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Sous Trump, le socialisme américain est (presque) devenu cool

Temps de lecture : 5 min

Autrefois très stigmatisées aux États-Unis, les idées socialistes connaissent un regain d'intérêt, particulièrement chez les jeunes en colère contre le nouveau président et le parti démocrate.

Des militants socialistes manifestent contre Donald Trump en janvier 2017 à Los Angeles. Photo: OMAR BANTAYAN.
Des militants socialistes manifestent contre Donald Trump en janvier 2017 à Los Angeles. Photo: OMAR BANTAYAN.

En janvier dernier, un étudiant californien de vingt ans est devenu une sorte de héros socialiste sur Twitter. Invité à un débat politique sur la chaîne CNN, Trevor Hill avait promis aux producteurs de poser une question facile à Nancy Pelosi, la patronne des démocrates à la Chambre des représentants. À la place, il s'est lancé dans une critique du capitalisme:

«Un sondage de Harvard, en mai dernier, a montré que 51% des jeunes entre 18 et 29 ans –pas juste les démocrates ou les gauchistes– ne soutiennent plus le système capitaliste. Dans mon expérience, la jeune génération est en train de virer à gauche sur les questions économiques. Je me demande si vous ne pensez pas que les Démocrates pourraient être plus à gauche et avoir un message plus populiste, comme l'alt-right a capté le populisme de droite. Ne pourrions-nous pas nous démarquer plus fortement de la politique économique de droite?»

Les chiffres que Trevor Hill cite sur le capitalisme sont exacts, mais les producteurs de CNN lui avaient demandé d'aborder un autre sujet. Nancy Pelosi a répondu par une critique des pressions des actionnaires sur la rentabilité des entreprises, mais n'a pas proposé de marche à suivre. Quelques jours plus tard, l'organisation Democratic Socialists of America postait une vidéo de Trevor Hill revendiquant son adhésion.

Depuis l'élection de Donald Trump, le nombre d'adhérents qui cotisent à cette organisation socialiste fondée en 1982, la plus importante aux Etats-Unis, a plus que doublé. Ils étaient 5.000 en 2007, puis 8.000 pendant la campagne présidentielle du sénateur Bernie Sanders, qui n'est pas officiellement affilié au groupe mais se présente comme un socialiste démocratique. En avril 2017, la barre des 20.000 membres a été atteinte.

«Les gens sont en colère, explique Meghan Brophy, une militante socialiste, étudiante à Columbia. Le parti démocrate a trahi de nombreux travailleurs, et perdu une élection qui devait être imperdable.»

«Une partie de l'establishment progressiste a été discréditée»

Les adhérents de Democratic Socialists of America (DSA) sont jeunes, pour l'essentiel âgés de 23 à 30 ans, explique Bhaskar Sunkara, un des vice-présidents de l'organisation, qui a aussi fondé le magazine socialiste Jacobin en 2007. Sur Twitter, beaucoup postent leur carte d'adhérent avec le logo de la rose au poing légèrement réinterprété, avec une main blanche et une main noire qui se rejoignent.

Sunkara, qui a 27 ans, a également constaté un regain d'enthousiasme pour son magazine depuis l'élection de Trump. Le nombre d'abonnés est passé de 10.000 il y a dix ans à plus de 30.000 aujourd'hui, dont 14.000 supplémentaires depuis la défaite d'Hillary Clinton en novembre 2016.

«C'est le signe qu'une partie de l'establishment progressiste a été discréditée, et qu'il est possible que les socialistes jouent un rôle important dans l'opposition à Trump. Même les gens qui ne se considèrent pas socialistes eux-mêmes sont plus exposés aux idées socialistes», dit-il.

Un des signes de cette nouvelle influence des idées socialistes est l'incroyable popularité de Bernie Sanders, le seul sénateur américain à se réclamer ouvertement de ce courant. Un récent sondage a montré qu'il était le membre du Sénat le plus populaire des Etats-Unis, avec 75% d'opinons favorables, et un autre sondage publié en mars révélait même qu'il était l'homme politique américain le plus populaire, avec 61% d'opinions favorables. «Pour la jeune génération qui a grandi hors du paradigme de la Guerre froide, le socialisme n'est pas un mot négatif. Il est plus associé à l'Etat-providence européen qu'à l'Union soviétique», précise-t-il.

