France

En immersion chez les Macroniens

Temps de lecture : 8 min

Nous avons assisté à des réunions politiques de militants En Marche!

Emmanuel Macron à Marseille, le 1er avril 2017. BERTRAND LANGLOIS / AFP
Emmanuel Macron à Marseille, le 1er avril 2017. BERTRAND LANGLOIS / AFP

«Venez avec vos questions, votre motivation mais surtout votre bonne humeur!» C’est par cette formule postée sur le site internet d’En Marche! de Rouen que Jean-Philippe Schweitzer invite les sympathisants à venir à la réunion hebdomadaire du Comité local de la ville (269 adhérents); le jeudi soir au premier étage du bar des Fleurs, un grand café du centre, il quitte son costume de jeune ingénieur pour celui d’animateur de réunion politique. Quarante personnes avaient répondu à l’appel le 16 mars et une vingtaine seulement avaient bravé la pluie battante le jeudi suivant; mais ce jour-là, le comité accueillait une créature d’un genre nouveau, un chien à poils longs qui se dégourdissait régulièrement les pattes dans la salle sous le regard un peu anxieux de sa jeune maîtresse.

Les Macroniens sont plutôt beaux joueurs. Au cours du débriefing sur le débat de TF1, ils ont estimé que Mélenchon avait crevé l’écran, qu’il avait fait le show. Une certaine Catherine, tout à la fois sérieuse et boute-en-train, a fait part de son observation sur le look vestimentaire du candidat de la France insoumise. «Avez-vous remarqué son petit pull tricoté main alors que les autres étaient en costume-cravate?»; sur le fond, les participants ont tout de même trouvé que Macron avait marqué des points contre Hamon jugé trop insistant avec ses questions sur l’indépendance économique d’En Marche!; des points aussi contre Le Pen avec la fameuse répartie: «moi, madame, je ne vous fais pas parler. Je n'ai pas besoin d'un ventriloque».

«Il y a quelqu’un qu’il ne veut pas voir débarquer, c’est Ségolène Royal!»

Mais l’actualité du jour était aussi le ralliement du Ministre de la Défense, ce qui a mis tout le monde en joie. «Vu sa popularité en Bretagne, Le Drian va entraîner les Bretons derrière lui!» a lancé un participant. C’est un soutien de poids qui fait plaisir, a souri Jean-Philippe avant de prévenir qu’il ne fallait pas confondre le mouvement En Marche! avec une auberge espagnole. «Macron a bien dit que le mouvement En Marche n’était pas une maison d’hôtes; par exemple, il y a quelqu’un qu’il ne veut pas voir débarquer, c’est Ségolène Royal!».

A propos, demande un participant, comment se positionnent les élus socialistes locaux (à la barre de la mairie de Rouen et de la Métropole «Rouen Normandie»)? «A Rouen, c’est vite vu; ils sont tous derrière Hamon; on l’a vu avec les parrainages», a fait remarquer Jean-Philippe; certains militants qui semblent avoir une bonne connaissance du microcosme politique rouennais, ironisent sur l’attitude de certains élus socialistes locaux «qui n’approuvent pas du tout le programme de Hamon, mais qui y vont quand même car ils ne peuvent pas faire autrement».

Jean-Philippe doit aussi répondre à des militants qui trouvent anormal que Rouen ne figure pas au programme des meetings de Macron. «C’est quand même la plus grosse agglomération de Normandie» s’énerve un retraité; l’explication est bassement matérielle; «nous avions prévu un meeting à Rouen, mais cela n’a pas été possible car le Zénith était trop cher; donc le meeting a eu lieu à Caen».

«Une vivacité des échanges jamais ressentie dans une réunion du PS»

C’est le rituel. Après les questions d’actualité, on passe à l’examen du programme. On lit les mesures à haute voix, comme à l’école, l’objectif étant de permettre à chacun de mieux se les approprier.

