Interrogée, dimanche 9 avril, sur les propos tenus une semaine plus tôt par Florian Philippot, qui avait affirmé son opposition à la reconnaissance de la responsabilité de la France dans la rafle du Vélodrome d'hiver le 16 juillet 1942, Marine Le Pen a affirmé qu'elle pensait «que la France n'est pas responsable du Vél d'Hiv»: «Je pense que de manière générale, plus généralement d'ailleurs, s'il y a des responsables, c'est ceux qui étaient au pouvoir à l'époque, ce n'est pas LA France. Ce n'est pas LA France», a-t-elle ajouté, déplorant que la France ait «été malmenée dans les esprits depuis des années» et qu'on ait «appris à nos enfants qu'ils avaient toutes les raisons de la critiquer, de n'en voir peut-être que les aspects historiques les plus sombres».
En tenant ces propos, Marine Le Pen, qui espère s'installer en mai à l'Élysée, rompt avec la position adoptée par les trois derniers présidents de la République. Le 16 juillet 1995, Jacques Chirac avait déclaré, lors du 53e anniversaire de la rafle, lors de laquelle 13.000 Juifs étrangers, dont 4.000 enfants, avaient été arrêtés: «Il est, dans la vie d'une nation, des moments qui blessent la mémoire, et l'idée que l'on se fait de son pays. [...] Oui, la folie criminelle de l'occupant a été secondée par des Français, par l'État français. [...] La France, patrie des Lumières et des Droits de l'Homme, terre d'accueil et d'asile, la France, ce jour-là, accomplissait l'irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux.» En 2007, Nicolas Sarkozy avait déclaré qu'il n'y avait «rien à retrancher et rien à rajouter au très bon discours» de son prédécesseur, suivi par François Fillon qui, à la même époque, déclarait: «Oui, la France [a] prêté la main aux actes commis par Vichy contre les Juifs». En 2012, François Hollande avait appuyé la position de Jacques Chirac en assénant que «la vérité, c'est que le crime fut commis en France, par la France» et que «pas un soldat allemand, pas un seul, ne fut mobilisé pour l'ensemble de cette opération».
Marine Le Pen est plus habile que son père, qui, en 1995, quand Jacques Chirac avait prononcé son discours sur la rafle du Vél' d'hiv', épinglant au passage «l'esprit de haine» de «certains partis politiques», l'avait accusé de payer une «dette électorale» envers la communauté juive. Ou qui, en 2015 encore, déplorait dans Rivarol qu'on ne puisse pas «contester la condamnation de la France par Chirac au Vel d'Hiv, car ce serait manquer de respect aux "victimes de la Shoah"».
Ses propos s'inscrivent dans une école de pensée qui a été longtemps majoritaire en France, notamment sous De Gaulle et Mitterrand: celle qui consiste à dire que Vichy et l'État français ne constituaient qu'une autorité de fait, «nulle et non avenue» selon les mots de De Gaulle, et qui n'avaient pu prétendre à aucun moment représenter leur pays, quel que fût le soutien populaire dont ils avaient bénéficié; que le vote des pleins pouvoirs à Pétain le 10 juillet 1940 étant anticonstitutionnel, les décisions de Vichy ne pouvaient pas être attribuées à une France qui, à ce moment-là, était à Londres. Et qui conclut donc que les positions de Chirac et de ses successeurs constituent une repentance et une autoflagellation malvenue... (Ce qui est oublier que, dans leurs discours, Chirac comme Hollande distinguaient en fait deux France: «Il y a aussi la France, droite, généreuse, fidèle à ses traditions, à son génie. Et cette France-là n'a jamais été à Vichy», lançait Chirac, tandis que son successeur rendait «hommage à tous ces Français qui ont permis que survivent les trois quarts des Juifs de France»).
On trouve trace de cette école de pensée dans des critiques de divers responsables politiques (Marie-France Garaud, Jean-Pierre Chevènement, Philippe Séguin ou Henri Guaino, par exemple, avaient critiqué les discours élyséens), mais aussi, de manière plus extrême, dans les écrits d'un Éric Zemmour affirmant que le 16 juillet 1995, Jacques Chirac avait «raflé» le général De Gaulle. Le polémiste avait aussi défendu le rôle du régime de Vichy dans la protection des juifs français, thèse critiquée par de nombreux historiens.
En 2012, au moment du discours de François Hollande, l'un des meilleurs spécialistes français de Vichy, Henry Rousso, jugeait pourtant que ce passé avait «enfin trouvé sa place» et qu'on avait assisté à une «normalisation» de la mémoire.