Roger Federer devrait faire attention à lui. En quelques jours, Thierry Henry et Tiger Woods, ses deux compagnons de pub pour le compte de la marque Gillette, se sont retrouvés au cœur de deux scandales et au départ de deux incendies médiatiques à travers le monde. Le premier en raison d'une main baladeuse dans la surface de réparation irlandaise, le second à cause d'un arbre embouti au beau milieu de la nuit -arbre qui, en fait, cachait la forêt de sa vie privée aux apparentes multiples ramifications.
Quelques semaines plus tôt, Andre Agassi, autre icône sportive, avait déjà suscité la polémique en révélant dans son livre autobiographique Open qu'il avait eu recours à une drogue récréative au milieu d'une dépression en 1997. Cette substance lui avait même valu un contrôle antidopage positif étouffé par les autorités du tennis professionnel. Et on n'oublie pas qu'en septembre, Serena Williams, n°1 mondiale du tennis, avait été elle-même à l'origine d'une sacrée controverse après avoir copieusement insulté une juge de ligne lors de sa demi-finale de l'US Open contre la Belge Kim Clijsters.
Cela fait évidemment beaucoup, en très peu de temps, pour le sport, censé porter des valeurs, à l'évidence foulées au pied par ses porte-étendards. Mais le fait n'est évidemment pas nouveau. Personne n'a oublié le coup de boule de Zinedine Zidane en finale de la Coupe du Monde de football en 2006. Tout le monde a en mémoire les démêlés du basketteur Kobe Bryant avec la justice après une affaire d'adultère. En revenant de Pékin, où il avait glané huit médailles d'or, le nageur Michael Phelps, nouveau héros de l'Amérique, n'avait pas échappé de son côté à l'hallali parce que lors d'une soirée, il avait été photographié fumant de la marijuana. Sans parler des multiples cas de dopage, et parfois de violence, qui ont entamé la crédibilité de toutes les disciplines, des plus exposées aux plus obscures.
Et précisons une chose pour ceux qui auraient l'illusion de le croire: non, ce n'était pas forcément mieux avant, c'est-à-dire il y a longtemps, ou au moins n'était-ce pas aussi idyllique que certains voudraient le laisser croire. Dopage, tricherie et autres travers existaient déjà, certes dans des proportions moins «industrielles», mais le loup se délectait alors dans la bergerie à l'abri des medias de l'époque moins armés, ou regardants, pour le débusquer. La mort du Britannique Tom Simpson dans l'ascension du Mont-Ventoux lors du Tour de France 1967 en fut l'une des démonstrations les plus tristes et les plus éclatantes. Car à l'époque existaient déjà des enjeux financiers, on le concède moins affolants qu'actuellement, mais néanmoins choquants pour des contemporains qui ne pouvaient étancher de surcroît leur soif d'informations (et de contrôle) à la source de Twitter.
Cette petite cascade récente d'affaires a redonné des boutons et des poussées de fièvre à ceux qui voudraient voir les sportifs comme des modèles et dénoncent de fait le dévoiement de leur «mission» due principalement aux sommes folles mises sur le marché. Ils ont tort.
Dans sa tribune sur Slate.fr Nous sommes tous des Irlandais au lendemain de France-Irlande, Jacques Attali écrivait: «Après l'acte inqualifiable de Zidane à Berlin, voici l'acte malhonnête de Henry, à Paris. Le football se discrédite. Des gens qui devraient être des modèles disent ainsi aux jeunes: il faut frapper quand vous êtes insultés; il faut tricher quand vous n'êtes pas pris. C'est honteux.» C'était ne pas faire confiance à ces jeunes et à leurs éducateurs qui, notamment le week-end suivant la main de Thierry Henry, en ont longuement parlé, souvent en groupes, avant de débuter leur entraînement hebdomadaire. Ce fut un joli moment de partage et l'occasion de réviser et de rappeler les règles du jeu.