«Certains des premiers souvenirs marquants datent de la récession de 2008»

Meghan Brophy raconte qu'à la fac, les autres étudiants ont en général des réactions positives quand elle parle de ses idées socialistes.

«Etre socialiste était stigmatisé aux Etats-Unis, mais c'est en train de changer. Chez les gens nés à la fin des années 1990, certains des premiers souvenirs marquants datent de la récession de 2008. Ma mère a perdu son emploi. On a parlé de reprise, mais beaucoup de gens ne l'ont pas ressentie...»

Elle explique qu'alors, les réunions hebdomadaires de DSA attiraient une vingtaine de militants assis en cercle; depuis l'élection de Trump, ils sont des centaines, et les sections de campus sont en plein essor. Sur Facebook, les militants s'appellent «camarades» et postent des photos d'eux avec le poing levé. Sur Twitter, ils se démarquent en ajoutant un emoji de rose à côté de leur nom.

«Si j'en crois le nombre de roses rouges sur mon fil Twitter, environ 20% des Américains sont membres de @DemSocialists», écrivait récemment le journaliste Matthew Yglesias.

Beaucoup écoutent Chapo Trap House, un podcast devenu culte, lancé par trois potes barbus gauchistes qui se moquent de l'establishment politique.

Alors que les mouvements étudiants américains de ces dix dernières années étaient très concentrés sur l'antiracisme, le féminisme et les droits des personnes LGBT, d'autres priorités sont apparues depuis la récession et le mouvement Occupy Wall Street. Un mouvement comme Democratic Socialists of America est engagé, entre autres, dans des campagnes de solidarité avec les syndicats pour l'augmentation des salaires, ainsi que pour promouvoir un système d'assurance-maladie géré par l'Etat et une éducation plus abordable dans les universités.

Comme le socialisme, le syndicalisme avait jusqu'à récemment assez mauvaise presse aux États-Unis, notamment à cause des liens mafieux entretenus par certaines organisations. Mais de nouvelles structures alternatives sont apparues ces dernières années, et les jeunes employés commencent à s'intéresser à ce genre d'action collective. Par exemple, les employés du site Gawker.com se sont syndiqués début 2016, et ont lancé une espèce de mode de la syndicalisation dans le secteur, très jeune, des médias en ligne. Dans les mois qui ont suivi, les employés des sites Fusion, Vice et The Huffington Post se sont aussi syndiqués. «Comme des modes ringardes qui redeviennent tendance, les syndicats sont devenu rétro cool chez les jeunes d'aujourd'hui», expliquait un article du Washington Post.

«Populisme de gauche»

Tout cela inquiète certains observateurs, comme l'économiste Adam Ozimek, qui écrit dans Forbes.com:

«Malheureusement, j'ai l'impression que le socialisme est en train de redevenir cool. On le voit partout sur les réseaux sociaux, où les gens se vantent d'avoir rejoint les Democratic Socialists of America, et dans la popularité du magazine Jacobin. Si Trump échoue radicalement, j'ai peur que le populisme de gauche le remplace. Et au bout du compte, on aura une Amérique plus socialiste.»

À part les traditionnelles attaques venant de la droite, le mouvement est aussi critiqué par les autres «progressistes», qui l'accusent d'être trop dominé par des jeunes hommes blancs, et trop peu préoccupé par les questions de racisme et de sexisme. Cette division avait pourri les relations entre pro-Sanders et pro-Hillary Clinton pendant la présidentielle de 2016.

Pour les défenseurs des idées socialistes, cette division est artificielle dans la mesure où créer une conscience de classe aidera toutes les minorités ethniques et les femmes qui occupent souvent des emplois mal rémunérés.

«Cette rhétorique selon laquelle le socialisme est un truc de mecs blancs est dangereuse, explique Meghan Brophy. Les positions que nous défendons ont aussi un impact décisif sur les personnes de couleur et les femmes.»

Au niveau des élus, l'influence socialiste est encore limitée. À part Bernie Sanders, seule une poignée d'élus locaux revendiquent le terme. Parmi eux, Kshama Sawant, une conseillère municipale à Seattle, issue du petit parti trotskiste Socialist Alternative.

Elle expliquait récemment à al-Jazeera que le moment Trump pouvait être décisif pour les militants à la gauche du parti démocrate:

«L'humeur n'est pas à la négociation. L'humeur est au combat. C'est pourquoi c'est une occasion historique pour la gauche américaine, particulièrement les socialistes, de rejoindre la lutte.»

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