Silvio Berlusconi a été agressé à la sortie d’un meeting à Milan dimanche 13 décembre 2009. Il a été blessé au visage par des coups de statuette. L’agresseur est un déséquilibré de 42 ans suivi en psychiatrie depuis 10 ans. Il a été arrêté et mis en accusation de blessures aggravées préméditées par le parquet de Milan. Silvio Berlusconi a été admis à l’hôpital en observation pour 24 heures.
Le Président du Conseil italien était conscient durant son transfert à l’hôpital.
Plus d’un demi million d’Italiens avaient manifesté le 5 décembre pour réclamer sa démission à Rome lors du «No B Day» ou «journée sans Berlusconi». Mais ce dimanche, le peuple italien a unanimement condamné l’agression dont il a été victime. Nous republions l'analyse de Jean-Marie Colombani au lendemain de cette manifestation.
La manifestation, qui a rassemblé à Rome le week-end dernier plusieurs centaines de milliers de personnes et l'occasion d'un «no berlusconi day», a été un incontestable succès populaire. Mais elle a toute chance de rester sans suite, comme un coup d'épée dans l'eau.
Rome est certes habituée à des manifestations de toute nature, les cortèges syndicaux étant en général les plus fournis. Sans atteindre à ces sommets, le «no B day» a été un succès parce qu'il est né de la société civile et plus précisément par l'activisme des blogueurs, qui avaient décidé d'en appeler à la conscience de leurs concitoyens pour protester contre les attaques répétées et virulentes lancées par Silvio Berlusconi contre les magistrats, contre la Cour constitutionnelle et même contre le président de la République.
La colère de Silvio Berlusconi était consécutive à l'annulation par la Cour constitutionnelle, le 7 octobre dernier, de la loi Alfano, du nom de l'actuel Garde des sceaux, qui lui garantissait une immunité pendant la durée de son mandat. Celle-ci étant tombée, la justice s'était remise en mouvement dans plusieurs affaires qui impliquent Berlusconi en sa qualité de chef d'entreprise, notamment une affaire de corruption dans laquelle l'un de ses avocats a été récemment condamné. La riposte berlusconienne, outre la colérisation et la dénonciation de toux ceux qui, dans les institutions, lui font obstacle, a aussi comporté le dépôt de nouveaux projets de loi destinés à lui permettre d'échapper à la justice.
C'est pour protester contre tout cela que des blogueurs s'étaient donné le mot sur le web pour tenter de mobiliser. Cette forme d'organisation en réseau, inédite en Italie, a déclenché une réelle dynamique et assuré le succès de la manifestation dont la figure de proue a été le prix Nobel de Littérature, Dario Fo. Succès facilité sans doute par les récentes déclarations d'un repenti mettant en cause les liens supposés de Silvio Berlusconi avec une famille de la mafia sicilienne, qui l'aurait aidé au tout début de son parcours économico-politique.
Mais à la différence des manifestations de l'année 2002, organisées par le cinéaste Nanni Moretti, il n'y avait à l'origine de ce mouvement, ni personnalités, ni partis politiques. C'est sans doute en cela qu'il est le plus intéressant. Pourtant, à ce stade, on ne voit pas quel débouché politique peuvent espérer les manifestants du 5 décembre. Ils avaient choisi comme emblème la couleur violette, le «viola» en italien, presque synonyme de viol pour dénoncer précisément celui qui viole à leurs yeux les institutions. Mais depuis la révolution orange, qui a permis à la démocratie de l'emporter en Ukraine, le choix d'une couleur est synonyme de révolution. Révolution douce, comme elles le sont la plupart du temps aujourd'hui, comme cela a pu se produire en Géorgie ou même en Thaïlande. Mais peut-il y avoir une révolution violette en Italie ?
Le violet ne signifie certainement pas l'appui des hiérarques de l'église catholique. Ces derniers, qui ont eu pourtant de multiples occasions tirées des révélations sur la vie privée du président du conseil de se démarquer, voire de rompre avec lui, ne l'ont pas vraiment fait. Pour l'essentiel, Silvio Berlusconi peut toujours compter sur le soutien du Vatican, car il lui offre, par exemple, de s'opposer à la «pilule du lendemain».
L'obsession de l'Eglise sur les questions de contraception l'a conduit, de manière absurde, à absoudre quelqu'un qui s'affranchit pourtant chaque jour et à chaque heure du respect de la morale publique. Or il va de soi que Berlusconi ne sera vraiment affaibli que lorsque l'Eglise lui retirera son soutien. Quant à la gauche, elle est toujours en situation de faiblesse. Le parti démocrate en effet, qui vient pourtant de se doter d'un nouveau secrétaire général, semble toujours sans stratégie, sans leader véritable et sans capacité à incarner une alternance crédible.
A chaque fois d'ailleurs, le scénario est le même: mis en difficulté, Silvio Berlusconi dramatise la situation, insulte les autres institutions et accuse la gauche, qu'il qualifie toujours de communiste, de complicité avec les juges pour le renverser. Il oblige alors le président de la République lui-même, Gorgio Napolitano, à réaffirmer que Silvio Berlusconi est légitime jusqu'à la fin de la législature; et le parti démocrate fait de même en multipliant ses proclamations légitimistes pour récuser les accusations proférées contre lui de Golpiste. Et en attendant, l'allié de la Ligue du Nord, le parti xénophobe d'Umberto Bossi, pousse son avantage: la législature ne peut en effet aller à son terme qu'à la condition que la Ligue du Nord, qui détient les clés de la majorité parlementaire, continue de soutenir Silvio Berlusconi. Et les conditions pour ce soutien sont de plus en plus démagogiques et élevées: le discours intolérant de la Ligue du Nord ajoute ainsi au discrédit extérieur de l'Italie.
Sans doute les blogueurs ont-ils en tête le modèle sud coréen: autour du site «Oh my news», dont le slogan est «chaque citoyen est un journaliste», une mobilisation populaire sans précédent, via internet, avait fortement contribué à la démocratisation de la Corée du Sud. Mais, malgré l'exaspération d'une partie de la société italienne, et notamment des plus jeunes qui se sentent exclus et privés d'avenir, une majorité d'Italiens restent fidèles à son champion, aussi caricatural soit-il. Et c'est évidemment en démocratie la seule chose qui compte.
Jean-Marie Colombani
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Image de Une: Silvio Berlusconi Giampiero Sposito / Reuters