Économie / France

JF Copé: Quand la dette devient une question de société

Temps de lecture : 5 min

La dette de la France ne peut être considérée comme une question purement technique: elle aura des conséquences au quotidien sur les Français

En 2006 sortait Le jour où la France a fait faillite, un livre d'économie et de politique- fiction un peu angoissant, rédigé par Philippe Jaffré et Laurent Mauduit. Tout commençait par la dégradation de la note de la dette publique de la France par les agences de notation. Les auteurs, bons connaisseurs des arcanes politiques et économiques, décrivait la cascade de conséquences catastrophiques d'une telle décision, d'un guichet de banque aux plus hautes sphères de l'Etat. Quand on voit la situation de la Grèce aujourd'hui, on ne peut qu'être inquiet...

Alors que son endettement public est déjà supérieur à la valeur de son PIB national, la Grèce vient d'apprendre que les agences de notation dégradent la note de sa dette à long terme. Le scénario catastrophe de Philippe Jaffré et Laurent Mauduit peut-il s'enclencher? La dégradation de note de la dette entraîne un renchérissement des taux d'intérêt demandés par les marchés, ne faisant qu'étouffer un peu plus le pays dont les caisses sont déjà vides... L'équation grecque est un casse-tête particulier: l'économie souterraine, qui représente 40% du PIB, prive de recettes les finances publiques tandis que le système de retraite très avantageux pèse lourdement sur le budget.

La France peut-elle faire faillite?

La Grèce n'est pas un cas isolé en Europe. Mercredi dernier, l'agence de notation Standards & Poor's laissait entendre que la note de la dette espagnole pourrait être rabaissée, après l'avoir déjà été début janvier. L'année 2009 a aussi vu les dégradations des notes de l'Irlande, de la Lettonie, de l'Estonie, de la Hongrie, et du Portugal.

Et au Proche-Orient, c'est la flamboyante Dubaï qui doit restructurer d'urgence une dette de 46 milliards de dollars.

Certains affirment que les dangers de l'endettement excessif ne menacent que des pays du sud de l'Europe, des Etats baltes ou des émirats lointains. La vérité, c'est que la France n'est pas non plus à l'abri d'une dérive de ses comptes publics.

Il ne s'agit pas d'être prophète de malheur: une baisse de la note de la France n'est pas d'actualité. Les fondamentaux économiques de notre pays sont infiniment plus solides que ceux de la Grèce. Notre pays appartient d'ailleurs au club très envié des triple A, les pays dont la dette est la mieux notée. L'agence Moody's a même confirmé cette semaine qu'elle plaçait la France au sommet de son classement à côté de l'Allemagne, et au dessus des Etats-Unis et du Royaume-Uni. Mais ne nous leurrons pas : les marchés ne pourront pas éternellement faire confiance à la France si elle continue de glisser aussi vite sur la pente de l'endettement massif.

De pire en pire

Quelques chiffres permettent de prendre conscience de l'ampleur du problème: nous allons atteindre les 165 milliards de déficit en 2009 (140 milliards pour l'Etat, 25 milliards pour la sécurité sociale) soit plus de 8% du PIB, pour une dette publique qui approchera probablement 1 654 milliards, soit 84% du PIB en 2010. Cela risque d'empirer: le gouvernement prévoit que la dette publique atteindra 88% du PIB en 2011, 90% en 2012 et 91% en 2013. Pour l'année prochaine, la charge de la dette est estimée à 42,5 milliards d'euros, c'est le deuxième poste de dépense de l'Etat, derrière l'éducation nationale. Très concrètement, cela veut dire que plus des deux tiers du produit de l'impôt sur le revenu sont uniquement consacrés à payer les intérêts de la dette. Et encore, nous bénéficions actuellement de taux d'intérêt extrêmement bas. La moindre remontée alourdirait considérablement la facture. Avec de tels niveaux, la dette n'est plus qu'une question technique ou économique, elle devient une question de société qui préoccupe de plus en plus les Français.

