France

L'affaire Johnny vs l'affaire Delajoux

Temps de lecture : 7 min

Le médecin qui a opéré le chanteur se défend.

Il s’en est fallu de peu, une question de quelques heures avant que l'infection ne puisse plus être jugulée. Johnny Hallyday doit la vie à la rapidité de sa femme. Laeticia a eu le réflexe de l’emmener à l’hôpital au moment décisif où il le fallait absolument, le 7 décembre. En arrivant au Cedars-Sinai de Los Angeles, la star était en train de souffrir le martyre, attaquée par un staphylocoque doré. «Johnny a été victime d’une infection nosocomiale» a confirmé Dinh Thien Ngo, président du directoire de Jean-Claude Camus Productions. Elle a pu être contractée pendant l’opération de sa hernie discale ou peut-être pas.» Une situation qui explique la plongée dans un coma artificiel pour juguler l’infection pendant près d’une semaine.

Le tempo s'accélère, la vérité s'avance. A Los Angeles, dans la soirée du lundi 15 décembre, Johnny Hallyday est sorti du coma artificiel dans lequel l'avaient placé depuis trois jours l'équipe médicale de  l'hôpital Cedars-Sinaï. Au même moment deux médecins français posaient le pied dans la cité californienne. Ils seront bientôt à son chevet; non pour le soigner mais pour consulter l'ensemble des pièces de son dossier. Il s'agit d'Yves Catonné, chef du service de chirurgie orthopédique et traumatologique du groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière et de François Zuccarelli, médecin-conseil des assurances.

«Le but de la mission est de voir l'état de gravité, de discuter avec les  Américains pour savoir les suites, comment on pourra envisager le rapatriement, dans combien de temps il pourra faire ses concerts raisonnablement», avait fait savoir avant son départ, non sans modestie, le Pr Catonné. On ajoutera que les observations et les conclusions de ces deux praticiens pèseront lourd par la suite dès lors que l'affaire aura des prolongements judiciaires.

Les deux questions centrales de ce dossier médico-légales de ce dossier hautement médiatisé sont connues. Faute médicale versus libre arbitre. Devoir sacré du médecin versus droit du patient à disposer de son corps.

1/ Les complications dont souffre le chanteur sont-elles la conséquence directe de l'intervention neurochirurgicale sur une hernie discale pratiquée le 26 novembre par Stéphane Delajoux à la Clinique Internationale du parc Monceau à Paris.

2/ Ces complications résultent-elles au contraire du comportement du célèbre patient qui a souhaité quitter la clinique dès la lendemain de l'intervention («J+1») avant de reprendre très vite son mode de vie habituel puis de prendre un avion pour Los Angeles à «J+5» et de devoir être hospitalisé à «J+11».

«Démonté la gueule»

Accusé sans preuve par Jean-Claude Camus, le producteur du chanteur, d'avoir commis «un massacre» (Camus rapportant ici des propos tenus par des médecins américains dont il ne donne pas les noms), le Dr Delajoux tente d'organiser sa défense. Il est dans une situation doublement difficile. D'abord parce qu'il lui faut parvenir à s'exprimer sans violer le secret médical. Ensuite parce que, pour reprendre son expression, il s'est fait «démonter la gueule». Il souffre notamment d'un enfoncement de la cage thoracique ce qui lui a valu quinze jours d'interruption temporaire de travail (ITT)  prescrits par un praticien hospitalier. Il a de ce fait dû reporter son programme opératoire et ses consultations et projette de partir prochainement en vacances avec ses enfants.

Pour autant, Delajoux ne baisse pas la garde. En témoigne les informations qu'il a souhaité donner, lors «d'un entretien téléphonique circonstancié» accordé au Quotidien du Médecin [sur abonnement]. Le «neurochirurgien des stars» conteste toute erreur. L'historique médical du dossier Hallyday ne présente selon lui aucune anomalie et, bien évidemment, il envisage d'engager des procédures en diffamation dès que son patient sera rétabli; des procédures, notamment, contre tous les médias qui l'ont mis en cause sur la base — estime-t-il — d'«inepties extraordinaires».

ITT ou pas, un staff s'est réuni le 14 décembre à la Clinique Internationale du parc Monceau autour du Dr Stéphane Delajoux et des dirigeants de l'établissement, raconte le Quotidien:

Tous les éléments du dossier Hallyday ont été mis au propre, rapporte le journal médical sur la foi des informations données lors de la conversation téléphonique. Aucune erreur, aucune anomalie n'a été décelée à aucun moment, pendant et après l'acte opératoire. De telles interventions, le neurochirurgien en réalise, bon an mal an, entre 200 et 400 par an. Dans le cas présent, l'équipe chirurgicale, selon lui, a été "super clean". C'est donc une histoire médicalement extrêmement simple et la situation a évolué selon un déroulement que l'intéressé estime connaître très bien.

Le Dr Delajoux tient à faire savoir qu'il y a un an il avait déjà effectué une intervention semblable sur le chanteur. Il affirme l'avoir alors sauvé d'un risque de paralysie du pied. C'est ce premier geste opératoire réussi qui a conduit le chanteur à lui confier une deuxième intervention qui serait sans rapport avec la première.

Que s'est-il passé lors du Paris-LA?

A l'issue de l'opération du 26 novembre, tous les scanners comme les constantes biologiques étaient normaux. Rien ne s'opposait donc à une sortie de la clinique à J+1. Johnny Hallyday était semble-t-il impatient de regagner son domicile. Le 27, il quittait sa chambre dès 16 heures, alors que sa sortie n'était programmée qu'à 18 heures.