Jean-Philippe jouant plus un rôle d’animateur que de «commissaire politique», la discussion se fait sur le mode de la conversation autour d’une bière ou d’un chocolat chaud, consommations que l’on paye au bar avant de monter à l’étage.

Les mesures du programme ont beau être consignées dans un livret de 30 pages, elles continuent à être âprement discutées. Un habitué livre ses impressions en marge de la réunion:

«il y a une vivacité des échanges et une grande richesse des interventions que je n’ai pratiquement jamais ressentie dans une réunion du PS où la parole vient presque systématiquement d’en haut».

Le 16 mars, un monsieur aux cheveux blancs avait vivement exprimé son hostilité à la mesure visant à construire 15.000 places de prison (chapitre «un Etat qui protège»); bondissant de sa chaise, il s’est exclamé «la prison, c’est bien connu, c’est une fabrique à truands!» Catherine avait abordé le sujet avec humour:

«Ce serait bien d’ajouter dans le programme qu’il faut favoriser la prévention et tout faire pour permettre la réinsertion. Par exemple, en ce qui concerne Fillon, il n’est pas forcément utile de le mettre en prison, mais il serait indispensable de le rééduquer!»

Jeudi 16 mars, en fin de séance, une militante s’était emportée contre le principe d’un programme détaillé. «Tous ces détails de merde ne sont pas très intéressants! Ce n’est pas avec tous ces détails que l’on va donner de l’idéal et de l’espérance aux gens!» Une autre militante, lui avait répondu de façon très posée: «Quand Macron exposait son idéal, sa vision, certains disaient que c’était creux; le programme est un exercice obligatoire!».

«J’étais dans la rue en 1995 contre la réforme Juppé»

La discussion sur la refonte du système de retraites et la fin des régimes spéciaux avait aussi donné lieu à quelques vifs échanges. «Comment Macron compte-t-il s’y prendre avec les syndicats? Il a la solution?» a demandé un participant; «on a vu ce que ça a donné en 1995; Juppé a voulu le faire, mais toute la France a été bloquée et il a été obligé de retirer son projet!». A l’autre bout de la grande tablée, un enseignant a tenu à prendre la parole pour expliquer pourquoi il était dans la rue en 1995 contre la réforme Juppé. «Nous n’avions pas été préparés; je ne comprenais pas pourquoi on remettait en cause du jour au lendemain la possibilité qui m’était offerte de partir à 55 ans. Sur ce sujet, il faut vraiment faire de la pédagogie». L’occasion pour Jean-Philippe de répondre: «contrairement à ce qu’avait fait Juppé, contrairement aussi à ce qui a été fait plus récemment avec la Loi travail, nous annonçons la couleur à l’avance. Nous inscrivons la réforme dans le programme».

Une infirmière qui exercice dans un collège, prend la parole pour dire qu’il faut «corréler l’âge de départ à la retraite avec l’espérance de vie» et qu’il «va falloir travailler avec les syndicats réformistes comme l’UNSA ou la CFDT. Une retraitée autrefois syndiquée à l’UNSA partage ce point de vue: «on ne le dit pas, mais l’UNSA est en train de dépasser la CGT».

L’interdiction du portable à l’école et au collège?

