En faisant adopter en 2010 une réforme des retraites qui se limitait à repousser l’âge de départ de 60 à 62 ans, le chef de l’État Nicolas Sarkozy (qui l’avait voulue) et son Premier ministre François Fillon (qui l’avait portée) renvoyaient à 2013 ou 2014 (sous un futur mandat présidentiel) l’étude d’une refonte en profondeur du système des retraites.
Ce qui ne fut pas fait, Nicolas Sarkozy ayant échoué à se représenter et son successeur François Hollande n’ayant pas inscrit à son programme cette réforme forcément à haut risque. Ce dernier chargea seulement Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre, d’introduire des dérogations pour carrières longues et d’augmenter progressivement la durée de cotisation nécessaire pour profiter d’une retraite à taux plein. Mais pas de bouleversement.
Un projet de système universel
Cette fois, Emmanuel Macron, candidat au deuxième tour de l’élection présidentielle face à Marine Le Pen, fait de cette réforme un axe important de son programme. Le sujet en vaut la chandelle. Le montant du total des pensions représente aujourd’hui 14% du produit intérieur brut (PIB) de la France.
Et bien qu’on ne compte déjà plus que 1,7 actif par cotisant de droit direct (sans compter les reversions pour les conjoints de retraités décédés), le rapport doit continuer de baisser pour atteindre 1,4 actif par cotisant à l’horizon 2040, indique le Conseil d’orientation des retraites (COR) dans un rapport de juin 2016 sur l’évolution et les perspectives des retraites en France.
Dans un système par répartition où les cotisations des actifs financent les pensions des retraités, l’abaissement de ce taux induit une charge plus lourde pour les actifs. D’où la nécessité d’introduire une plus grande efficacité du système pour alléger la charge.
Or, en France, entre les régimes de base et les régimes complémentaires, on compte 35 régimes différents, avec leurs propres règles. Ce qui est de nature à générer des inégalités entre les pensionnés. En outre, à une époque où la mobilité professionnelle implique que l’on passe d’un régime à un autre au cours de sa carrière, cette diversité est à l’origine de situations fort complexes pour les retraités polypensionnés (dépendant de plusieurs régimes), avec des injustices à la clé au moment des calculs.
Pour corriger ce manque d’équité et introduire plus de lisibilité, Emmanuel Macron propose de mettre en place un système universel de retraites dans lequel « un euro cotisé donne les mêmes droits, quel que soit le moment où il a été versé, quel que soit le statut de celui qui a cotisé». On aboutirait ainsi à un alignement des règles entre public et privé, aboutissement de la convergence déjà engagée.
Points et comptes notionnels
Dans le projet En marche!, les cotisations seraient inscrites sur un compte individuel et revalorisées chaque année selon la croissance des salaires. Au moment du départ en retraite, le total des droits accumulés serait converti à l’aide d’un coefficient de conversion pour établir le montant de la pension.
Le principe de la répartition qui fonde la solidarité intergénérationnelle demeurerait la règle, l’âge de départ et la durée de cotisation ne seraient a priori pas modifiés, la prise en compte de la pénibilité serait préservée, et des spécificités pourraient subsister grâce à la modulation de taux de cotisation.
Le système universel de retraite décrit dans le programme d’En marche! se rapproche d’un système par points dans lequel, selon la définition du COR, la pension à la liquidation est le produit du nombre de points total acquis par l’assuré au moment du départ à la retraite par la valeur de service du point à cette date. Une simple multiplication! Ce système, utilisé en France pour les retraites complémentaires AGIRC et ARRCO, est par exemple en vigueur en Allemagne (sauf pour les fonctionnaires).
De la souplesse
Mais dans la mesure où le projet d’Emmanuel Macron prend en compte l’âge de départ en retraite et l’espérance de vie en fonction de l’année de naissance pour établir un coefficient de conversion qui garantisse l’équilibre (théorique) du dispositif, il correspond plutôt à un système en comptes notionnels tel que l’appliquent la Suède ou l’Italie.
On estime généralement que ces systèmes font preuve de souplesse: chaque année, le nombre de points acquis par l’assuré dépend des cotisations versées, et un coefficient d’anticipation ou d’ajournement peut être appliqué en cas de départ à la retraite anticipé ou retardé par rapport à un âge de référence.
Dans les deux cas, cette réforme ferait sortir la France du système actuel par annuités que l’on connait aussi en Belgique, au Canada ou en Espagne… On doit noter qu’un système par répartition, quelle que soit sa nature, ne s’oppose pas à l’existence de retraites supplémentaires par capitalisation souscrites individuellement. En guise de complément de retraite.