Dans le mensuel So Foot, qui reprend ces jours-ci un article paru dans The Times of London, Didier Drogba raconte une savoureuse anecdote qui éclaire l'intelligence des plus petits, moins fanatisés qu'on voudrait l'imaginer. Alors que son père avait perdu l'esprit lors de la demi-finale de la Ligue des Champions entre Chelsea et Barcelone, Isaac Drogba, huit ans, qui avait regardé le match avec ses copains de l'école, s'est ainsi adressé à son géniteur: «Ce n'est pas bien ce que tu as fait papa. Il y avait peut-être des penalties, mais ce n'est pas une raison pour faire ça à l'arbitre.»
Les sportifs sont des êtres humains comme tous les autres, avec leurs qualités et leurs défauts, avec en leur sein des êtres intelligents et stupides. Et il ne faut pas leur en demander davantage sous le prétexte qu'ils passent en boucle à la télévision et gagnent des fortunes. Certains accèdent à la célébrité avant même la fin de leur adolescence sans même avoir reçu l'éducation qu'ils auraient pu espérer avoir s'ils avaient été des jeunes «normaux».
Ceux qui doivent être interrogés, voire blâmés, ce ne sont pas ceux qui perçoivent ces chèques astronomiques, mais ceux qui les donnent. Que fait, par exemple, Zinedine Zidane au sein du conseil d'administration de Danone, voilà une bonne discussion que pourrait avoir Jacques Attali avec Franck Riboud, patron visiblement pas chamboulé par un coup de boule.
Tiger Woods est devenu le sportif le plus riche de l'histoire par la grâce de marques qui ont vu en lui le meilleur vecteur de communication de leurs valeurs. Tandis pis si elles sont déçues aujourd'hui ou feignent de l'être. Dans cette histoire scabreuse, pour ma part, j'y vois plus matière à être rassuré. Au moins Tiger Woods est humain (et un mauvais conducteur) après nous avoir donné le sentiment d'être un joueur de golf venu d'ailleurs, incapable de sentiments et de connexions avec le réel. Et aucun amateur de golf et fan du formidable champion qu'il est ne le regardera différemment demain lorsqu'il réussira d'autres prouesses techniques sous le prétexte qu'il aurait trompé sa femme. Parce que l'on s'en moque, comme l'on oubliera la tirade de Serena Williams qui a «dégoupillé» comme tout joueur à qui l'on compterait une faute de pied donnant balle de match à son adversaire.
Un enfant ou un adolescent ne cherche pas une éducation à travers un sportif, qui n'est pas formé pour cela, ou même un Président fût-il des Etats-Unis (remember Bill Clinton et Monica Lewinski). On peut imaginer que des parents ou des professeurs sont mieux placés pour la prodiguer. Ce qu'il espère, c'est avant tout une émotion, comme lorsque Michael Jordan s'envolait dans les airs, ou quand aujourd'hui, Roger Federer déploie ses ailes au filet.
Il y a 25-30 ans, j'étais un supporter fanatique de Yannick Noah qui m'aura appris une chose: que lorsque l'on se fixe un objectif (pour lui, c'était Roland-Garros et rien d'autre), il est possible de l'atteindre si l'on s'en donne les moyens. Il y aurait eu beaucoup à dire si sur sa manière de mener sa carrière, et notamment de faire la fête à la première occasion plutôt que de s'entraîner ou de zapper Wimbledon par paresse après Roland-Garros. Il était une idole, pas mon modèle parce que je n'ignorais pas qu'il avait des faiblesses que j'étais capable de déceler, tout boutonneux survolté que j'étais parfois à cause de ses performances. «I'm not a role model», avait proclamé le basketteur Charles Barkley par le biais d'une publicité pour Nike au début des années 90. Pour une fois, une marque ne disait pas des bêtises.
Yannick Cochennec
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Image de Une: Tiger Woods Mick Tsikas Reuters