Culture

La formule magique des suites de films

Temps de lecture : 5 min

Le succès de Twilight et des autres suites de film est mathématique (mais les producteurs ne l'admettront pas).

La nouvelle a de quoi réjouir les studios hollywoodiens: des mathématiciens de la CASS business school à Londres annoncent avoir trouvé une formule magique pour prédire le succès d'un film, ou plus exactement d'une suite de film.

La recette du succès? Un premier film réussi bien sûr, mais aussi une continuité du casting et du réalisateur. Rien de bien révolutionnaire dans ce résultat, me direz-vous. Non, la nouveauté vient de la finesse du calcul. Les chercheurs, forts d'une étude statistique poussée — voire franchement inaccessible pour les profanes hermétiques à la beauté de la courbe gaussienne — ont identifié les différents facteurs déterminants et leur poids dans la marche vers le succès.

Pour établir leur formule, les chercheurs ont donc compilé les recettes américaines totales (entrées, vente de DVD..) générées par les 101 suites de films sorties aux Etats-Unis entre 1998 et 2006. Ils ont ensuite cherché des corrélations avec différentes variables: succès du premier volet, célébrité de la marque originale, genre, budget, mais aussi durée entre les deux sorties, continuité des acteurs, du scénariste, des réalisateurs...

Ce modèle statistique permet d'évaluer le profit supplémentaire généré par des suites par rapport à des films originaux et d'estimer ainsi la valeur des droits pour une suite éventuelle. Les droits achetés par les studios pour des films «à marque» sont en effet un actif «immatériel» qui doit figurer au bilan des sociétés de production mais qui reste difficile à évaluer.

Application pratique avec Twilight chapitre 2: Tentation. D'après les scientifiques, le film devrait générer 267 millions de dollars de recettes aux Etats-Unis, un chiffre qu'ils ont annoncé la semaine précédant la sortie du film - qui cumule 255 millons de dollars aux Etats-Unis après trois semaines d'exploitation. Il devrait ainsi rapporter 34 millions de plus à ses producteurs qu'un film aux caractéristiques similaires (genre, budget, équipe...), mais lancé «en solo».

«Aujourd'hui, c'est vraiment basé sur l'intuition des producteurs et la spéculation, explique le professeur Hennig-Thurau. Prenez Terminator par exemple, dont les droits vont être vendus aux enchères: ils ont été cédés il y a des années à 14 millions de dollars — leurs propriétaires actuels, Halcyon, les ont achetés 25 millions en 2007, et aujourd'hui le chiffre de 150 millions a été évoqué. Cette différence est si énorme que seule la spéculation peut en être responsable! Nous cherchons simplement à limiter les effets de cette dernière, dont nous connaissons tous les conséquences».

Studios: attention, territoire protégé

Alors, heureux les producteurs? Foutaises, répond Abel Nahmias, producteur pour Pathé:

Intellectuellement c'est sans doute très intéressant, mais concrètement c'est du bullshit pur. Aujourd'hui sur dix films produits par les studios, trois en moyenne sont des fours. C'est à peu près stable. S'il suffisait de payer des matheux du MIT ou d'ailleurs pour prédire des succès, ils n'en seraient plus là depuis longtemps.
Même sur l'exemple de “Twilight”, ils se plantent. L'écart du film avec un original similaire sera beaucoup plus important que ça. Tout ça, c'est pipeau, dans la mesure où ça reste quand même de l'artistique. “Twilight”, ça marche aussi parce qu'ils ont trouvé un mec et une meuf qui avaient de la gueule, ça a fonctionné, et ça, c'est pas scientifique.

Le professeur Hennig Thurau confirme la faible réceptivité des studios sur le sujet:

Personne de l'industrie ne nous a appelé suite à ce travail. C'est un milieu qui n'a pas du tout l'habitude de se tourner vers la recherche académique. Ils ont toujours peur de parler à quelqu'un qui n'est pas du milieu.[...] Les sociétés de production ont refusé de donner les chiffres réels, pour eux c'est 'territoire inviolable'! L'industrie du cinéma prétend généralement que vous ne pouvez rien faire à partir de statistiques dans leur secteur. Il est vrai que quand aucun outil n'existe, on ne peut pas vous reprocher de vous être trompés dans vos prévisions...»