Quel objectif?
En réalité, la réforme envisagée par Emmanuel Macron vise surtout à remettre à plat le dispositif français des retraites pour le simplifier et introduire plus d’équité et de transparence. Un «grand soir» pour les retraites, pour sortir d’un système rigidifié par l’accumulation de strates qui se sont superposées en soixante dix ans d’existence. On peut en attendre aussi une plus grande efficacité de gestion, mais les problèmes ne vont pas disparaître par magie.
Car quel que soit le système retenu, les leviers de base pour assurer la viabilité d’un système restent les mêmes: au nombre de trois, il s’agit d’abord du rapport entre le nombre de cotisants et le nombre de retraités, ensuite du taux de prélèvement global par rapport au total des revenus d’activité, et enfin de la pension moyenne de l’ensemble des retraités. Ces paramètres sont déterminants et il n’existe pas de martingale qui permette de privilégier un système par rapport aux autres.
Emmanuel Macron compte toutefois sur une amélioration de l’équation financière du système de retraite pour engager cette réforme dans les meilleures conditions. Pourtant, la perspective d’un retour à l’équilibre se situe à une échéance relativement éloignée. Ainsi, les experts du COR n’attendent pas de miracle, quelles que soient les hypothèses économiques: «À l’horizon de 2020, les scénarios économiques considérés ne sont pas différenciés et le solde financier du système de retraite est par conséquent identique entre tous les scénarios jusqu’à cette date.»
Tout dépend du rythme de croissance économique:
«L’équilibre serait atteint dès le milieu des années 2020 dans les scénarios 1,5%, 1,8% et 2%. À l’inverse, le système de retraite resterait durablement en besoin de financement en cas de croissance des revenus d'activité inférieure à 1,5 % par an à long terme.»
Vers une baisse du niveau des retraites
Avec une mention particulière pour le taux de chômage qui détermine les rentrées de cotisations, et peut générer un solde financier excédentaire s’il baisse à 4,5% selon l’une des hypothèses du COR, ou au contraire plonger le système dans le rouge s’il devait se maintenir dans une zone proche des 10%.
En tout état de cause, les retraités ne doivent pas s’attendre à une revalorisation mécanique de leur pension par la mise en place d’une réforme. Au contraire. D’une façon générale, le COR anticipe plutôt une baisse du niveau des retraites d’ici à 2040. Cette tendance est déjà amorcée avec le gel des pensions qui fut récemment opéré. Mais surtout, le taux de remplacement qui permet d’établir le montant de la pension par rapport au salaire moyen sur la période de référence (25 meilleures années pour le régime général), est appelé à baisser.
Il est vrai que, aujourd’hui en France, les retraités au nombre d’environ seize millions, apparaissent relativement avantagés par rapport à d’autres pays. Avec un montant mensuel moyen d’un peu plus de 1300 euros selon l’Insee, le niveau de vie relatif des retraités français par rapport à l’ensemble de la population apparaît le plus élevé de onze des principaux pays de l’OCDE, selon des statistiques du COR de 2012. Mais il ne s’agit que de moyennes, qui ne reflètent pas le ressenti des titulaires de petites pensions.
Rendez-vous dans cinq ans
Dans ces conditions, tout le monde n’est pas favorable à la réforme dans la mesure où la recherche d’un nouvel équilibre ne pourrait être réalisé qu’en rabotant les avantages dont disposent les retraités français.
En outre, si les systèmes par points et par comptes notionnels apparaissent plus transparents et plus souples, ils poussent aussi les salariés âgés à travailler plus longtemps pour profiter de pensions plus élevées.
Enfin, ces systèmes qui laissent une plus grande marge de manœuvre individuelle introduisent un sentiment d’équité tronqué dans la mesure où un salarié ayant effectué des travaux pénibles n’aura pas la même capacité qu’un cadre de prolonger sa période d’activité et donc d’améliorer le montant de sa pension.
Toute la question consiste à établir quels sont les niveaux supportables de cotisation pour financer les retraites sans pénaliser l’économie. Des taux qui ont encore augmenté pour les actifs en 2016 et 2017.
Autant de critiques qui laissent présager de négociations difficiles sur le sujet. De sorte qu’Emmanuel Macron, s’il accède à l’Élysée, anticipe de longues consultations avec les partenaires sociaux et représentants politiques, avant que le futur gouvernement ne prenne ses responsabilités en présentant un projet de réforme au Parlement.
Ainsi l’objectif est ambitieux, mais l’entrée en application d’une réforme serait d’ores et déjà reporté qu’à «la législature suivante», indique le programme. Donc, après... 2022!