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Comment ces pubs Pepsi et Nivea ont-elles pu être validées?

Temps de lecture : 6 min

Que se passe-t-il dans les agences pour qu'on se retrouve avec des pubs qui font l'apologie du suprémacisme blanc comme Nivea et tournent en dérision les mouvements anti-racistes comme Pepsi?

Les deux publicités Nivea et Pepsi | DR
Les deux publicités Nivea et Pepsi | DR

Au début des années 2000, circulait sur nos antiques boites mail une vidéo parodique intitulée «dans la publicité» et conçue par une agence de pub dont on a alors loué le sens de l'autodérision. Elle raillait délicieusement la sémantique ridicule employée dans le milieu, les ego boursouflés de pubards, leur paresse intellectuelle, et surtout le cynisme de la profession. Mais elle disait aussi quelque chose de très vrai en décrivant la publicité comme totalement à coté de ses pompes, faite de professionnels trop engoncés dans les multiples codes de leur métier pour être en phase avec ceux à qui ils tentent de refourguer des crèmes de jour, des voitures ou des écrans plats.

Il ne se passe désormais quasiment pas une semaine sans qu'une publicité fasse polémique parce qu'elle charrie des propos ou des images discriminantes, racistes et/ou sexistes. Ou parce qu'elle a kidnappé un fait historique pour vendre sa came.

D'aucuns incrimineront peut-être une capacité à s'indigner de tout, et à «voir le mal partout». D'autres encore estimeront que la publicité n'a rien de politique et qu'elle n'a, à ce titre, pas de devoir moral ou éthique. D'autres, enfin, et j'en fais partie, ont envie de s'arracher les cheveux par poignées quand ils sont (fréquemment) témoins de l'inconséquence des marques et des agences qu'elles embauchent.

C'est encore le cas pour Nivea, et son dernier slogan dont certains sites écrivent, sans trop se mouiller, qu'il est «jugé raciste par de nombreux internautes». Alors, que bordel, C'EST TELLEMENT RACISTE. POINT.

«White is purity» («le blanc, c'est la pureté»): c'est la baseline de leur nouvelle campagne pour déodorant, assortie de la photo de dos, d'une femme en liquette immaculée et chevelure en cascade.

Du pain béni pour les suprémacistes blancs américains qui se sont évidemment repus du slogan pour troller sur l'air de «hinhin, si même Nivea le dit».

Au-delà de cette ignoble et prévisible récupération, ces simples trois mots entérinent la mythologie autour de la blancheur; synonyme de propreté, de pureté originelle, d'innocence et qui sert de fondement idéologique au racisme. Notons d'ailleurs, que Nivea; qui fait semblant de tomber des nues en découvrant les réactions à sa publicité, n'en est pourtant pas à son coup d'essai. En 2011, la marque allemande avait lancé une campagne baptisée «Re-civilize yourself» (ça commence mal) dont certaines affiches montraient un homme noir tenir à la main son propre scalp, à la chevelure afro et à la barbe hirsute, manifestement enlevées grâce aux produits Nivea.

Et ouais, quand même, hein?

Et pourtant, même là, il se trouvait des gens pour estimer que quand même, on voit le mal partout. Le magazine féminin Be écrivait par exemple qu'«à force de censure, les publicitaires seront aussi créatifs que les oeufs mayo de la cantine». Comme si, les persécutés, les méprisés, étaient les gentils publicitaires dans leur tour de la Défense ou d'ailleurs étaient les victimes d'une forme de cabale, mais pas ceux qui se sont sentis légitimement insultés quand on leur dit que leur couleur de peau est impure ou qu'ils doivent être recivilisés.

Il y a fort à parier que Pepsi se trouvera les mêmes ardents défenseurs de la liberté de création à propos de leur dernière campagne surréaliste. La marque de soda a en effet lancé en grande pompe son spot publicitaire dans lequel apparaît Kendall Jenner. Dans la publicité, trois personnages dont la jeune mannequin participent à un shooting mode devant une manifestation reprenant tous les codes du mouvement Black Lives Matter. Interpellée par un manifestant, Kendall Jenner retire sa perruque blonde (hashtag symbole, hashtag subtilité) et fend la foule avant de proposer une canette à un policier.

La morale de l'histoire? On a même pas envie de chercher, mais quelque chose nous dit que Pepsi tente un «ohlala tout serait tellement plus simple si tout le monde se tenait par la main, oubliait les sombres et stériles querelles (genre les noirs assasinés par des flics blancs) et faisait la paix autout d'une canette sucrée».