Avec la crise, tous les pays connaissent une explosion des déficits. Cela est normal: à situation exceptionnelle, réponses exceptionnelles. Mais comment revenir à l'équilibre une fois la crise passée? J'écarte l'hypothèse d'une hausse massive des impôts qui freinerait la reprise, tout comme celle de l'hyperinflation qui arrangerait les finances publiques mais ruinerait les Français à revenus fixes.

L'hypothèse la plus raisonnable est de réduire la voilure en coupant dans les dépenses. En Allemagne par exemple, dès la sortie de la crise, une politique de réduction des dépenses et des déficits est prévue pour revenir au plus tôt à l'équilibre budgétaire. En juin dernier le Parlement allemand a même inscrit dans sa loi fondamentale une règle d'or : le budget fédéral et celui des Etats régionaux doivent être à l'équilibre quand la croissance est au rendez-vous. Ils ne peuvent être en déficit que quand l'économie est en récession. Voilà qui devrait nous inspirer.

Des réformes de structure

Mais en France, on est rétif à toute baisse de la dépense publique. Pourtant, on ne pourra plus éluder ce problème, particulièrement sur la période 2012-2017. Ce serait irresponsable. Pour s'en tirer, il ne suffira pas d'attendre qu'un retour de la croissance vienne remplir les caisses de l'Etat, il va falloir couper dans les dépenses inutiles et s'attaquer aux niches fiscales indues. Par exemple, il faut une remise à plat des 65 milliards d'euros que représentent les 6 000 aides aux entreprises. C'est un tel maquis que ceux qui en profitent le plus sont des chasseurs de prime ou des grandes entreprises, davantage que les PME qui en ont le plus besoin.

Il faudra aussi passer par des réformes de structure. La réforme des collectivités territoriales est à cet égard une excellente opportunité. Il faut aller plus loin qu'une réforme au rabais qui se contenterait de réduire le nombre d'élus en les prenant pour boucs émissaires. Je milite pour une fusion progressive des administrations des départements et des régions. Les régions et les départements dépensent près de 20 milliards d'euros chaque année dans des champs de compétence partagée, sans que l'on sache précisément qui fait quoi. Les doublons sont multiples dans le développement économique, le tourisme, la gestion des collèges et des lycées... Il y a là des gisements d'économies considérables pour les contribuables. Tout en gagnant en qualité de service public.

Notre système de protection sociale doit aussi se réformer pour se pérenniser. En matière de retraites, le rendez-vous est fixé en 2010. Je souhaite que nous osions porter une réforme d'ampleur, en s'inspirant notamment des expériences suédoises et allemandes qui ont adopté un système par points, plutôt que par annuités pour gagner en justice, en lisibilité et en souplesse. En matière de santé, il est impératif de mieux distinguer ce qui relève de la solidarité nationale, qui doit être pris en charge par l'assurance maladie, et ce qui relève de la responsabilité individuelle, qui doit être transféré vers les mutuelles. Bien entendu, cela n'est envisageable qu'à condition de favoriser l'accès pour tous à une complémentaire santé.

En France, dès qu'on parle de réduire les dépenses, tout le monde est d'accord sur le principe, mais chacun s'y oppose dès qu'on rentre dans les détails...C'est ce que j'ai constaté quand j'ai proposé de supprimer la niche fiscale sur les indemnités journalières d'accident du travail. Tous les revenus de remplacement étaient fiscalisés sauf celui-là. C'était donc un rendez-vous d'équité. D'autant plus que cela ne concerne pas les plus modestes, qui ne paient pas d'impôts sur le revenu. Malgré quelques protestations et beaucoup de désinformation, nous avons tenu bon et la mesure a été votée à l'Assemblée nationale et au Sénat. Avec un peu de pédagogie, de dialogue et de courage politique, j'ai la conviction qu'on peut renforcer les efforts pour vite amorcer le désendettement de la France. Ce sera l'un des défis incontournables du prochain quinquennat. Il faut se préparer dès maintenant à le relever.

Jean-François Copé

Image de une: .S. Ben Bernanke, directeur de la Réserve fédérale, secrétaire au Trésor américain, Timothy Geithner, et la ministre de l'économie Christine Lagarde, en septembre 2009. Reuters.

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