Quand un chef fait un essai pour intégrer la cuisine d’un nouveau restaurant, on lui demande souvent d’improviser un menu sur un service. On doit le faire avec les produits à disposition, ça permet de montrer qu’on se débrouille, qu’on sait travailler avec tout.
À chaque fois que je suis confronté à cet exercice, je fais du couscous. C’est une sorte de rituel porte-bonheur. Avec le couscous j’ai toujours eu de la chance, donc je continue.
Il faut admettre que mon couscous est bizarre. D’ailleurs, c’est un peu le but: je ne le fais jamais pareil, mais c’est toujours avec du poisson ou des fruits de mer, comme on le fait dans certains coins de Tunisie et, surtout, à San Vito Lo Capo, en Sicile. C’est très drôle de raconter à la clientèle parisienne qu’on fait du couscous en Italie aussi. «Finalement, la Sicile et la Tunisie, c’est juste quelques dizaines de kilomètres!».
«The food so nice they named it twice»
Une fois, un client a voulu parler avec moi après avoir mangé. J'avais peur qu’il se plaigne d'avoir mangé trop salé alors je me suis approché avec la mine la plus attendrissante que je sais faire.
C’était un Américain à Paris, et il ne voulait pas se plaindre: «Vous savez, disait-il, c’est vraiment génial de retravailler le couscous comme ça. Vous devriez en faire un différent tous les jours. Personne ne le fait à Paris et je ne comprends pas pourquoi. Le couscous, c’est the food so nice they named it twice!»
Mis à part des considérations purement gastronomiques concernant la gamelle que je lui avait servie, ce monsieur avait, je trouve, désespérément raison.
La France et Paris sont toujours the place to be pour les jeunes cuisiniers, avec la bistronomie, les ambiances décontractées, les restos étoilés, la clientèle curieuse et aisée, les loyers pas chers, la contamination, la cuisine des faubourgs, etc.
La France est aussi le seul pays d’Europe qui, depuis des décennies désormais, compte régulièrement le couscous parmi ses plats préférés et les plus consommés.
Malgré tout ça, jusqu'à récemment, très peu de chefs retravaillaient le couscous.
Le couscous, une super idée de société
C'est bien dommage, parce que c'est quand même un beau symbole: un bouillon confus où mijotent plein de trucs différents, qui rencontrent une semoule qui absorbe, multiplie, amalgame, rassure et nourrit.
Le couscous, c’est une super idée de société –c'est peut-être pour ça qu'il n'y en a pas assez.
On voit surgir tous les jours pléthore d’adresses mono-thématiques: les nouilles sichouanaises, les udons très particuliers de cette île minuscule dans le Pacifique, la pizza napolitaine, la pizza au caviar, la pizza hybride, le bar à boulettes, les kebabs gourmets à 10 euros sans boisson ni frites. On revisite et on ressuscite les vieux plats de la tradition française, en plus léger et en plus classe (il suffit d’être passé par le Septime de Bertrand Grébaut pour apprendre que la saison automne/hiver 2016/2017 a été celle du grand retour gourmet de la blanquette de veau...).
On nous propose de mettre de la truffe partout, mais bizarrement personne ne semble avoir jamais pensé à en mettre dans le couscous. D’ailleurs, c’est dommage, parce que, pour une fois, c’était même une bonne idée. Parce que tout fonctionne dans le couscous: c’est un des rares plats où on peut vraiment tout mettre.
Coolisation timide du couscous
Heureusement, j’ai fait des recherches, je me suis renseigné, et j’ai découvert que, depuis peu de temps, et timidement, le couscous semble, enfin, devenir cool.
Au Bel Ordinaire, épicerie-restaurant dans le Xe ouverte depuis quelques semaines, on sert un couscous à la saucisse de Morteau. Le patron, Sébastien Demorand, explique que pour lui, ce plat, c’est la synthèse entre son père («Normand catho pur sucre») et sa mère («juive pied-noire hystérique à souhait»). C’est de la provoc’? Et alors?
