France

Il faut recommencer l’Europe par la culture

Temps de lecture : 3 min

Les europhiles sont en train de perdre la guerre des idées face à une Europe qui se délite. Il faut réaffirmer nos valeurs intrinsèques et bâtir un modèle de croissance mariant innovation et redistribution.

Tobias SCHWARZ / AFP
Tobias SCHWARZ / AFP

«Si c'était à refaire, je recommencerais par la culture», aurait dit Jean Monnet. Qu'importe que la phrase soit apocryphe, c'est le moment, en effet, de recommencer.

L'Union européenne se délite avec le Brexit et elle fait l'objet d'une profonde et grandissante désaffection des opinions. L'Europe est un échec, selon les uns, puisque la construction n'a pas réussi à apporter la prospérité et à faire «converger» les économies des différents pays. L'Europe n'est que l'instrument du capital, des riches, ajoutent d'autres. Ils voient l'Union comme un agent de la mondialisation, démolissant les sacro-saints piliers des nations et les équilibres sociaux. Les derniers europhiles continuent de penser que ces critiques sont fausses et que, si l'Union européenne a des défauts, elle reste la dimension indispensable pour résister face aux empires. Mais ils sont en train de perdre la guerre des idées et se retrouvent dans un réduit intellectuel, politique et médiatique.

D'où la nécessité de reprendre les choses au début. Si l'Europe s'est faite, c'était pour mettre fin aux guerres, certes, mais c'était aussi parce qu'il existe une identité commune des Européens. Philippe Herzog la résume lumineusement dans un essai: elle naît dans le christianisme, qui «a inventé une culture d'égale dignité de la personne», se dépasse dans les Lumières, qui introduisent «la citoyenneté dans une cité où la liberté se conjugue avec la recherche d'un bien commun», puis, récemment, s'immerge dans l'individualisme, cette «affirmation par chacun de son identité et de l'exigence d'être reconnu».

Un modèle miné

Le malheur est que ce modèle d'humanisme est miné de l'intérieur. Les Etats, endettés, sont accusés d'être devenus impuissants, la démocratie elle-même est défaillante, le sud du continent s'est écroulé lors de la crise financière, achevant le rêve de la «convergence» et, dernier échelon de la déconstruction, la science, c'est-à-dire la connaissance et la vérité, conquêtes existentielles de l'Europe, sont maintenant contestées. L'Europe de rêve est devenue cauchemar, elle n'est plus que le bouc émissaire du désenchantement de la classe moyenne. Les forces du repli nationaliste grossissent inexorablement. Les arguments «sérieux», comme celui de la nécessité de s'unir face à la Chine ou à l'Amérique de Trump, ne portent même plus. Comme si les Européens avaient perdu leurs idéaux dans la tourmente du monde qui pour une fois les dépasse? Comme si, vaincus et apeurés, ils admettaient le destin d'une chute finale, houellbecquienne:

«L'homme blanc sera submergé, dit-on? Eh bien, qu'on le laisse au moins mourir en paix, reclus chez lui.»

La désaffection a une longue traîne qui remonte à avant la crise financière. Les votes «non» aux différents référendums depuis Maastricht montrent que l'Europe n'a en réalité jamais bénéficié d'un soutien populaire, écrit Philippe Herzog. «L'Union est restée un conglomérat d'Etats où les gouvernements sont tirés en arrière par leurs sociétés.» L'Europe, ni Etat ni fin des Etats, se noie au milieu du gué.

Tel est le combat culturel positif: montrer que, pour tous les défis actuels, la sécurité, le climat, les inégalités, l'immigration, l'Europe est la «bonne» réponse, celle de l'efficacité dans la dignité

Reprendre pied sera long et difficile, admettent tous les europhiles. Mais il est temps de ranimer la flamme et d'inverser le sens du combat. «Les populistes gagnent parce qu'on joue en défense, à faire des propositions pour éviter le pire», explique Enrico Letta, président de l'Institut Jacques Delors. «Il faut parler du meilleur.» Retrouver un «narratif positif», confirment Marco Buti et Karl Pichelmann.

Quel est ce meilleur? Revenir au sens originel des valeurs européennes de conjugaison réussie de l'individualisme et du bien commun. Décliné dans l'économie d'aujourd'hui, cela signifie inventer une croissance qui marie innovation et redistribution. Rien de moins. Mais ce n'est pas hors de portée. Lors de la première révolution industrielle, l'Europe avait su dompter le capitalisme en inventant l'Etat providence. L'enjeu est exactement le même en ce début du XXIe siècle. Les Etats seuls sont incapables; unis en Europe, ils le peuvent. Tel est le combat culturel positif: montrer que, pour tous les défis actuels, la sécurité, le climat, les inégalités, l'immigration, l'Europe est la «bonne» réponse, celle de l'efficacité dans la dignité.

Le moment est propice, ajoute Enrico Letta. Avec l'isolationnisme de Donald Trump, les enjeux s'élargissent aux autres sujets que l'économie, ce qui offre l'occasion de «rétablir l'équilibre entre la France et l'Allemagne». Mme Merkel est (devenue) europhile et, à la condition de lui démontrer que son argent ne sera pas gaspillé, on peut lui parler de bien commun et de solidarité.

Les propositions concrètes ne manquent pas. Ramener la Commission à des sujets visiblement utiles aux gens, mettre en place des politiques sur l'énergie, la défense, le terrorisme, la transition énergétique, gonfler le plan Junker sur les investissements. Dans l'immédiat, pour consolider un euro toujours fragile, il faut «un kit de premiers soins»: le renforcement du Mécanisme européen de stabilité (MES), un resserrage de l'Union bancaire et une amélioration de la coordination des politiques économiques avec un meilleur contrôle democratique par le Parlement. Tout cela est faisable immédiatement, sans avoir besoin de nouveaux traités, qu'en l'état des opinions publiques il est inconcevable de faire voter. Tout cela participe d'un combat intellectuel pour les belles valeurs européennes qu'il est temps de reprendre.

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