Il s'appelle Damien Meslot. En déposant, comme il vient de le faire savoir, une proposition de loi visant à favoriser le développement des «banques de sang de cordon ombilical» ce député (UMP, territoire de Belfort) vient de déclencher une triple polémique en France qui ne fait que commencer. Elle est à la fois éthique, juridique et médicale; une polémique spécifiquement française. Sur le fond le député Meslot soulève une question dérangeante et très concrète: de quel droit l'Etat français peut-il interdire à des parents de conserver (par congélation et à leur frais dans des banques biologiques privées) le sang de cordon prélevé dans les minutes qui suivent la naissance de leur enfant; un sang dont les cellules pourraient le cas échéant être ultérieurement utilisées à des fins thérapeutiques chez cet enfant - ou chez des membres de la famille immunologiquement compatibles.
Cette pratique du «don privé de sang ombilical» est depuis quelques années en plein développement dans de nombreux pays industriels. Elle demeure prohibée en France, sur la base d'arguments moraux et techniques qui sont de plus en plus ouvertement contestés. A la veille de la révision de la loi de bioéthique de 2004 l'initiative du député Meslot (soutenue par un lobbying non négligeable mais encore violemment contestée par la puissance publique et différentes sociétés savantes) constitue un test inattendu autant que passionnant: le modèle éthique «à la française» concernant l'usage médical des éléments du corps humain (fondé sur le bénévolat, la gratuité et l'anonymat) saura-t-il encore longtemps résister aux attaques de plus en plus vives alimentées par une forme d'utilitarisme individuel soutenue par des intérêts commerciaux privés? Résumons les termes du dossier.
Le sang de cordon (ou sang placentaire)
On désigne ainsi le sang contenu dans le placenta et le cordon ombilical. Ce sang peut être collecté peut être collecté dans les minutes qui suivent la naissance d'un enfant. Ce sang peut être conservé par congélation durant des années, l'objectif étant ici d'utiliser à des fins médicales les différentes cellules-souches qu'il contient. Ces cellules souches sont utilisées avec succès depuis vingt ans dans le traitement de certaines maladies du sang (leucémies) grâce notamment aux travaux novateurs du Pr Eliane Gluckman (hôpital Saint-Louis, Paris). Elles présentent de nombreux avantages thérapeutiques par rapport aux cellules provenant des dons de cellules de moelle osseuse. Le développement international des recherches sur les cellules-souches laisse d'autre part espérer que l'on pourra bientôt utiliser ces dernières après les avoir mises en culture et transformées dans les différents types de cellules qui composent l'organisme humaine. Une possible et formidable autoréparation de son propre corps doublée de l'économie des problèmes éthiques inhérents aux cellules souches embryonnaires qui ne peuvent être obtenues qu'après destruction d'embryons humains. Que demander de mieux?
Les banques de conservation
Longtemps une seule proposition fut (rarement) faite aux parents: celle d'offrir ce sang (sur le mode du don de sang) à la collectivité; des organisations non commerciales nationales et internationales se chargeant de la collecte, de la conservation et de la répartition thérapeutiques de ces échantillons biologiques. Puis on vit apparaître des banques «privées» et de nouvelles propositions: ne plus offrir généreusement ce sang à la collectivité mais le garder - à ses frais durant plusieurs décennies- en pariant qu'il y avait là un capital biologique inestimable pouvant être utilisé par l'enfant ou, sur la base de critères de compatibilité immunologique, par des membres proches de la famille.
Faisant l'objet de nombreuses campagnes publicitaires ces banques privées rencontrent un succès croissant dans les pays où elles sont autorisées tandis que les réseaux publics peinent à constituer des stocks permettant de répondre aux demandes grandissantes qui leur sont faites. Solidarité biologique organisée et soutenue par la collectivité versus intérêts personnels financés par ceux espérant en tirer directement profit.
La situation française
Elle est paradoxale (placentas et cordons ombilicaux sont dans l'immense majorité des cas considérés comme des «déchets opératoires» et traités comme tels); elle est aussi parfaitement résumée dans un rapport de la sénatrice (UMP, Paris) adopté il y un an par la commission des affaires sociales du Sénat. Le contexte officiel est sans nuance: la Direction générale de la santé, l'Académie nationale de médecine et le Comité consultatif national d'éthique se sont tour à tour déclarés opposés à la création de banques privées ayant pour objet le prélèvement et le stockage de sang de cordon pour un usage strictement personnel. Ils ont sur ce point été rejoints par le Collège national des gynécologues et obstétriciens français qui son déconseille «aux professionnels de la naissance d'accepter de faire des prélèvements de sang de cordon en vue d'une conservation dans une banque privée à la demande des parents».
