Devant l'immensité de la «couverture» médiatique du coma de Johnny dont il vient d'ailleurs juste de sortir, il m'est passé à l'esprit, l'espace d'une seconde rassurez-vous, une interrogation. Et si Johnny meurt, comment sera désigné le prochain Johnny, l'idole des jeunes et des moins jeunes? Faudra-t-il guetter une quelconque fumée blanche, y aura-t-il une consultation électorale?
Cette question absurde est sans doute née en constatant que l'agonie (qui n'en est finalement sans doute même pas une) de Johnny était commentée avec une inquiétude, un luxe de détails et tout simplement un volume de pages de quotidiens et de temps d'antenne à la radio et à la télévision, digne des dernières heures d'un pape ou d'un chef d'Etat adulé par son peuple et sa presse. Johnny n'est donc pas le pape et s'il meurt, il n'y aura plus de Johnny! Il faut s'y résoudre. On en vient quand même à se demander si cette gloire quasi officielle ne conduira (ou ne conduirait) pas le président à décréter un deuil national de trois jours et 24 heures de musique classique sur les radios publiques si d'aventure Johnny devait passer l'arme à gauche.
La popularité de Johnny a toujours été un mystère pour moi. J'en tire une sorte de complexe. Qu'est-ce que je ne comprends pas? Qu'est-ce que je ne vois pas? Johnny n'a rien inventé, il a toujours imité, adapté, interprété, bien interprété mais simplement interprété... il a suivi les modes, pas toutes quand même, en rocker authentique, il a eu le bon goût de nous épargner une période disco. Son look aussi suivait les modes, avec toujours un petit temps de retard. Le collier de barbe ou les pattes devant les oreilles, il les a portés 6 mois après tous les rockers à la mode aux Etats-Unis et les a gardés deux ans après que ce soit devenu totalement ringard! Il n'a jamais rien dit de transcendant sur rien... Son charisme viendrait donc simplement de sa voix et de sa façon de bouger sur scène? C'est déjà beaucoup mais normalement ça ne suffit pas pour passer du statut de vedette à celui de star!
Elvis Presley, bête de scène était aussi précurseur et, d'une certaine façon révolutionnaire. Bruce Springsteen, bête de scène aussi, est également une conscience politique et le porte-parole de toute une partie de l'Amérique. Qu'a Johnny, en plus de sa formidable présence scénique et de sa qualité d'interprète?... Le mystère que représente pour moi ce statut de star est de la même nature que le mystère de la formidable popularité de Jacques Chirac. Comme le chanteur, il n'a rien inventé, il a interprété, adapté. Il a suivi les modes politiques: pompidolien dans les années 60, néo libéral dans les années 80, droite sécuritaire et sociale dans les années 90, écolo dans les années 2000.
Comme Johnny qui préférait s'exiler pour ne pas payer ses impôts en France, et avait donc avec le civisme et la loi une pratique assez distanciée, les multiples affaires qui ont émaillé la vie politique de Jacques Chirac n'en faisaient pas non plus le parangon de la vertu et du respect scrupuleux de la loi, ou du moins de la déontologie du pouvoir. Et pourtant, ces deux hommes, pas si extraordinaires que ça, sont des stars, les stars dans leurs domaines. Et si ce qui les rend ce qu'elles sont n'était pas qu'ils ont une qualité rare et précieuse, une qualité plus quantifiable qu'appréciable: la longévité. Ces deux hommes, qu'on les écoute ou pas, qu'on ait voté pour eux ou pas, ces deux hommes sont dans nos vies, à nos «unes» depuis 40 ans! On les aime comme on aime l'Arc de triomphe, un monument en soi sans intérêt, ou un vieux meuble familier. C'est un peu court comme explication, je sais mais je n'en vois pas d'autre... Une idée?
Thomas Legrand
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Image de Une: Johnny Hallyday Reuters