A Los Angeles le rideau tombe. Johnny est «tiré d'affaire». Il «rechantera» certes, mais bien plus tard, aux beaux jours, l'été prochain peut-être. Le tragique est oublié et place est déjà faite à la comptabilité. Les médecins vont s'effacer devant les assureurs qui ont commencé à se documenter au plus juste sur le serpent de mer juridique que constituent les responsabilités inhérentes aux infections nosocomiales.
Résumons. La société de production du chanteur, Jean-Claude Camus Productions, a annoncé mercredi 16 décembre l'annulation des vingt-quatre prochaines représentations du «Tour 66» programmées entre le 8 janvier (à Amiens) et le 13 février (à Paris-Bercy). Les détenteurs de billets pourront se faire rembourser dans les points de vente à compter du lundi 21 décembre. «Cette décision a été prise après avis des experts médicaux, confirmant l'indisponibilité temporaire de l'artiste» a précisé Jean-Claude Camus Productions. Dinh Thien Ngo, président du directoire de la société de production du chanteur, Dinh Thien Ngo, a ainsi indiqué mercredi 16 décembre que l'annulation de la fin de la tournée de Johnny Hallyday était «la solution qui paraît la plus sage et techniquement la plus faisable».
Question. La société productrice des spectacles annulés sera-t-elle indemnisée par ses assureurs à hauteur de plusieurs (dizaines de) millions d'euros? Oui, affirme-t-elle; du moins si la cause de l'annulation ne fait pas partie de celles qui sont, précisément, exclues par les compagnies concernées. Interrogé par l'AFP, le courtier Ovatio, qui coordonnait la couverture de la tournée, s'est refusé à tout commentaire. Dinh Thien Ngo assure que le «problème de santé de Johnny rentre dans le cadre» des polices d'assurance de sa société et que l'hypothèse d'une infection nosocomiale consécutive à l'intervention pratiquée le 26 novembre pour soigner une hernie discale apparaissait «la plus vraisemblable».
Sera-ce si simple? Rien n'est moins certain. Au-delà des sommes en jeu, il faudra en effet tenir compte ici de la problématique (assez complexe et juridiquement encore mal définie) des responsabilités dans le domaine des infections nosocomiales. Tout commence, précisément avec ce terme et sa définition.
Les infections nosocomiales sont généralement définies comme les infections contractées par un patient dans un établissement de soins, peut-on lire sur le site du ministère français de la Santé :
Une infection est considérée comme telle lorsqu'elle était absente au moment de l'admission du patient. Lorsque l'état infectieux du patient à l'admission est inconnu, l'infection est considérée comme nosocomiale si elle apparaît après un délai de 48 heures d'hospitalisation. Ce délai est cependant assez artificiel et ne doit pas être appliqué sans réflexion.
Il faut ici distinguer les infections nosocomiales d'origine «endogène» (opéré le malade, plus ou moins immunodéprimé s'infecte à partir de germes dont il est porteur) des infections d'origine «exogène». Dans ce deuxième cas, le plus fréquent, il peut s'agir au choix d'infections «croisées» (transmises d'un malade à l'autre par les mains ou les instruments de travail du personnel médical ou paramédical), d'infections provoquées par des microorganismes portés par le personnel ou encore d'infections liées à la contamination de l'environnement hospitalier (eau, air, matériel, alimentation...). Et dans ce domaine la traçabilité est généralement une affaire hautement complexe.
D'autre part, dès qu'ils font l'objet d'un contentieux ces dossiers renvoient à une autre complexité, juridique, comme le résume Me Carine Durrieu-Diebolt.
Cette avocate spécialisée en droit de la santé rappelle que la loi du 4 mars 2002 sur le droit des malades ne donne aucune définition des infections nosocomiales. La circulaire du 13 octobre 1998 «relative à l'organisation de la surveillance et de la prévention des infections nosocomiales» précise quant à elle que l'infection nosocomiale est:
- une maladie provoquée par des micro-organismes;
- que cette maladie est contractée dans un établissement de soins par tout patient après son admission, soit pour une hospitalisation, soit pour y recevoir des soins ambulatoires;
- que les symptômes apparaissent lors du séjour à l'hôpital ou après.
