Après des années d'attente savamment entretenue, des tonnes de bandes annonces et un teaser dévoilé lors d'une première exceptionnelle dans plus de 100 salles obscures, le dernier film de James Cameron sort enfin. Avec une question qui nous taraude tous: mais qu'est-ce que c'est que ces chats bleus humanoïdes? Sur le blog Overthinking it, «fenzel» semble se faire la voix d'une majorité d'amateurs de comics, en estimant que «Avatar, ça promet de craindre», parce que les «félines à seins humains, ça craint». Sur le site sportif Deadspin, Drew Magary pense pour sa part que cette épopée d'extraterrestres-bleus-chevauchant-des-dragons pourrait devenir le plus grand bide de l'histoire du cinéma. Et, suite à la fameuse première «Avatar Day», Daniel Engber a confié sur Slate que, si «les effets 3D en mettent plein la vue,» les scènes réalisées en images de synthèse rappellent étrangement et malencontreusement l'époque Star Wars, première trilogie.
Que les patrons de la Fox ne sortent pas tout de suite la capsule de cyanure: le film est visiblement bien placé pour les Golden Globes, et Harry Knowles, du blog cinéphile Ain't It Cool News adore. (À noter toutefois que Harry Knowles adore tout) Alors, bide ou carton en vue, pour Avatar? Chats bleus sauce Star Wars, ou sauce Battlefield Earth (Terre champ de bataille)?
Un potentiel très juteux
Je mise sur le carton. Sur le Hollywood Stock Exchange (HSX), tout porte d'ailleurs à croire que les chats bleus feront de belles vaches à lait. Le 10 décembre, Avatar s'échangeait en effet à 187,09 sur cette bourse virtuelle du film dont les pronostics de recettes se sont souvent révélés exacts, selon Anita Elberse, professeur associée à la Harvard Business School. Le chiffre 187,09 signifie que les intervenants du HSX estiment qu'Avatar réalisera un peu plus de 187 millions de dollars de recettes [environ 127,5 millions d'euros] lors de son premier mois d'exploitation dans les salles américaines, et qu'il pourra donc prétendre à une bonne rentabilité.
Outre les marchés de paris en ligne, les moteurs de recherche peuvent être un bon indicateur du potentiel de rentabilité d'un film. Dans un article (PDF) publié cette année, Duncan J. Watts et son équipe de Yahoo Research notent ainsi que «l'activité [sur les moteurs de recherche] indique à elle seule le nombre d'entrées en salle à prévoir, même plusieurs semaines avant la sortie d'un film.» Se livrant à une estimation rapide du potentiel d'Avatar, Watts prévoit entre 65 et 84 millions de recettes [entre 44 et 57 millions d'euros] pour le premier week-end d'exploitation, à partir d'outils d'analyse qui ne prennent en compte ni le format IMAX du film, ni le matraquage marketing dont il a fait l'objet. Il remarque par ailleurs que le nombre de recherches pour Avatar à une semaine de sa sortie équivaut à celui enregistré à l'époque par X Men Origins:Wolverine, film qui a engrangé 87 millions de dollars [59,5 millions d'euros] dès la première semaine.
Ces chiffres concordent avec les prévisions des experts de l'industrie cinématographique. Mercredi dernier, Jeffrey Wells citait ainsi, sur son blog Hollywood Elsewhere, un «devin» du box-office qui prédit 70 millions de dollars de recettes [47,5 millions d'euros] pour le premier week-end d'Avatar- soit l'équivalent du montant raflé par Le Seigneur des anneaux : le retour du roi en 2003. Pour Wells, la véritable question est de savoir si le film cartonnera un peu ou beaucoup: «Qui ne voudra pas voir ce film? Personne. Qui voudra le voir deux ou trois fois? Telle est la question.» David Cohen, de Variety, me disait récemment en écho que si le film «pouvait faire perdre de l'argent au studio» étant donné son budget colossal, «il [était] quasiment impensable qu'Avatar soit un fiasco.»