Pour cette pub, comme pour toutes les autres très franchement problématiques, se pose la même question: comment des gens, rémunérés pour ça, ne se sont pas dit, au cours d'un de leur nombreux brainstorming, que l'idée était franchement mauvaise? Que ça allait foutre la merde, pour dire les choses encore plus clairement.

Je m'imagine souvent les dialogues au cours de l'élaboration des slogans, des campagnes des affiches:

«- eh les mecs, j'ai une idée: on a qu'à mettre en gros "le blanc c'est la pureté". Ça claque non?»

«- eh les mecs, on embauche Kendall jenner et on la fait boire des coups avec un flic au milieu d'une manif anti violence racistes? BINGO!»

«- eh les gars, si on mettait un noir et qu'on montrait qu'avec notre crème, et notre mousse à raser, c'était plus un bamboula, mais un homme civilisé?»

De la même façon que je n'aimerais pas être référencée dans Google avec les adjectifs «grosse connasse», je continue à ne pas piger comment une marque peut apprécier d'être référencée comme raciste ou sexiste sur les internets

En réalité, j'aimerais un jour pouvoir rencontrer une des personnes ayant participé à l'une de ces campagnes pour qu'elle puisse m'expliquer comment PERSONNE dans l'assemblée n'a émis l'idée que la campagne était à chier. Comme l'occasion ne s'est malheureusement pas encore présentée, on ne peut qu'imaginer.

Soit, comme c'est souvent avancé, les publicitaires sont parfaitement conscients de ce que leur campagne va susciter et sont alors en quête de ce qu'on appelle paresseusement un «bad buzz» en faisant leur l'adage «en bien ou en mal, l'essentiel est qu'on parle de moi».

Trolling ou folie

Mais j'ai toujours du mal à adhérer à cette théorie. Certes, à chaque campagne ratée, des tas d'articles (comme celui-ci) vont être publiés, citer la marque, linker vers les pubs en question, et offrir de fait, une exposition supplémentaire. Mais de la même façon que je n'aimerais pas être référencée dans Google avec les adjectifs «grosse connasse», je continue à ne pas piger comment une marque peut apprécier d'être référencée comme raciste ou sexiste sur les internets. Pas plus que je ne crois que la publicité «white is purity» et les articles pointant son racisme puissent booster les ventes. Admettre et accepter que la publicité puisse volontairement véhiculer des clichés racistes parce que ça l'amuse et que ça fait parler d'elle, revient à décider que la publicité est un troll comme les autres.

Soit, et cela me semble plus propable; la publicité et ceux qui la font sont totalement à côté de la plaque. Et sont eux-même claquemurés dans ce qu'on désigne désormais comme une bulle. Sur Medium, un article d'un collectif de gens travaillant dans la pub, hellofdp*, décrivait ainsi l'année dernière «la diversité dérisoire dans les open-space»:

«Au cas où vous en doutiez, nos agences sont encore peuplées de blancs parisiens, généralement des hommes. Ou pire: de blancs provinciaux néo-parisiens. Ceux qui évitent d’évoquer d’où ils viennent sauf pour parler terroir et fêtes de Noël.

(...)

Nos socles culturels se ressemblent trop. Ou du moins, ils ne sont pas assez variés. Comment cela se manifeste dans notre milieu? On écoute la même musique; house/electro chiante à mourir, groupes indés de mort et du hiphop aussi, mais que celui des 90’s (cependant on citera Kendrick et Beyoncé pour montrer qu’on sait être modernes, sans trop prendre de risques pour autant). On va aux mêmes endroits; nos feeds Instagram et 4square sont les mêmes. On regarde la même chose et on débrief des mêmes séries à la pause café.
Bref, la somme de nos références rend un truc un peu trop homogène.

Qui dit diversité dans les bureaux dit éducations différentes, cultures différentes, goûts différents, centres d’intérêts différents,parcours différents ou encore références différentes. Ce sont donc des tas de façons de penser et d’expériences différentes et inexploitées dont l’industrie se prive»

Au moment du shitstorm Pepsi-Jenner, le compte qui avait signé l'article tweetait:

Pour autant, le fait que les agences de publicité manquent cruellement de diversité, de curiosité, d'ouverture, ne les exempte en rien d'un devoir moral. Vous pouvez constituer un groupe de males blancs hétéros payés pour faire vendre un produit, cela ne vous autorise en rien à diffuser des messages ignobles. Le jour où, inch'allah, la diversité sera davantage présente dans les sphères marketing, il est à espérer que nous serons moins souvent gratifiés de ces campagnes pourries. En attendant, ce serait bien que la pub, à défaut d'être représentative et maligne, soit au moins respectueuse.

* — Une première version de cet article décrivait par erreur«hellofdp» comme une agence de pub. Le papier a donc été modifié.

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