«En général, on tient compte d'un délai de 48 à 72 heures entre l'admission et le début de l'infection. Ainsi, si l'infection se révèle moins de 48 heures après l'admission, on en déduit que l'infection était en incubation au moment de l'admission, et qu'elle n'a donc pas été contractée dans l'établissement de soins, précise Me Durrieu-Diebolt. Pour les infections de plaie opératoire, on accepte comme nosocomiales les infections survenues dans les trente jours suivant l'intervention, ou dans l'année, s'il y a mise en place de matériel étranger. Cette appréciation du délai est au cas par cas.» A priori le cas de Johnny pourrait rentrer dans ce cadre. Reste pour autant à préciser la nature des responsabilités encourues. Et là, pour user d'un euphémisme, on peut dire que rien n'est simple.
Que faut-il savoir?
1. Tout d'abord que la loi du 4 mars 2002, dite «loi Kouchner» a créé une distinction entre les établissements de santé et les médecins.
Pour les établissements de santé, la faute est présumée. En d'autres termes, la victime n'a pas l'obligation d'apporter la preuve de la faute. De ce fait, l'établissement de santé ne peut s'exonérer que lorsqu'il peut apporter la preuve d'une cause étrangère (faute de la victime par exemple porteuse de germes, fait d'un tiers par exemple un fournisseur de l'établissement, force majeure comme, par exemple, un cyclone).
2. Ensuite que les médecins libéraux — comme c'est le cas du prochain conflit opposant Johnny Hallyday (et son producteur) au Dr Stéphane Delajoux (et à la Clinique Internationale du Parc Monceau) — sont exclus de ce régime de présomption de faute. Il faut donc rapporter la preuve, à leur encontre, de la faute d'asepsie ou de stérilisation. Ce qui est tout sauf simple. Et ce d'autant que les récentes investigations menées sous l'égide de la Haute Autorité de Santé (HAS) dans le cadre des procédures d'accréditation apparaissent clairement favorables à cet établissement.
3. Enfin que la prise en charge financière des dommages, compte tenu du caractère souvent très onéreux des préjudices résultant d'une infection nosocomiale (dénoncé par les établissements de santé et surtout par leurs assureurs, la loi du 30 décembre 2002) a restreint les hypothèses dans lesquelles l'indemnisation de la victime ou de ses ayants droit incombe aux assureurs. «Ils ont désormais à supporter le coût du dommage généré par ces infections seulement si celui-ci correspond à un taux d'incapacité permanente inférieur à 25%, précise Me Durrieu-Diebolt. Lorsque l'incapacité permanente est supérieure à 24%, ou en cas d'incapacité temporaire totale au moins égale à six mois consécutifs ou non sur une période de douze mois, c'est l'Office national d'indemnisation qui supporte le coût du dommage.»
Quelles stratégies pour la défense de la Clinique Monceau?
Question dont la réponse intéresse à un égal degré les assureurs et les fans: quelle sera demain le taux d'incapacité permanente ou temporaire de Johnny?
«Dans tous les cas, la victime doit prouver le caractère nosocomial de l'infection, ajoute Me Durrieu-Diebolt. La question essentielle est donc celle de savoir ce que le patient doit prouver pour bénéficier de la présomption de responsabilité pesant sur les établissements de santé.» En pratique, dans l'affaire Hallyday, la Clinique Internationale du parc Monceau peut envisager deux stratégies.
La première consiste à nier le caractère nosocomial de l'infection en soutenant que les seules infections «exogènes» méritent cette qualification, c'est-à-dire celles dues à un défaut d'asepsie, et non les infections endogènes qui proviennent des germes dont le patient est porteur. Or cette stratégie souvent efficace pour les établissements publics est généralement rejetée pour les établissements privés devant les juges de l'ordre judiciaire. Ces magistrats estiment que ce sont bien les soins invasifs et/ou un terrain fragilisé par la maladie qui sont à l'origine de l'infection, le germe étant jusqu'alors demeuré inoffensif. Etait-ce le cas de Johnny?
La seconde stratégie consiste à soutenir que l'infection n'est pas imputable aux soins. «Ainsi, il ne suffit pas d'établir que le patient était atteint d'une infection, explique Me Durrieu-Diebolt. Encore faut-il que la victime prouve que l'infection est imputable à un acte de soins pratiqué dans l'établissement; par exemple, en fin de vie, une septicémie qui constitue une évolution prévisible d'un état fragilisé par la maladie.»
Tel ne se présente pas, fort heureusement, le dossier de l'affaire Hallyday.
Jean-Yves Nau
Image de une: Reuters, Cannes, mai 2009