Le réseau français de sang placentaire à but non lucratif repose aujourd'hui sur un financement public. Il comprend trois établissements de transfusion sanguine situés à Besançon, Bordeaux et Annemasse. Actuellement, environ 7 000 «unités de sang placentaire» sont conservées en France, alors que les experts estiment qu'il en faudrait 50 000 pour couvrir les besoins. Cette situation fait que des équipes médicales sont régulièrement amenées à devoir importer des greffons sanguins pour un prix unitaire variant entre 15 000 et 25 000 euros. En 2007, 64% des greffons utilisés en France ont ainsi dû être importés, représentant un coût de 3,6 millions d'euros pour l'assurance-maladie. Un plan national de développement prévoit d'augmenter le nombre d'établissements qui collectent le sang de cordon ainsi que celui des maternités partenaires, afin d'atteindre les 10 000 unités de sang placentaire d'ici à la fin de l'année 2010.
Face aux besoins non satisfaits, Marie-Thérèse Hermange proposait, il y a un an, de développer «une politique de collecte plus ambitieuse fondée sur une information transparente». Elle souhaitait aussi que le cordon ombilical et le placenta ne soit plus traité comme des «déchets opératoires», tout en insistant pour que cette évolution se fasse «dans le respect des principes éthiques du don anonyme, gratuit et non dirigé». Mais elle observait aussi que la France accusait un retard considérable en ne se situant qu'au 16e rang mondial et estimait nécessaire de porter à 50 000 le nombre d'unités de sang de cordon stockées en France «au plus tard d'ici à 2020». Et puis, favorable à la création d'un maillage territorial de maternités habilitées à recueillir les dons, la sénatrice osait recommander d'autoriser «à titre expérimental» l'implantation sur le sol français de banques privées qui accepteraient de participer, le cas échéant, au réseau public.
Quelques mois plus tard on apprenait d'un partenariat sans précédent, presque contre nature, avait été signé entre la Fondation Générale de santé et l'Etablissement français du sang; une étonnante association public-privé. «Nous nous inscrivons dans une démarche solidaire et éthique, à mener différentes actions d'information auprès des femmes enceintes et de mobilisation des équipes médicales de nos vingt maternités où 33 000 femmes accouchent chaque année, expliquait alors au Monde Gregory Katz, directeur de la fondation Générale de santé. L'investissement sera de 1,5 million d'euros sur trois ans. Par ailleurs, des maternités extérieures au réseau de la Générale pourront, si elles le souhaitent, renforcer cette dynamique.» Le maillage territorial des maternités privées collectrices visait alors, en complétant le réseau public, à freiner l'implantation en France de banques privées.
Rebondissement et polémique
C'est dans ce contexte, et alors même que la Fondation Générale de santé annonce les premières concrétisations de ses engagements, que survient l'initiative du député Meslot. Sa proposition de loi vise donc bien à instaurer une information systématique de tous les futurs parents et d'ouvrir ce système aux sociétés privées tout en mettant en place un modèle de banque mixte, à la fois «familial» et «solidaire». Ceci est semble-t-il désormais techniquement possible, le dépôt sanguin pouvant le cas échéant être à l'avenir partagé et utilisé à des fins privées et collectives.
«En fermant la porte au privé, la France fait preuve d'hypocrisie car les couples exportent leur greffon à l'étranger, et il est définitivement perdu pour la collectivité. Le modèle familial et solidaire permet aux parents de conserver le greffon pour leur enfant, tout en se réservant la possibilité de le donner à un malade qui en aurait besoin» estime le Dr Nico Foraz, chercheur spécialisé dans ce domaine et directeur du laboratoire Cryo-Save France. Un avis hautement controversé. Pour Grégory Katz (par ailleurs directeur de la chaire de bioéthique de l'Essec) «les dons mixtes, c'est très beau sur le papier mais en pratique hélas, cela ne marche pas. On le voit bien en Espagne où les couples préfèrent exporter leur sang de cordon plutôt que de courir le risque d'avoir à le donner». Pour Gregory Katz il ne faut voir ici qu'une provocation; une agression contre l'égalité française dans le système d'accès aux soins. Si les greffes de sang de cordon ont un grand avenir elles doivent être accessibles à tous; et la Générale de santé, quintessence des paradoxes, d'élaborer une contre-proposition de loi qui réaffirmera l'importance du don anonyme et gratuit et l'égalité de l'accès aux soins.
D'autres acteurs confient voir là (en dépit -ou à cause- de la présence active de la Générale de santé) une action a priori présentée comme démocratique et citoyenne en réalité téléguidée en coulisses par le lobby des banques commerciales. Le site www.genethique.org cite sur ce sujet Emmanuelle Prada Bordenave, la récente directrice générale de l'Agence de biomédecine: «Ces sociétés cherchent à ouvrir une brèche dans notre système de santé solidaire (...) la solution n'est pas d'ouvrir une brèche dans le système solidaire, il faut au contraire lui donner les moyens d'exister. C'est la raison pour laquelle le gouvernement a décidé de passer d'un budget de 700 000 euros annuels à 2,5 millions d'euros, auxquels s'ajoutent 4 millions prévus dans le plan cancer».
Les responsables de la Société française de greffe de moelle et de thérapie cellulaire tout comme ceux de la Société française d'hématologie en appellent solennellement «à la vigilance sur les sociétés privées incitant à la conservation de sang de cordon». Qui l'emportera?
Jean-Yves Nau
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Image de Une: Cellule-souche Reuters