Toujours selon le Dr Delajoux à «J+5», au moment du départ pour Los Angeles, son patient ne présentait aucune contre-indication médicale: absence de fièvre et cicatrice parfaitement propre. On ajoutera que dans les jours qui ont précédé son décollage pour la Californie, Johnny avait joyeusement fréquenté, avec des amis, quelques restaurants parisiens avec des amis  sans montrer de handicap particulier comme en témoignent des photographies de paparazzi.

Dès lors que s'est-il donc passé durant le vol Paris-Los Angeles, ou après l'arrivée aux Etats-Unis? Malheureusement, selon le Dr Delajoux, une histoire d'infection postopératoire très classique. «Joint par téléphone au sujet des symptômes présentés alors par son patient, le chirurgien demandait alors une admission en urgence dans un hôpital de Los Angeles. En contact avec l'un des praticiens de l'établissement, il lui a transmis le dossier médical de l'intervention, rapporte le Quotidien du Médecin.

Complication infectieuse

La sédation médicamenteuse, sans employer l'expression de coma artificiel, est alors décidée. C'est une technique appropriée pour la suite d'un tel traitement chez ce type de patient. Il ne devrait pas susciter d'inquiétude particulière.» En résumé, pour le Dr Delajoux, on serait donc bien en présence, s'agissant des soins diligentés à la clinique Monceau, d'un «beau dossier médical»; un dossier comme il en existe tant et tant, les autres demeurant — fort heureusement — de tristes exceptions.

«Des examens biologiques faits quelques heures avant son départ pour Los Angeles n'ont montré aucun stigmate infectieux, précise sur son blog Jean-Daniel Flaysakier, journaliste spécialisé dans les questions de santé à France 2, citant une source proche du dossier. La numération formule sanguine et, en particulier, le taux de polynucléaires étaient normaux. Le taux protéine C-réactive, un excellent témoin d'inflammation et d'infection était également normal, plusieurs jours donc après le geste chirurgical (...) La prise en charge de cette infection, simple au demeurant, aurait cependant nécessité pour des raisons autres, la mise du chanteur sous sédation, c'est-à-dire notamment des doses élevées de tranquillisants associée à une importante réhydratation.»

Depuis qu'elle est connue, cette affaire fait beaucoup parler dans les milieux français de la neurochirurgie où l'on évoque plus volontiers une «affaire Delajoux» qu'une «affaire Hallyday». Que nous dit le Pr Michel Jan, spécialiste de neurochirurgie (CHU Bretonneau, Tours) :

Pour ce qui est du dossier médical proprement dit les choses nous semblent aujourd'hui assez claires. Les différents éléments disponibles plaident en faveur d'une complication infectieuse après intervention sur une hernie discale. Ce type de complication survient, selon la littérature spécialisée européenne et nord-américaine dans moins de 1% des cas mais tous les chirurgiens qui pratiquent cette intervention y sont, un jour ou l'autre, confrontés. L'important est alors d'intervenir et de mettre en place un traitement antibiotique adapté avant que l'infection ne passe de l'"abcès de paroi" initial à des zones plus profondes. Le risque infectieux est plus élevé quand on intervient une deuxième fois au même étage de la colonne vertébrale ce qui ne semble pas être le cas dans ce dossier, l'intervention de 2008 ayant porté sur une autre hernie discale.

L'hypothèse de la complication infectieuse post opératoire confirmée il restera à déterminer si la responsabilité de la clinique (et/ou du chirurgien) pourra être mise en cause dès lors que cette complication est apparue hors les murs de l'établissement. «Dans ce cas de figure, deux situations sont possibles, résume le Pr Jan. Soit il s'agit d'une infection nosocomiale, contractée à partir d'un germe extérieur présent dans la clinique ou le service hospitalier; soit il s'agit d'une infection provoquée par un germe dont le patient était porteur.

Des agissements qui ont irrité la communauté spécialisée

Le type de germe aide souvent à trancher; ainsi un staphylocoque signe-t-il souvent une infection nosocomiale.» Après les conclusions des experts dépêchés en Californie et des recherches en responsabilités, on peut s'attendre à de sérieuses algarades opposant les assurances contractées par le chanteur et l'organisateur de ses spectacles d'une part et de l'autre celles (qui pourraient bientôt s'opposer) contractées par le neurochirurgien et par la clinique privée parisienne.

Reste, pendante, «l'affaire Delajoux». Michel Jan:

Qu'il ait ou non une part de responsabilité dans ce dossier force, est de constater que l'affaire vient rappeler les différents agissements de ce médecin qui ont profondément irrité la communauté spécialisée, observe le Pr Jan. La liste est déjà longue. Elle inclut une condamnation pour escroquerie à l'assurance (simulation d'une paraplégie après accident de ski), des pratiques inacceptables et, en juillet 2003, une intervention proprement honteuse sur Marie Trintignant (présentée comme celle "de la dernière chance" alors que cette femme était en état de mort cérébrale.

Dès qu'il connaîtra les conclusions du Pr Catonné et du Dr Zuccarelli, le producteur Jean-Claude Camus, également présent au chevet du chanteur, dira ce qu'il devrait en être de la suite de «Tour 66» la dernière tournée du chanteur.  Le spectacle, bien sûr, se doit continuer. Continuera-t-il?

Jean-Yves Nau

Image de une: Johnny Hallyday lors des obsèques de Carlos, en décembre 2008. Charles Platiau / REUTERS.

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