Manque de transparence? Michel Hazanavicius, réalisateur des deux OSS 117, explique: «C'est compliqué d'avoir des chiffres [y compris pour l'équipe du film], parce que de manière générale de la part des producteurs, il y aussi un intérêt à nous en tenir éloigné. [En France], le principe c'est que quand un film commence à gagner de l'argent les gens doivent partager les recettes. Alors le point de rentabilité des films a souvent tendance à se décaler mystérieusement dans le temps...»

Une réalité qu'Abel Nahmias essaie de nuancer sans vraiment convaincre: «Il y a des données qui sont plus ou moins difficiles à avoir, mais ce n'est pas complètement opaque non plus. Les chiffres, les bons agents sont capables de les déduire. Il n'y a pas d'outils scientifiques mais les agents ne sont pas idiots, ils connaissent les chiffres.»

Rationaliser serait aussi menacer des sources de profit potentiels

Comment expliquer cette zone de flou? Dans le cas des suites, au-delà des droits, la martingale qui permettrait à coup sûr de connaître le gain engendré par la continuation de la série limiterait fortement la marge des producteurs pour les négociations budgétaires du second opus. «Si je négocie aujourd'hui pour un OSS 3, je ferai valoir que je suis indispensable», confirme Michel hazanavicius. «Je sais que je ne le suis pas vraiment, et eux le savent aussi, même s'ils préfèreraient tout de même le faire avec moi. Mais il n'y a pas de mathématiques! Si vous avez un bon agent, vous obtiendrez beaucoup plus, etc...»

Michel Hazanavicius a ainsi multiplié plusieurs fois son salaire entre Le Caire nid d'espions et Rio ne répond plus. Peu connu avant OSS117, le succès du premier volet lui a donné du poids dans les négociations pour le second. Mais pour ce qui est es formules, le réalisateur nuance le caractère absolu de la valeur donnée, par exemple, à l'acteur. «Dans le cas des James Bond par exemple, qui sont l'exemple par excellence du film à licence, l'acteur importe peu, le film aura du succès de toute façon! A l'opposé, dans le cas d'OSS, il était très clair que si Jean Dujardin ne faisait pas le film, il n'y avait pas de film.»

Les chiffres, un danger pour la créativité du cinéma?

«[Personnellement]motiver ou diriger mon travail en fonction de chiffres, c'est à l'opposé de ce que je veux faire. Se baser uniquement sur ça c'est se condamner.» explique-t-il encore. Les auteurs de l'étude statistique ne prétendent pas prédire le succès de n'importe quel film. «Ce que nous faisons ne remplacera jamais complètement l'intuition des producteurs», se justifie Thorsten Hennig Thurau.

L'envie des producteurs, comme celle du reste de l'équipe, primerait toujours sur les calculs: «Prenez Camping par exemple - le film a fait 5 millions d'entrées en France. Fabien Onteniente -le réalisateur - ne s'entendait pas avec le producteur, se souveitn Abel Nahmias. Eh bien, ce dernier a revendu les droits, et Ontoniente a fait ledeux avec un autre producteur.»

Des précédents ont pourtant prouvé que l'appât du gain était parfois plus fort que l'intérêt artistique dans la tête des producteurs... Dès lors, facile d'imaginer que des promesses de résultats si tangibles puissent pousser les producteurs à faire des suites en série au lieu de financer des projets originaux. «Mais ils le font déjà!», réplique l'auteur de l'étude. «Et puis, pour faire une suite, vous avez tout de même besoin d'avoir un bon original...» A bon entendeur...

Marion Solletty

Image de une: Robert Pattinson, le héros de la saga Twilight REUTERS/Fred Prouser

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