Il y a quelques semaines, le critique François Régis-Gaudry disait avoir trouvé «l'un des meilleurs couscous de France», à Toulouse, fait par le chef Hamid Miss avec sa mère.
Et il y a certainement d’autres couscous que je ne connais pas, ou pas encore, mais dans LeFooding, qui est un peu le thermomètre des tendances food de la France macronienne, les adresses de couscous se comptent sur les doigts d’une main.
Le dialogue du couscous
Mais enfin moi je ne suis pas critique, ce qui m’intéresse c’est de voir comment redonner une nouvelle vie à un plat aussi symbolique, comment le faire sortir de son territoire gustatif et culturel d’origine pour devenir quelque chose de pluriculturel –oui aujourd’hui, maintenant, cette semaine. Il est urgent de manger du couscous.
Pour un chef, retravailler la structure d’un plat comme le couscous (et avec succès), c'est comme pour un designer redessiner la chaise-longue. Cela veut dire, depuis les quatre murs de sa cuisine, apprendre à dialoguer avec le temps qui passe, avec les gens qui sont attablés en salle et avec ceux qui sont dehors, dans la rue ou chez eux.
Et j’adore écrire des recettes (des chefs détestent ça, c’est parfois dur de traduire les gestes en mots) mais écrire une recette c’est toujours un acte normatif: il faut faire comme ça, vous allez voir, ce sera mieux. Cette fois-ci, j’aimerais ne pas vous donner de recette: je ne veux pas être normatif.
J’aimerais que chacun puisse raconter comment il mange son couscous mais aussi comment il rêve de le manger: avec du cochon, des mollusques, des fruits de mer, de la tête de veau, de la burrata, de la glace à la pistache.
Faites votre recette, suivant vos propres idiosyncrasies alimentaires, mettez-y vos rigidités, vos souplesses, vos envies, vos peurs, vos nostalgies, votre portefeuille, vos plaisirs coupables et faites tout bouillir pendant plusieurs heures dans une grande casserole.
Dans la mesure du possible, si vous pouviez mettre un peu plus de souplesse et un peu moins de peur et de rigidité, ça serait pas mal. Voilà.
Mon couscous
Cela dit, je vais quand même vous dire quels sont les ingrédients incontournables de mon couscous à moi, juste pour vous donner quelques idées nouvelles.
Je n’utilise pas la semoule classique. J’ai essayé une fois de la faire moi-même, en roulant avec mes petites mains la semoule de blé dur, juste mouillée. Puis je l’ai cuite à la vapeur sur le bouillon et tout le reste. C’était génial comme première expérience, mais toute l’opération a pris environ 5 heures, donc je pense que pour le deuxième essai je vais attendre d’être à la retraite.
Mais comme je n’aime pas trop utiliser des produits précuits, à la place de la semoule j’utilise de la fregola sarda: elle est faite de la même façon (donc on est bon niveau étymologie), mais les graines sont beaucoup plus grosses. Elle s’apparente au moghrabieh, le couscous libanais, mais elle est torréfiée au four, ce qui lui donne un petit goût fumé que j’adore. En Sardaigne on la sert avec des fruits de mer, cuisinée comme un risotto.
©Tommaso Melilli
Niveau protéines, je mets des palourdes, parce que c’est la saison et parce que le jus qu’elles sortent quand on les ouvre à la poêle, avec un peu d’huile et du vin blanc, devient un excellent bouillon-minute. Côté légumes, en plus des classiques, je mets des artichauts romains, parce que ça rappelle les cardons et parce que je suis né en Italie et donc je mets des artichauts partout. Comme je suis Parisien d’adoption et donc je mange du couscous royal, à la place des merguez je mets des sardines gratinées au four avec de la chapelure à l’ail. Ensuite, des pois chiches noirs, parce que je suis quand même un jeune chef hipster et donc il faudra bien que j’utilise des produits rares, bizarres et un peu méconnus.
Et vous, vous le faites avec quoi? Donnez-nous vos recettes sur les réseaux sociaux avec le #couscous2017