peut voter FN ou gauche radicale quand on a connu une meilleure position sociale que celle de ses parents ou une moins bonne. Mais «la perception subjective de la situation sociale est en revanche décisive dans la distribution des choix électoraux». Ainsi, «ceux qui estiment que leur situation est plus mauvaise que celle de leurs parents ont voté FN à concurrence de 30% des inscrits aux régionales de 2015 contre 20% pour ceux qui l’estiment similaire et 18% pour ceux qui l’estiment supérieure».
Le chercheur a également inséré des questions sur la perception qu’avaient les gens de leur trajectoire sociale: se sentaient-ils plutôt en réussite ou plutôt en échec? Même si la position socioprofessionnelle (ouvrier, chômeur, cadre, etc.) joue évidemment un rôle majeur dans les intentions de vote, «l’intensité du vote en faveur de Jean-Luc Mélenchon et surtout de Marine Le Pen dépend de l’évaluation subjective que les enquêtés font de leur situation sociale.» Dit autrement, se sentir en échec social augmente la probabilité de s’orienter vers un candidat remettant en question le statu quo.
Comme nous l'explique Luc Rouban, ce phénomène constitue «la traduction politique d'un certain nombre de représentations»: l'impression de vivre la fin d'une époque, celle de perspectives d'avenir encourageantes, alors même que la situation objective des électeurs peut être plus favorable que celle du passé qu'ils fantasment meilleur. D'autant que l'économie ne conditionne pas tout: «il y a aussi l'envie de partager un environnement de sens», horizon qui peut faire défaut aux électeurs «pessimistes». Allant dans le même sens, les auteurs de la tribune sur le bien-être et le vote estiment que le «pessimisme s’explique essentiellement par la crise des aspirations qui, suite à la crise financière et économique qui dure depuis maintenant dix ans, a gagné des électorats très divers, et en particulier les individus les moins diplômés».
Emmanuel Macron, le coach de la République
Dans la conclusion de sa note, Luc Rouban écrit que «les candidats des partis de la gauche ou de la droite extrême attirent surtout les électeurs déçus par leur trajectoire sociale alors qu’une auto-évaluation positive les conduit à choisir bien plus souvent les candidats de la droite ou de la gauche de gouvernement».
Et d’ajouter:
«La politique “normale” se nourrit ainsi du bonheur des peuples.»
Difficile de ne pas faire le lien avec certains préceptes de développement personnel, en particulier la pensée positive et sa déclinaison la plus célèbre, celle du professeur Coué.
Selon Coué, «deux personnes, placées exactement dans les mêmes conditions, peuvent se trouver l’une parfaitement heureuse, l’autre parfaitement malheureuse». C’est ce qu’explique Jean-Pierre Magnes, formateur, coach et consultant, grand connaisseur de cette méthode à laquelle il a consacré trois livres, dont La méthode Coué pour les Nuls (First) ou La méthode Coué (Eyrolles, avec Luc Teyssier d’Orfeuil).
«Je ne sais pas si Emmanuel Macron est un lecteur de la méthode d'Émile Coué, mais il a utilisé ses outils, assure le spécialiste. Il s’est autorisé à se dire “Je vais changer le monde”, et il a commencé à le faire.» Or, «c’est le principe de la méthode Coué, qui s'appuie sur l’autosuggestion. Si vous imaginez quelque chose et que cette chose est réellement possible, alors elle est/devient réalisable et vous la réalisez!»
C’est une méthode efficace «à condition d'éviter le contresens de la plupart des responsables politiques et des gens qui parlent de la méthode sans la connaître! Ils affirment “Quand on veut on peut” et ils pensent que ça résume la méthode Coué… Or, il ne suffit pas de vouloir. La volonté seule est impuissante. La méthode Coué, c’est en fait l’inverse. Il s’agit de faire des choses qui sont réalisables. Concrètement, si vous faites des promesses, vous devez pouvoir les tenir dans la mesure du possible. Par exemple, dire qu’il y a 37 régimes de retraite et qu’il est possible de les fusionner en un seul est une promesse réalisable techniquement.»
Le consultant aurait par exemple amendé le slogan de campagne du candidat Macron ,«La France doit être une chance pour tous»: «C'est une fausse promesse parce qu’elle est fondée sur la seule volonté.» Un message conforme à la méthode Coué aurait plutôt été «La France PEUT être une chance pour tous», en écho au célèbre «Yes we can» de Barack Obama.
Le langage est d'ailleurs un des trois véhicules de l’autosuggestion, avec l’imaginaire et le langage non verbal. «Les Français utilisent des formes négatives, ainsi que des généralités comme le pronom indéfini “on”. Coué dit que les mots comme “difficile”, “impossible”, “essayer” ou le conditionnel, le temps du souhait, doivent disparaître de votre vocabulaire, car ils ne vous permettent pas d’agir.»
Psychologiser les inégalités sociales
Est-ce cette conviction qui a emporté l'adhésion des électeurs? «Ce qui nous a séduit, racontent à L'Obs deux étudiants présents aux abords de la Pyramide du Louvre le 7 mai, c’est la tonalité de sa campagne. Il y avait le discours apaisant, le “On ne siffle pas”. Ça fait du bien. Les spots télés de Fillon ou Le Pen commençaient avec “chômage”, “crise”, “migrations”. Lui disait qu’il y a des choses qui vont mal, mais aussi de quoi être optimiste.»
Selon Luc Rouban, la dimension subjective du vote doit toutefois être nuancée, ne serait-ce que parce que «les électeurs ont de plus en plus de moyens de faire des comparaisons et de réfléchir à leur propre situation». «L'opposition ouvert/fermé renvoie quand même à des questions de ressources sociales», en particulier entre les diplômés et les autres. «Il y a une perception assez lucide dans l'électorat d'une concentration des ressources économiques du côté des diplômés, remarque le politologue. C'est là qu'on voit le décalage entre les élites et le reste de la population. Certains récoltent toutes les retombées positives du travail quand d'autres sont mis à la porte à 45 ans ou se retrouvent dans des territoires sans possibilité de reconversion. On peut donc se demander si le mérite est vraiment reconnu.»
En d'autre terme, il faut rester prudent contre le risque de «psychologiser» les inégalités sociales et fétichiser «l'ouverture» supposée des uns, en fait une forme de confiance liée à une situation socioéconomique privilégiée, qui s'opposerait au «repli» et à la fermeture des autres.
Optimiste, le spécialiste de la méthode Coué est également un réaliste: «Le vote Macron est évidemment un vote plutôt élitiste d’urbains aisés, donc un vote de classe. Et pourtant, parmi les déclassés, et même parmi les pauvres, certains disaient qu’ils seraient prêts à voter Macron.» Est-ce parce que ils ont souhaité se laisser séduire par l'autosuggestion? Et si c'est le cas, le mandat qui s'ouvre à peine sera-t-il à la hauteur de leurs espoirs?