Nicolas Sarkozy a reconnu mercredi 16 décembre qu’il n’avait pas toujours eu la fibre écologique. «J’ai changé», a expliqué le président français. Lors d'une interview accordée à Canal +, il a affiché sa détermination avant de s’envoler pour Copenhague où il doit participer au sommet de l’ONU sur le climat.
Tandis que les négociations semblent se durcir, Nicolas Sarkozy a dévoilé son plan de bataille. En première ligne l’Europe, «la France et le Royaume Uni, l’Allemagne aussi», a précisé le chef de l’Etat. Mais selon lui, pour l'emporter, il faut aussi «que l’Europe ait à ses côtés l’Afrique». Le président français a aussi dit compter sur le soutien des Etats-Unis, même s’il a reconnu que Barack Obama manquait d'appuis dans son propre pays. «Je vais à Copenhague avec le souci qu’on ait un succès. Je n’envisage pas un échec parce qu’un échec serait catastrophique. On va batailler chaque minute», a insisté Nicolas Sarkozy.
Au passage, le président français a rejeté les critiques autour de son propre bilan carbone. «Je ne dis pas qu’il faut arrêter la croissance, je dis qu’il faut une croissance durable», a-t-il expliqué, se démarquant des Verts qui prônent, selon lui, la décroissance.
Nicolas Sarkozy a défendu le débat «particulièrement noble» sur l’identité nationale. «Est-ce que c’est moi qui invente la ghettoïsation dans certains quartiers, la montée de la violence dans d’autres, l’absence de diversité dans les élites françaises?», s’est interrogé le président de la République.
Le Sommet de Copenhague tout comme le Grand emprunt aideront-ils Nicolas Sarkozy à sortir de sa mauvaise passe? Le Président de la République s'est installé depuis deux bons mois maintenant — pratiquement depuis l'annonce de l'instauration d'une taxe carbone — dans une posture défensive, dans un contexte où la confiance lui est refusée par presque deux Français sur trois. Et pour la première fois, depuis qu'elle est installée aux commandes du PS, Martine Aubry semble avoir trouvé le bon slogan pour mobiliser autour de la gauche en vue des régionales: elle oppose en effet aux trois «I» présidentiels — Immigration, Insécurité, Identité nationale — les trois «E» que les socialistes veulent mettre en avant: Emploi, Education, Ecologie.
Martine Aubry en phase avec les aspirations du pays, c'est une nouveauté: l'emploi est redevenu une obsession et la préoccupation absolue pour un pays traumatisé par tant d'années de chômage de masse; l'éducation est un sujet d'inquiétude constant et d'insatisfaction permanente; l'écologie s'inscrit de plus en plus dans les préoccupations concrètes et immédiates des Français.
Pour prendre la mesure des difficultés de Nicolas Sarkozy et de sa capacité à les résoudre, il faut regarder le paysage sous trois angles: l'action, la fonction, l'organisation.
L'action? Il est classique en France de voir un président, sinon désavoué, du moins tenu à distance par les Français après plus de deux ans de pouvoir. Qui plus est, dans une situation de crise particulièrement difficile, marquée, comme l'a reconnu Nicolas Sarkozy, par la constante augmentation du chômage. «La situation reste très difficile pour nos concitoyens. Les destructions d'emplois se poursuivent», a-t-il constaté.
A cette aune-là, le président devrait pouvoir retrouver un meilleur lien avec le pays dès lors que le chômage commencerait de reculer; ne serait-ce que parce que le lien pourrait être fait alors entre une politique anti-crise et ses résultats concrets dans le recul du chômage. Nous n'en sommes pas là certes! mais les perspectives de reprise, combinées à une situation démographique inédite, qui dans tout le courant de l'année 2010 va conduire une bonne partie de la génération du baby boom à faire valoir ses droits à la retraite, laissent espérer, à partir de 2011, une meilleure maîtrise de la situation de l'emploi.
Du point de vue de l'action d'ailleurs, la journée du 14 décembre était tout bénéfice: pour la première fois, Nicolas Sarkozy n'avait, en veux-tu en voilà, que des bonnes nouvelles à annoncer, à travers des investissements tournés vers l'avenir.
Mais si l'on regarde la fonction, plus précisément la façon dont elle est exercée, le déficit devrait être plus difficile et plus lent à combler. Nicolas Sarkozy, en effet, se flatte d'avoir fait éclater les codes de la fonction présidentielle, d'exercer celle-ci en rupture avec celle de ces prédécesseurs. Côté face, un style plus direct en effet, un langage et une attitude plus conformes à une présidence de proximité.
Coté pile, en revanche, l'idée énoncée par Nicolas Sarkozy que, même si les Français désapprouvent, il leur faudra se faire à sa façon d'exercer et de monopoliser le pouvoir. C'est là précisément que le bât blesse: les Français ont aussi élu Nicolas Sarkozy pour qu'il entre dans le costume et non qu'il change ledit costume. Sans doute le chef de l'Etat a-t-il conscience de ce hiatus qui devrait le conduire à rassurer, et non à inquiéter, dans une période particulièrement anxiogène.
En tous cas, à l'occasion du lancement de l'emprunt, deux inflexions sont à noter. La première est le recours à la conférence de presse, mode de communication tellement plus démocratique que les entretiens sur mesure et compassés à la télévision. La seconde réside dans les allusions constantes faites par Nicolas Sarkozy, au long de son exposé et de ses réponses, à l'action et au concours du Premier ministre, de Christine Lagarde et Eric Woerth, et plus généralement du gouvernement.