Marketing réussi
Il suffit parfois de proclamer le succès commercial pour qu'il advienne. Les grands studios sélectionnent les productions qu'ils jugent les plus prometteuses, les annoncent à grand renfort de campagnes publicitaires, puis les sortent au moment le plus propice. Avatar, qui sera dans les salles le 16 décembre, profitera sans nul doute des vacances de fin d'année. Les films sortis à la période de Noël bénéficient en général d'un «effet multiplicateur» supérieur à ceux qui n'ont pas la chance d'être en salle pendant la trêve des confiseurs, c'est-à-dire que leurs recettes finales sont plus élevées, comparées aux gains enregistrés la première semaine d'exploitation. Même si son premier week-end s'avère décevant, Avatar pourrait donc, par cet effet, recueillir des sommes rondelettes d'ici au nouvel an, grâce aux foules égarées qui chercheront à occuper leurs vacances.
L'effet tri-dimensionnel devrait par ailleurs contribuer à garnir le panier: Avatar, premier film à gros budget de l'actuelle ère 3D tourné en prises de vue réelles, va être projeté sur près de 2 500 écrans 3D aux États-Unis. Et avec le supplément de 30 à 40 % porté sur le prix des billets des versions 3D, cette "extra" dimension devrait faire des merveilles pour les recettes. La curiosité aussi, pourrait bien jouer en faveur des chats bleus. David Cohen, qui est en train d'écrire un livre sur la 3D, souligne que si les films d'animation constituent le plus gros de l'activité 3D, des productions telles que Voyage au centre de la Terre (2008) ou La Légende de Beowulf (2007) ont toutes deux dégagé plus de recettes que leur première semaine d'exploitation ne le laissait envisager: «Voyage... était un film pour enfants à budget moyen qui a pourtant démontré qu'il existait une immense demande du public pour ce genre de films.»
Recettes mondialisées
Quand bien même les félins humanoïdes ne susciteraient pas l'enthousiasme chez l'oncle Sam, Avatar pourra toujours se rattraper dans le reste du monde. À en juger par des données récentes, les recettes perçues aux États-Unis représentent peu au regard de la rentabilité globale des films américains. Ainsi, 2012 a réalisé 78 % de ses bénéfices, soit plus de 500 millions de dollars [341,5 millions d'euros], grâce aux entrées en salle internationales. De plus, le public étranger adhère largement aux œuvres de Cameron; les recettes de Terminator 2 («Le jugement dernier»), True Lies («Le caméléon») et Titanic provenaient à plus de 60 % des ventes hors États-Unis. Par ailleurs, le monde entier semble raffoler de 3D. L'Âge de glace: le temps des dinosaures a engrangé 200 millions de dollars [136,5 millions d'euros] aux États-Unis, et près de 700 millions [478 millions d'euros] à l'étranger. Avatar sera projeté sur plus de 16 000 écrans dans le monde, de nombreuses salles s'étant spécialement équipées d'infrastructures 3D pour l'occasion. Pesos, euros et yuans garantis.
Du côté des facteurs de risque, il se trouve qu'Avatar est un scénario original. Or, sur les 50 films les plus rentables de la décennie, Hancock et Le Jour d'après sont les seuls tournés en prises de vue réelles à ne pas être un «épisode» de série ou une adaptation. Cela dit, Cameron ne nous raconte pas une histoire révolutionnaire. Film d'action futuriste saupoudré de romantisme, Avatar remplit fidèlement tous les critères du blockbuster américain.
L'aspect sentimental, parlons-en ; car c'est peut-être là qu'il faut chercher le point faible. Pour être un vrai carton, Avatar devra être vu et revu. Et pour cela, il faut que le film soit bon d'une part, et qu'il conquière les femmes d'autre part. Dans Titanic, Leonardo DiCaprio embrassait Kate Winslet; dans Avatar, Sam Worthington bécote une cat lady. Un expert qui a eu accès aux données de fréquentation établies par les studios m'a laissé entendre que la gent féminine ne serait pas forcément réceptive à l'idylle extraterrestre. Un point à comparer par exemple avec la fréquentation attendue pour Sherlock Holmes, qui sortira à Noël [en février 2010 en France], et qui devrait attirer tous les publics, hommes et femmes confondus, de 7 à 77 ans.
Ce qui nous mène à une dernière question: est-il trop tard pour parer toutes les félines d'Avatar des traits de Kate Winslet ?
Traduit par Chloé Leleu
Image de une, Avatar, DR