Le jeudi suivant, ce sont les mesures sur l’éducation qui sont passées au peigne fin; celle sur «l’interdiction de l’usage des téléphones portables dans l’enceinte des écoles primaires et des collèges» a été étrillée. L’assemblée –pourtant composée d’un grand nombre d’enseignants et de personnels de l’Education nationale– a jugé cette mesure franchement ringarde et inadaptée. «C’est inapplicable, irréaliste» a observé mon voisin de droite; «ce n’est plus dans l’usage du temps» dit un autre. «Il ne faut pas interdire; il faut éduquer au bon usage» a insisté Sylvie soulignant que ces outils étaient en outre intéressants pour la pédagogie. Quant à la mesure consistant à «limiter à 12 élèves par enseignant la taille des 12.000 classes de CP et de CE1 en zone prioritaire», elle n’est pas passée non plus passée comme une lettre à la poste. Nous avions visiblement une spécialiste autour de la table, une certaine Sylvie qui a sans doute un poste à responsabilité dans l’Education nationale. «12 élèves par classe, c’est osé!» a-t-elle d’abord lancé dans un éclat de rire, expliquant que la formulation comportait une ambiguïté: «12 élèves par classe et 12 élèves par enseignant, ce n’est pas la même chose»; un enseignant a renchéri: «on voit ce que cela peut donner; on va faire des dédoublements». Sylvie est revenue à la charge avec une réflexion qui sentait le vécu; «la phrase telle qu’elle est rédigée mélange les acteurs (les enseignants) et les élèves; c’est un grand classique! ça ne va pas, car c’est flou». Son décryptage a fait mouche. Jean-Philippe prend note. Comme à chaque séance, il va faire «remonter les grosses questions».

Des militants CSP+

Le jeudi précédent, un autre «expert» avait éclairé l’assemblée de ses lumières, en la personne de Bernard Deladerrière, président du Mouvement européen en Seine-Maritime, adhérent du Parti socialiste depuis 30 ans et professeur d’allemand à la retraite. Après ces deux soirées d’immersion, ce constat s’impose à moi: les participants aux réunions du jeudi soir appartiennent aux classes moyennes supérieures; à l’évidence, tous ont fait des études supérieures.

Notre monsieur Europe est intervenu sur la question des abus liés au travail détaché, Macron proposant de limiter à un an -au lieu de deux ans maximum actuellement- la durée de séjour d’un travailleur détaché dans notre pays. «La renégociation de la directive actuelle s’annonce très difficile car chaque présidence tournante de l’UE a sa vision sur la question»; pourtant, «il faut éviter les arnaques liées aux montages en matière de sous-traitance dans des pays moins protecteurs car ces montages favorisent le dumping social».

Quelqu’un demande quelle est la règle actuelle en Europe. Bernard reprend la parole et on l’écoute. «Aujourd’hui, les travailleurs reçoivent la rémunération du pays où ils travaillent et ils ont la protection sociale de la domiciliation de l’entreprise qui les envoie». Et lorsque la question est posée de savoir qui conseille Macron sur les questions européennes, c’est encore Bernard qui nous explique qu’il s’agit d’un «certain Clément Beaune», délégué politique du mouvement En Marche auprès d’Yves Bertoncini (président du Mouvement Européen France et directeur de l’Institut Jacques Delors). Voilà qui nous indique clairement que le mouvement européen a ses entrées chez Macron.

Apprendre le porte à porte

A un mois du premier tour, Jean-Philippe prévient que la stratégie est d’aller chercher les indécis, via le «tractage», le «boîtage» et le porte-à-porte. Il déconseille de glisser le petit livret dans les boîtes aux lettres car le document risque de servir à emballer les épluchures de légumes sans être regardé; or «ça coûte très cher». Ces activités ne sont pas toujours valorisantes et Jean-Philippe en a fait lui-même l’expérience: «j’ai été vexé dimanche sur le marché Saint-Marc car beaucoup de personnes ne prenaient pas le tract Macron, mais prenaient le trac Le Pen!».

Après deux jeudis soirs passés au Bar des Fleurs, j’observe que l’on y croise à la fois de vieux militants tout émoustillés de se réinvestir dans un projet neuf et d’autres qui n’ont jamais «tracté», «boîté,» et encore moins fait les escaliers. Une «séance d’initiation» au porte-à-porte est d’ailleurs programmée pour familiariser les débutants à cet exercice; car, assure Jean-Philippe, le porte à porte est le moyen le plus efficace pour convaincre. «D’ailleurs, c’est la méthode Obama et ça a très bien marché».

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