Qui plus est, en présentant un dispositif conforme aux recommandations des experts qu'ont été, en cette matière, Alain Juppé et Michel Rocard, deux anciens Premiers ministres, l'un chiraquien, l'autre socialiste. Mais il faudra plus d'une conférence de presse, plus d'une inflexion pour surmonter le doute qui s'est de nouveau installé dans l'opinion sur le mode d'exercice par le président de sa fonction.
Reste l'organisation politique mise en place par Nicolas Sarkozy pour sa traversée du quinquennat et peut-être demain — malgré le souhait de son épouse Carla d'un seul mandat pour lui — pour un nouveau rendez-vous avec les Français en 2012. Cette organisation consiste à sécuriser autour de lui le territoire de la droite, de toutes les droites; et à déstabiliser celui de la gauche. A ce stade, Nicolas Sarkozy a excellemment maîtrisé l'exercice.
Ce qui fait la grande différence avec ses prédécesseurs: Valéry Giscard d'Estaing n'a pas survécu à la coupure en deux de la droite, entre centristes et gaullistes; Jacques Chirac, sur son seul nom, ne rassemblait péniblement au premier tour qu'entre 18 et 19%; Nicolas Sarkozy, jusqu'à présent, comme les élections européennes l'ont confirmé, peut compter sur la fidélité de tout son électorat. Il ne faut pas chercher d'autre explication au lancement de ce fameux débat sur l'identité nationale, comme il n'y a pas d'autre explication aux relances régulières du thème de la sécurité et à l'insistance avec laquelle le bouclier fiscal est sacralisé.
Pourtant, sur ce chapitre, de sérieuses fissures ont commencé d'apparaître. A travers, notamment, la mauvaise humeur des parlementaires dont le dernier épisode spectaculaire est le vote hostile du Sénat au redécoupage des circonscriptions législatives. Dans une assemblée, le Sénat, où la majorité n'est plus acquise, la défection de quelques voix centristes crée une situation inédite. Mais, auparavant, il y avait eu les protestations d'Alain Juppé et Jean-Pierre Raffarin sur la suppression de la taxe professionnelle, et, plus récemment, celle de ceux qui doutent — Jean-Pierre Raffarin notamment — de la pertinence du débat sur l'identité nationale et de son impact à l'endroit d'un certain nombre de nos compatriotes, notamment ceux qui sont de confession musulmane.
Dispersion
Un autre test de cette prise de distance d'une partie de la droite avec Nicolas Sarkozy réside dans le succès de la démarche d'un Jean-François Copé, à travers les réunions qu'il organise autour de son futur club présidentiel, Génération France. Les élections régionales permettront de mesurer en tous cas la solidité, autour de l'UMP, de l'électorat de Nicolas Sarkozy et de sa capacité à éviter toute résurgence de l'extrême droite.
Vis-à-vis de la gauche, dont la dispersion et la faible crédibilité sont pour le moment les principaux atouts de Nicolas Sarkozy, la stratégie est simple: distraire une partie de l'électorat des Verts, et démoraliser l'électorat resté fidèle au PS. Il n'a échappé à personne que, grâce notamment au sommet de Copenhague, lequel vient après le Grenelle de l'environnement, et le gage donné aux écologistes à travers la taxe carbone, le président veut apparaître comme le premier des écolos. Et qu'il fera tout pour faire monter le vote Vert, comme naguère François Mitterrand s'était employé à encourager — plus discrètement il est vrai — le vote Front national.
A la condition bien sûr, qu'aux dégâts causés au premier tour par la montée des Verts aux dépens du PS puisse s'ajouter un minimum de transferts de l'électorat Vert en direction de l'UMP, ou de Nicolas Sarkozy lui-même. Car la stratégie de ce dernier, visant à verrouiller le territoire des droites, a certes pour avantage de faire très bonne figure au premier tour; mais elle a aussi pour désavantage d'être en panne de réserve de voix pour le deuxième tour. Ces réserves, très clairement, Nicolas Sarkozy compte les trouver dans la montée d'un vote écolo.
Les régionales, test présidentiel
Quant à l'électorat resté fidèle aux socialistes, c'est sa constante déstabilisation qui est recherchée à travers les diverses opérations d'ouverture ; même si celles-ci sont, pour l'heure, mises sous le boisseau, il y a donc fort à parier qu'elles resurgiront.
Tout cela n'interdit pas évidemment à l'opposition de régler ses problèmes, de trouver les bons slogans, le bon leader et les bons alliés. Car, pour le moment, si l'on se base sur les élections européennes et si l'on ajoute aux voix de gauche celles du Modem, cela donne une majorité partout. C'est probablement sur la base de ce constat que Martine Aubry a cru pouvoir annoncer que, non seulement la gauche conserverait ses 20 régions, mais qu'elle pourrait y ajouter les deux qui manquent, l'Alsace et la Corse.
En tous cas, n'en doutons pas, les élections régionales seront le premier et le seul test grandeur nature pour le chef de l'Etat comme pour ses opposants, avant la bataille présidentielle. Toute chose égale par ailleurs: la grande crainte de Nicolas Sarkozy, pour l'heure sa grande satisfaction, réside, comme toujours en France, dans le climat social. Tant qu'il reste ce qu'il est, c'est-à-dire globalement calme, cela lui donne le temps de reconstruire une confiance plus large autour de lui. Mais, s'il advenait que tel ou tel mouvement cristallise autour de lui de plus larges fractions du corps social, il en irait tout autrement.
Jean-Marie Colombani
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Image de une: conférence de presse de Nicolas Sarkozy, le 14 décembre 2009. Philippe Wojazer / Reuters